A l’établissement médico-social (EMS) des Jardins du Léman, à Rolle, en Suisse, Jean-Luc Tuma, le directeur des soins, n’est pas à court d’idées. Lorsqu’il s’est vu confier la responsabilité de l’établissement, une structure qui accueille 51 personnes sur deux sites, une antenne psychiatrie âge avancé et un secteur géronto-gériatrie, le comportement des résidents lui a suggéré d’essayer des choses. L’une de ses récentes idées ? Il a proposé aux équipes de nuit de revêtir des pyjamas pour recréer des repères afin que les résidents distinguent plus facilement le jour de la nuit. Entretien.
Toutes les fonctionnalités de nos résidents qui sont encore intactes doivent être transcendées. Tout ce qui n’est pas altéré est justement tout ce que l’on veut développer. C’est ce qui nous semble le plus important pour la qualité de (sur)vie de la personne. C’est ainsi que Jean-Luc Tuma résume les valeurs essentielles que porte son établissement. Et le directeur des soins n’a pas tardé à mettre ces préceptes en application. De l’observation des résidents qu'il encourage, plusieurs pistes de réflexion ont émergé, dont celle-ci : les personnes qui souffrent de démence ont besoin de repères. Il faut donc, notamment, récréer une activité de jour et une activité de nuit bien distinctes. Dans certains cas, l’horloge biologique se trouve complètement perturbée
, explique Jean-Luc Tuma. Comment, à partir de là, arriver à recréer des repères bien identifiables ? C’est tout le défi. C’est alors que nous avons eu l’idée de faire porter un pyjama aux équipes de nuit
. Idée saugrenue au premier abord, mais le pyjama pourrait pourtant servir de repère si les équipes de nuit acceptaient de le revêtir. Si l’on arrivait à indiquer aux personnes qu’il y a un temps de jour et un temps de nuit, alors les repères seraient de nouveau bien identifiables
, assure Jean-Luc Tuma. Comment ré-enseigner cela, telle est bien la question. Si l’on vous dit : c’est l’heure d’aller vous coucher, ça ne fonctionne pas. Comment, dès lors, induire cette prise de conscience ? Avec les équipes, on a alors entamé une réflexion autour de l’uniforme, qui a quelque chose d’incitatif. Quand on roule un peu vite et qu’on voit un uniforme, on ralentit instinctivement. Quand un homme entre dans une assemblée habillé d’un costume, notre premier réflexe est de se dire qu’il s’agit certainement de quelqu’un d’important. On partage tous des repères acquis. L’uniforme représente probablement une autorité. Quant au pyjama, il renvoie au cocooning, à un instant relaxant… On a donc travaillé ce type de représentations. Il ressort de nos recherches que tout le monde sait ce qu’est un pyjama
.
Un pyjama, oui, mais quel pyjama ?
L’idée en est encore au stade de la réflexion au sein de l’établissement helvète, mais elle a fait son chemin. Reste toutefois un détail à régler : quel type de pyjama serait le plus approprié ? Nos résidents, qui sont âgés, ont plutôt connu la chemise de nuit, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes… La question est donc de trouver le meilleur compromis pour réussir à la fois à provoquer cette image de l’uniforme et donc de recréer des repères, mais aussi pour éviter le ridicule à nos équipes
. Comprendre : dans des chemises de nuit d’un autre âge. Ce n’est évidemment pas du tout le but
, souligne le directeur des soins, qui laisse, la question n’étant pas encore tranchée, le personnel libre de porter ou non la chemise de nuit. L’équipe n’a pas encore déterminé le meilleur habit
, explique Jean-Luc Tuma, qui confie son envie de soumettre la réalisation de ces pyjamas à des tiers externes : pourquoi pas à des couturiers genevois
?
Toutes les fonctionnalités de nos résidents qui sont encore intactes doivent être transcendées. Tout ce qui n’est pas altéré est justement tout ce que l’on veut développer.
Redonner du sens à partir d’éléments très simples
Jean-Luc Tuma a tiré d’autres enseignements de l’observation de ses résidents. Nombreux sont ceux, par exemple, qui déambulent la nuit. Entre le matelas et le drap, il y a un tombé de lit. Nous y avons installé des diodes électroluminescentes (ou Led) lumineuses qui s’allument lorsque le pied les effleure. Et nous avons fait un constat : les résidents dont les lits sont équipés de ces Led quittent moins leurs chambres
. Quand un résident se lève, pour aller aux toilettes ou pour errer dans sa chambre, il revient toujours instinctivement vers la lumière, et donc, vers son lit. Même si nous n’avons pas suffisamment de recul, nous avons pu constater cela de manière empirique
. Pour Jean-Luc Tuma, la réflexion qui s’élabore autour de la réassurance, des repères, est particulièrement intéressante et enrichissante. L’idée, c’est donc de se demander comment on arrive, à partir d’éléments très simples, à redonner du sens. C’est l’une de nos difficultés. Quand une personne n’est plus capable de communiquer normalement, c’est en créant ce genre de réflexion que l’on atteint une meilleure compréhension de ce qu’elle ressent ou veut exprimer. Avec les personnes que nous accueillons, qui ont une parole ébréchée, on doit trouver matière à comprendre. C’est notre challenge aujourd’hui. Ce qui nous intéresse, c’est la capacité que ces personnes ont, avec un peu d’aide, à pouvoir rebondir dans la démence pour rester socialisable. La journée est généralement assez rythmée dans nos établissements. La nuit, moins. Alors comment gère-t-on l’anxiété ? Comment apaiser ? Toutes ces hypothèses posées dans l’intérêt du résident, c’est très stimulant
.
Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@gmail.com @SusieBourquin
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