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Les "héros" sont fatigués...

Publié le 08/01/2016

En ce début d'année, encore une fausse « bonne idée » de France 2 que de proposer une grande soirée dédiée à la médecine française, ses soignants, ses structures, ses innovations, sa recherche... Intitulée « Une nuit avec les héros de la santé », cette grande émission en prime time de « divertissement » présentée par Michel Drucker a peut-être diverti le grand public mais a passablement excédé les soignants, et notamment les infirmier(e)s, d'être, une fois encore, assimilés à ce qu'ils se refusent à être « des héros »... Réactions.

Les soignants en ont assez d'être considérés comme des héros… aujourd'hui, ils sont surtout excédés et fatigués...

Décidément, la représentation ou la mise en valeur du monde hospitalier et de ses soignants à la télévision ne passe pas auprès des principaux intéressés... Après la série Nina diffusée sur France 2 au printemps dernier qui avait vu se gausser la communauté infirmière dans son entier tant les mises en situation de cette « super infirmière » étaient autant inadaptées que ridicules, la grande soirée d'hommage au monde médical et à ses acteurs du 5 janvier intitulée avec toute la sobriété que l'on connaît de Michel Drucker, grand maître de cérémonie, « Une nuit avec les héros de la santé  » à
 a suscité également l'agacement - c'est un euphémisme - des soignants. En effet, alors que l'on va commémorer la disparition du chanteur Daniel Balavoine, il y aura 30 ans le 14 janvier, d'une même voix, les infirmiers, les aides-soignants, reprennent son titre phare « Je ne suis pas un héros ».

Je vois pas en quoi nous sommes des héros de la santé. Personnellement je fais mon job, ce pour quoi je suis payé, avec beaucoup d'empathie pour les gens... » Ladymun, IDE

Héros, vous avez dit héros ?

« Héros », le terme a enflé depuis le 13 novembre dernier, vendredi rouge sang des attentats parisiens ... En effet, policiers, pompiers, urgentistes, soignants... tous sont devenus des « héros » salués au plus haut de l’État, par les politiques de tous bords mais aussi par une opinion publique unanime. Très vite cependant ceux qu'on appelait « héros » se sont défendus de n'avoir fait que leur travail, refusant massivement ce terme. L'idée de la « gratification » pour services exceptionnels rendus initiée par Marisol Touraine aux personnels de l'AP-HP avait d'ailleurs été accueillie comme un affront par les soignants ... On trime pour un salaire de misère afin de prendre soin de nos patients et il faut qu'il y ait un carnage pour que notre métier soit reconnu... s'insurgeait une infirmière. En son temps déjà, pourtant moins tragique, Nicolas Sarkozy alors président de la République avait déjà qualifié les infirmières d'héroïnes du quotidien ; quotidien qui avait fait l'objet d'une soirée - en prime time - sur France 5 en novembre 2011 et ne suscitant pas d'enthousiasme des principales intéressées. En cause, toujours cette fichue représentation...

Des lumières, des stars, des sommités… une belle mise en scène ! Il est gentil Michel Drucker, il fait beaucoup de compliments ! Mais la réalité du terrain est tellement différente ! » Michel, IDE

« Entre Alice au pays des merveilles ou Nounours au pays des Bisounours »

Cette grande soirée de divertissement au sein de la chapelle Saint-Louis de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) se voulait donc une grandiose soirée d'hommage à l'excellence de la médecine française reconnue de par le monde selon les termes mêmes de Marisol Touraine. Ce fut une succession de petits sujets dans différents services de soins ou unités de recherche portés par des artistes - chanteurs ou acteurs - qui avaient intégré pendant quelques heures l'univers médical et qui, comme on l'imagine, n'avaient pas de mots assez forts pour exprimer avec émotion toute leur admiration et leur reconnaissance à ces soignants, ces médecins, ces chercheurs... et puis bien sûr, ensuite, ils chantaient... Des bons sentiments à foison, entre Alice au pays des merveilles ou Nounours au pays des Bisounours comme l'a écrit une infirmière sur notre page facebook...

Et elle n'est pas la seule à manifester agacement et colère face à cette représentation du monde de la santé si éloignée de la réalité et parfois si peu hospitalier, y compris pour ses propres acteurs. En voici quelques exemples :

  • Solène : Dommage qu'il faille attendre les attentats pour parler un peu des métiers de la santé... ;
  • Sara : Ça aurait été marrant que chaque professionnel en profite pour faire passer un vrai message sur ses conditions de travail, la conséquence des décisions de l’État... mais non au lieu de ça on a montré une utopie... ;
  • Manu : Je ne comprends pas pourquoi des soignants ont accepté de jouer dans cette mascarade, pourquoi ils n'ont pas profité des caméras pour dire la vérité... ;
  • Mickael : Les soignants n'ont servi que de faire valoir aux starlettes... ;
  • Kévin : Moi je me suis posée la question est ce que la psychiatrie fait partie du monde hospitalier ?
  • Florence : Héros fatigués, mal payés, malmenés... A quand une reconnaissance à la hauteur de nos compétences et de nos responsabilités ? C'était l'hôpital modèle qui était montré... Mais au quotidien ? Nous aimons passionnément notre profession mais il devient difficile avec toutes les restrictions budgétaires de l'exercer pleinement et de garder le patient au coeur de nos prises en charge ;  
  • Adeline : Et sinon , quand est ce que l'on voit la réalité de notre métier?!?! Des blouses blanches exténuées , des médecins soit surmenés soit désintéressés. Des services au bord de la fermeture car pas assez rentables alors qu'il sont indispensables... ;
  • Christel : Ne reflète absolument pas la réalité du boulot ! Aucun mot sur les aides-soignante ou les ASH ! Aucun mot sur les EHPAD,  les personnes âgées ne font sûrement pas assez monter l'audimat... Un flot de bons sentiments mielleux à souhait... ;
  • Phy Lou : Une belle occasion de montrer une image édulcorée du quotidien des soignants. Je doute que ces artistes soient confrontés aux réalités du terrain et à la détresse réelle des personnels de santé. Des environnements choisis avec soin où les locaux sont neufs et où les effectifs seront triés sur le volet et doublés en nombre pour l'occasion. Hors de question de mettre Lara Fabian en binôme avec une AS qui va s'occuper des changes d'une quarantaine de patients répartis sur 2 étages en gériatrie.
  • Sandrine : Après la cornette, le héros... décidément on s'en sortira jamais...
  • André : Rendre hommage aux professionnels de santé lors d'événements purement médiatisés est une fois de trop de l'enfumage. Les professionnels de santé ne se prétendent point des héros et ne demandent aucune médaille. Nous sommes des gens ordinaires avec sûrement un coeur et surtout le sens des responsabilités et du devoir. Mme la ministre, s'il vous plaît, évitez-nous votre considération de circonstance et respectez nos professions en reconnaissant leurs valeurs au quotidien...

Les aides-soignants s'insurgent également, ils n'existent pas aux yeux des médias et n'ont pas été représentés au cours de cette émission. Cindy humorise : Il manque une aide-soignante dans mon service demain, si des fois madame Fabian avait 8 heures à tuer.... Quant à Sylvain, il nous livre une autre version de l'héroïsme : les véritables héros sont les malades qui luttent chaque jour pour vivre ou survivre ! Le sourire d'un enfant atteint d'une grave maladie, voilà ce qu'est pour moi l'héroïsme.

Je ne suis pas un héros, je ne veux pas que cette image me colle à la peau » Ester, IDE

Les héros sont fatigués...

Alors, pour conclure, que dire de plus ? Constatons, hélas, qu'aujourd'hui plus encore qu'hier, le paradoxe demeure et s'amplifie : plébiscitée par les Français, incomprise voire négligée par les pouvoirs publics, la profession infirmière - et bien d'autres soignants - continue à souffrir en silence et à tout accepter sous prétexte de son amour inconditionnel de son métier, de son dévouement et maintenant de son héroïsme face à l'adversité... Alors oui, c'est beau des soignants la nuit, mais attention les héros sont fatigués. Un jour ou l'autre, et avant qu'il ne soit trop tard, il faudra bien qu'ils soient entendus et reconnus pour ce qu'ils font et ce qu'ils sont vraiment. Allo, l'avenue de Ségur !

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com