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ETHIQUE

Le soin : une dimension constitutive de la vie

Publié le 17/02/2015
infirmière tient les mains d

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Pourquoi de plus en plus de philosophes s’intéressent-ils au soin ? Pour mieux comprendre les nombreux enjeux théoriques et pratiques qui tournent autour de la question du soin, un colloque intitulé "Le soin aujourd'hui : questions vitales et textes clés", le 23 janvier dernier, a tenté de livrer quelques belles pistes d'analyse. En voici quelques éléments déterminants.

Soigner : ménager un temps à l’écoute, au simple fait d’être un témoin de l’histoire que raconte le malade qui tente ainsi de maintenir la continuité de sa vie.

Comme l’a rappelé Frédéric Worms, professeur à l'Ecole normale supérieure (ENS), directeur de collection de "Questions de soin" (Puf), à l'occasion de ce colloque, le soin a toujours été une préoccupations des philosophe, mais à présent, elle devient pressante1. C’est qu’en effet nous prenons conscience que loin de ne désigner que des attitudes ou des techniques plus ou moins spécialisées, intervenant lorsqu’une vulnérabilité se manifeste et pouvant donner lieu à des métiers spécifiques (dans les domaines de la santé ou de la petite enfance, par exemple), le soin apparaît comme une dimension constitutive de la vie individuelle et collective.

A quoi cela tient-il ? Sans doute à ce qu’a d’abord indiqué Claire Marin, écrivain et philosophe, la maladie est au fondement de la question du soin, parce qu’il s’agit de l’épreuve ayant la plus forte puissance de déstructuration des individus dans nos sociétés contemporaines et riches. Or les progrès techniques autorisent de vivre cette « catastrophe intime » pendant longtemps. Elle est devenue une composante du fonctionnement social. Quelle est la tâche de la philosophie ? Pour Céline Lefève, professeur de philosophie (Université Paris 7), il s'agit de décrire et comprendre ce que la science médicale fait aux soignants et aux soignés. Non qu’ils en aient l’exclusivité : ce sont bel et bien les malades et les professionnels de santé qui sont aux avant postes. Les philosophes aident à dire.

Le soin est aujourd'hui au centre des débats entre médecine et éthique, entre le "care" et la politique, entre l'homme et le monde...

Du cure au care...

En empruntant à l’anglais, nous avons pris l’habitude de distinguer deux facettes du soin : le cure et le care. La première indique des pratiques pouvant assez facilement être décrites, la seconde une attention ou une sollicitude envers la personne concernée. En santé, la première vise la maladie, la seconde le malade. Urgentiste, Jean-Christophe Mino, directeur du centre national de ressources en soins palliatifs a écrit un très beau livre qui montre que l’une ne va pas sans l’autre2. Se priver de l’une, c’est soit tomber dans une technicité qui risque fort d’être inefficace par manque de discernement clinique, soit sombrer dans les bons sentiments, bien dangereux. Le mot français « soin » qui allie les deux n’est donc pas si mal. Mais il est vrai que la formation des professionnels de santé ne les prépare guère à conduire les deux à la fois, d’où le profond désarroi de nombreux étudiants placés devant un « vrai » malade.

Que faire ? C'est la sempiternelle question des soignants, qui ont du mal à s’empêcher d’agir. Il faut ménager un temps à l’écoute, au simple fait d’être un témoin de l’histoire que raconte le malade qui tente ainsi de maintenir la continuité de sa vie. Comme dit Jean-Claude Ameisen, médecin, chercheur en biologie, immunologiste, il faut lui laisser le loisir de s’approprier l’étranger qui est apparu en lui, peut-être là depuis toujours mais inconnu, et de réaliser que le malheur n’arrive pas qu’aux autres.

La démarche ne va cependant pas sans risque, pour le soignant comme pour le soigné. Nous avons tous le besoin de dépendre de quelqu’un. Comment être un soignant « fiable » sans abuser de son pouvoir ? Qu’est-ce qui se passe en lui d’imprévisible lorsqu’un malade se remet à quelqu’un ? Pour maîtriser ces problématiques, il faut être formé et disposer d’un cadre de travail strict. Pour Frédérique Bisiaux, la psychanalyse offre de loin la plus complète des protections…

Le soin n'est pas seulement la réponse technique et éthique aux besoins de l'homme qui souffre mais, à travers des expériences, des relations et des pratiques diverses, une dimension constitutive de la vie individuelle et collective.

Le soin : une clinique de l’intelligence des signes du souffrir...

Il est cependant sans doute possible de travailler la singularité de l’expérience de chaque patient tout en repérant des récurrences servant à mettre en place des points de repère pour s’orienter dans l’action. Nathalie Zaccaï-Reyners, sociologue et philosophe, en donne un excellent exemple à partir de l’étude de Jeannette Pols, ethnologue hollandaise3. Bien qu’ayant constaté une très grande diversité des pratiques de la toilette dans les établissements psychiatriques, elle a pu les grouper en quatre « répertoires » selon l’attitude des soignants :

  • premier répertoire : la toilette est une affaire strictement privée, les professionnels n’ont pas à s’en mêler ; si le patient refuse de se laver, c’est lui que ça regarde ;
  • second répertoire : faire sa toilette est une compétence basique pour vivre en collectivité ; il faut aider le patient à l’acquérir ;
  • troisième : la toilette est une compétence basique, mais prérequise pour conduire un projet de vie ; plus qu’une compétence, elle est une capacité ;
  • quatrième répertoire : la toilette est une activité relationnelle, qui permet d’être autonome tout en entretenant des liens avec d’autres.

Cela participe sans doute à ce que Paul Ricoeur, le philosophe constamment présent dans les réflexions de ceux qui réfléchissent sur le soin, appelait une clinique de l’intelligence des signes du souffrir.

• Colloque « Le soin aujourd’hui : questions vitales et textes clefs », vendredi 23 janvier 2015, ENS, Paris.

Notes

  1. Autour de la collections Questions de soins, dirigée par Frédéric Worms, série d’ouvrages courts introduisant chacun à une dimension du soins. Dernier titre paru : « À quel soin se fier ? – Conversations avec Winnicot. » PUF, 2015. 136 pages, 9,50 euros.
  2. Dans la même collection : Jean-Christophe Mino. « Soins intensifs. La technique et l’humain. » PUF, 2012. 64 pages, 6 euros. Lire aussi l'article sur le blog de Serge Cannasse Carnets de santé
  3. L’étude de Jeannette Pols (« Laver le citoyen ») est disponible en ligne, dans une traduction française par Nathalie Zaccaï-Reynerts.

Serge CANNASSE  Journaliste, photographe


Source : infirmiers.com