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IDEL

Les infirmières ne veulent pas risquer leur vie pour soigner...

Publié le 08/10/2014
Dominique Coves

Dominique Coves

infirmière libérale soins à domicile

infirmière libérale soins à domicile

Cet été, une infirmière victime d’un coup de carabine tiré par son patient à Strasbourg est décédée . Deux autres infirmières à Toulouse, puis Montpellier, ont été sauvagement agressées. Les réactions ont été nombreuses. Nous avons recueilli celle de Marie-Léa Cabrol, infirmière libérale à Marseille. Un témoignage qui appelle à la mobilisation et au changement. Merci à la Fédération nationale des infirmiers (FNI) pour le partage de cet article paru dans Avenir et santé en septembre 2014.

Un témoignage d'infirmière libérale face à la montée des violences

Marie-Léa Cabrol est infirmière libérale à Marseille depuis bientôt quinze ans et heureuse de l’être parce que, dit-elle c’est une profession utile. Je trouve que la société se délite et quand je vois la solitude grandissante des personnes âgées et les problèmes sociaux dans lesquels sont plongées les familles, oui, je me dis que nous avons un rôle, un rôle à la fois soignant et social. Un beau métier mais à quel prix ? Aussi quand elle a appris la série d’agressions dont ses consoeurs de Strasbourg, Toulouse et Montpellier ont été victimes, elle a ressenti à la fois un sentiment de colère et de tristesse. De colère explique-t-elle, parce que ce n’est pas possible de voir qu’on arrive à tirer ou à passer à tabac des infirmières, les sondages et les reportages de la télé répètent que nous sommes les personnages préférés des Français, alors oui, ça me révolte ! Et ça me rend doublement triste de voir que ceux qui font ça n’ont aucune considération. Ils s’en prennent à des femmes, nous ne sommes pas des policiers ni des représentants de l’ordre public. Nous sommes seulement des femmes, des infirmières qui se rendent seules au chevet de malades dans le but de soulager des souffrances. Cela prouve que la place de la femme dans la société maintenant régresse.

Mobilisez-vous !

Marie-Léa a tenu à témoigner : Il faut réagir. Que la FNI bouge, c’est bien et j’ai vu aussi que l’Ordre qu’on critique souvent a aussi réagi puisqu’il a écrit au ministère de l’Intérieur. Bien que ces réactions soient à ce jour restées lettre morte, elle affirme que comme les petits ruisseaux font les grandes rivières, toutes les mobilisations comptent et espère qu’un front uni sur la question de l’insécurité fera bouger les choses. L’infirmière de Marseille fait partie de ces 82 % d’infirmiers libéraux1 qui considèrent que le développement de l’insécurité est un point noir de l’exercice libéral. Le problème, convient Marie-Léa Cabrol, c’est que nous ne sommes pas vindicatives. Je me souviens des grèves de 1994. Nous avions affiché des pancartes "Infirmières en grève". Nous étions réquisitionnées et faisions ce que nous devions faire mais nous refusions de faire les prises de sang. Enfin… quand les internes qui ne savaient pas les faire venaient nous voir et nous susurraient d’une petite voix doucereuse, "Eh ben, vous ne voudriez pas faire les prises de sang ?", on faisait les prises de sang L’infirmière de l’hôpital devenue libérale voudrait aujourd’hui que ses consoeurs réagissent comme elle et se soudent « maintenant car demain il sera trop tard.

La violence vécue au quotidien

La violence des derniers événements ne lui fait pas plus peur que d’habitude pour son exercice quotidien mais les précautions sont de mise. Dans les quartiers chauds où l’on travaille, il faut rester discret, avoir une voiture banale, un jean et des vêtements basiques, une démarche naturelle. C’est sûr que si vous circulez dans une voiture voyante qui leur plaît, ils vont vous braquer mais comme ils braqueraient n’importe qui d’autre. Avec toutes nos allées et venues régulières, on est très vite repéré. Un soir, quelqu’un m’a dit : "Vous êtes infirmière ?" Ils avaient bien repéré qui j’étais. Je sais que déjà dans certains quartiers des grandes villes, les infirmières n’osent plus s‘aventurer. Si on ne sécurise pas l’exercice, les infirmières n’auront plus d’autre choix que de décliner les soins pour se protéger mais alors que deviendront les personnes qui ont besoin de soins ? Que voulons-nous vraiment ? Quand Marie-Léa Cabrol analyse ces agressions à l’aune des évolutions en cours de la profession et de la coordination des parcours de soins, elle trouve choquant que l’on puisse attendre des Idels d’être le maillon sans faille du parcours de soins. On attend de plus en plus de nous sur cet objectif mais s’il n’y a pas de marqueur pour reconnaître ce que nous faisons, le parcours de soins va vite s’arrêter », proclame-t-elle en admettant que  « la reconnaissance n’a jamais été le fort des médecins, je ne me fais pas d’illusion. Mais si les maisons de santé deviennent prétexte à nous envoyer ici et là sur commande, ce sera un gros problème.

Renouer le dialogue

L’infirmière libérale invite ses collègues qui interviennent en zone sensible à restreindre leurs horaires pour ne pas se mettre en danger et attend des syndicats qu’ils montent au créneau et que les médecins soient alertés des risques inhérents aux tournées des infirmières. Ils doivent s’attendre à ce qu’elles refusent d’être leur simple exécutante sans juste retour. Pour elle, ce problème d’insécurité pose une limite et doit réveiller les consciences. Il faut, dit-elle encore, informer la population, lui redire qu’on est là pour les soigner, eux. C’est un message que les autorités publiques doivent rappeler. Nous ne sommes pas les gibiers d’une partie de chasse. Ils ont bien réagi aux désordres des supporters à Furiani ! Un silence de leur part cautionnerait ce qui s’est passé à Strasbourg, Toulouse et Montpellier.

Marie-Léa souhaite que la cité redevienne un espace de droit où les gens ne vivent pas sous la loi du plus fort et respectent la femme en tant que telle. Il faudrait, dit-elle, que les familles elles-mêmes se rendent compte, sortent de la peur. Que les personnes acceptent le dialogue et refusent l’agression, comme on fait dans le soin pour que chacun se sente bien.

Note

  1. Enquête Louis Harris Interactive/FNI "Regard sur la profession" réalisée en ligne du 19 mai au 2 juin 2014 auprès de 1 722 infirmiers libéraux

Dominique Coves, présidente de la FNI des Bouches-du Rhône réagit

L’insécurité et la violence ne sont pas des choses nouvelles et notre ville, Marseille, cristallise une situation que l’on retrouve dans toutes les grandes villes. Mais force est de constater une certaine inertie des professionnelles pour communiquer sur les problèmes quotidiens de notre exercice. Le "chacun pour soi" ne fait pas la force qui permet au collectif d’agir. Dans ce domaine comme dans d’autres, le manque d’engagement syndical est un obstacle majeur pour faire valoir notre cause et peser auprès des pouvoirs décisionnaires. Et l’information circule tellement mieux entre syndiquées ! À la suite d’un problème de violence subi par une collègue, j’ai décidé de saisir le préfet. C’est ainsi qu’avec d’autres professions de santé, nous avons négocié avec la police des mesures d’appel d’urgence pour les professionnels confrontés à ce problème. Ce dispositif marche et il faut réfléchir à le renforcer et à le généraliser. Mais là encore, il faut que les infirmières fassent corps, c’est-à-dire concrètement qu’elles se syndiquent car il n’est pas possible de porter ce genre de projet, ou d’autres d’ailleurs, s’il n’y pas de collectif suffisamment puissant pour les soutenir. Et quand je vois ce que les tutelles préparent pour notre profession dans le projet de loi de santé où médecins et ARS décideront pour nous de ce que nous devrons faire ou pas, je me dis qu’il est urgent de se mobiliser. Demain, il sera trop tard.

Isabelles EUDES

Cet article est paru dans le numéro de septembre 2014 d'Avenir & Santé, mensuel d'information de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), pages 48/49.


Source : infirmiers.com