Les aides-soignant(e)s sont-elles vraiment indispensables lors des transmissions ? Pour quelles informations ? Nous interrogeons cette posture professionnelle puisqu’en cas d’absences (pour aller répondre à une sonnette ou du fait du dépassement du temps de travail) les transmissions continuent sans elles ? Suite à l’étude et l’observation de dynamiques de groupes lors de relèves inter-équipes et aux entretiens menés avec l’encadrement d’unités de soins, la plupart du temps les infirmièr(e)s sont seul(e)s à prendre la parole. Quelle est la valeur ajoutée des aides-soignantes muettes à ces transmissions ?
Moment clé dans la prise en charge des personnes soignées, les transmissions permettent aux différents professionnels, acteurs du prendre soin, de partager et d'échanger sur l’évolution de l’état des patients. Lorsqu’ils sont présents lors ce temps dédié à la continuité des soins, les aides-soignants 1 (AS) semblent ne faire que de la figuration puisqu’ils ne prennent que très peu la parole, voire restent même silencieux entre eux. Pourtant du fait des organisations de travail, en dehors du binôme symbolique, les infirmiers 2 (IDE) et les AS sont souvent amenées à réaliser les soins aux patients séparément. L’idée d’interroger et d’analyser ce silence paraissait nécessaire afin de mettre en évidence le risque d’une perte de sens. Occulter le regard spécifique voire spécialisé d’une catégorie professionnelle ne diminue-t-il pas la vision globale que nous avons du patient ? Alors pourquoi ce silence ?
La relève : inévitable guerre des cultures (ou de territoire) ?
D’un point de vue anthropologique, les AS et les IDE peuvent être considérées telles deux tribus qui, de par leur proximité, partagent un même territoire. De cette proximité naissent des tensions et la mise en place naturelle de rituels permet à ces tribus de vivre ensemble. Le phénomène d’acculturation, qui résulte de la rencontre de la culture infirmière et de la culture aide-soignante et de leur interpénétration, va produire des rituels pour faciliter le vivre-ensemble. Certains rituels de cultures dominantes peuvent contribuer à la disparition de rituels d’autres cultures plus discrètes. Nous avons pu remarquer que lors des transmissions inter-équipes les aides-soignantes se positionnaient en retrait des infirmières et ne prenaient que très peu la parole. Lors de notre travail de recherche, nous nous sommes demandés si le silence des aides-soignantes n’était pas le résultat de la domination de la culture infirmière sur celle des aides-soignantes. Nous avons compris que ce silence avait plusieurs facettes :
- Ce silence pouvait être le résultat d’une forme de soumission librement consentie qui leur conférait aussi un certain confort.
- D’autre part, ce silence pouvait être une forme de prise de pouvoir, car en retenant certaines informations, les aides-soignantes peuvent se rendre indispensables.
Mais qu'en est-il du rôle du cadre de santé ?
Occulter le regard spécifique voire spécialisé d’une catégorie professionnelle ne diminue-t-il pas la vision globale que nous avons du patient ?
Transmissions des aides-soignantes : sacerdoce du cadre de santé ?
Suite aux évolutions de l’hôpital, les missions du cadre de santé ont évolué passant de la surveillante qui comme le définit son nom avait un rôle de contrôle et était très présente aux transmissions afin de contrôler leur contenu et la prise de parole de tous, au cadre de santé dont les missions de gestion ont pris une place plus importante. Et face à ces contraintes, les cadres de santé sont de moins en moins présents aux transmissions orales, laissant les infirmières et les aides-soignantes s’organiser entre elles. Certains cadres assistent régulièrement aux transmissions afin d’assurer un rôle de distribution de la parole essentiellement au regard des aides-soignantes. La majorité des cadres de santé a pris conscience de l’importance de la parole des aides-soignantes pour enrichir les transmissions infirmières mais ils n’ont pas conscience que leur absence puisse influencer le déroulement des transmissions ce qui peut paraître paradoxal.
Concernant les transmissions écrites , les aides-soignantes n’écrivent que très peu et semblent se contenter de croix dans un diagramme de soins. Plusieurs cadres interviewés l’expliquent par le fait que les aides-soignantes n’ont pas la culture de l’écrit et qu’elles ont des difficultés à écrire (faute d’orthographe, problème de syntaxe). Les cadres de santé n’ont pas de critère d’évaluation de la qualité des transmissions et se limitent à évaluer la présence ou l’absence des transmissions aides-soignantes.
N’est-ce pas une façon pour les cadres de santé de se déresponsabiliser de l’échec du passage à l’écrit des aides-soignantes ?
Il paraît également important d’intégrer les aides-soignantes aux projets de recherche, à la publication d’articles mais également à (...) l’enseignement des aides-soignantes auprès des instituts de formation.
Des représentations péjoratives à la valorisation
Comme dit précédemment, nous avons découvert lors de notre travail que les cadres de santé interviewés semblent avoir des représentations péjoratives de la fonction aide-soignante malgré la prise de conscience de l’importance de leur parole. Rares sont ceux qui connaissent le contenu de leur formation. Alors comment le cadre de santé peut-il participer à la valorisation de la parole et de ce savoir soignant ?
Les pistes qui suivent se présentent comme un livre ouvert qu’il convient d’écrire ensemble et le cadre de santé porte une responsabilité dans la construction d’une parole soignante fédérée.
La présence régulière du cadre de santé lors des différentes transmissions semble essentielle afin d’observer et d’analyser leur déroulement. En fonction des besoins, le cadre peut très bien envisager de proposer des groupes de travail pour travailler l’auto-valorisation des aides-soignantes .
Il nous semble intéressant de pouvoir organiser en collaboration avec l’équipe médicale, des espaces de rencontre mensuels ou bimensuels en invitant les infirmières et les aides-soignantes à une présentation de cas, un retour de formation, une innovation en termes de prise en charge. Cela permettrait à l’ensemble des acteurs de prendre l’habitude de parler ensemble de situations prévalentes, les aborder de façon pluridisciplinaire et donner ainsi du sens à la prise en charge du patient.
Rien n’empêche le cadre de santé de confier aux aides-soignantes des projets dont elles-seules seraient les pilotes, tout en les accompagnant. Le management par la confiance est à promouvoir pour libérer la créativité des soignants. Il paraît également important d’intégrer les aides-soignantes aux projets de recherche, à la publication d’articles mais également à les inciter à valoriser l’expérience, l’enseignement des aides-soignantes auprès des instituts de formations.
Rien n’empêche le cadre de santé de confier aux aides-soignantes des projets dont elles-seules seraient les pilotes, tout en les accompagnant.
Pour en savoir plus : « Du silence de l’aide-soignante à l’éthique de management » Mémoire professionnel en vue de l’obtention du diplôme d’état de cadre de santé. Mai 2016.
Ce mémoire est disponible à l’infothèque de l’IFCS de Toulouse.
Notes
- Lire partout aide-soignant / aide-soignante
- Lire partout infirmiers/infirmières
Alice SECHAUD-KERMEL Cadre de santéCHU de Toulousealice.kermel@hotmail.fr
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