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RECHERCHE

Le printemps angevin de la recherche en soins perdure

Publié le 17/06/2015
Yann Bubien

Yann Bubien

JFRS

JFRS

Près de 500 paramédicaux, dont un certain nombre de francophones, ont participé à l’acte II des Journées francophones de la recherche en soins (JFRS) qui se sont déroulées de nouveau à Angers les 9 et 10 avril 2015. Pour l’occasion, le CHU angevin, l’instigateur de l’événement, avait concocté un programme décliné sous forme de tables rondes et d’ateliers, où ont pu être discutés les principaux enjeux de la recherche en soins. Compte rendu de cette rencontre qui a par ailleurs questionné et mis en exergue l'apprentissage des collaborations industrielles.

La recherche en soins infirmiers reste encore difficile à appréhender pour bon nombre de paramédicaux...

C’était il y a deux ans : le CHU d’Angers faisait le pari de la recherche paramédicale en initiant les 1res Journées francophones de la recherche en soins (JFRS) . Fort de son succès, et comme il l'avait annoncé en clôture de ce premier événement, l’établissement de santé organisateur a réitéré l’initiative mi-avril 2015. Avec la même envie, le même dynamisme, la même volonté affichée de mettre en lumière cette nouvelle discipline. Et toujours aussi sous l’impulsion forte de son directeur, Yann Bubien, qui a souhaité en ouverture de ces 2es JFRS qu’elles soient « un levier du changement en favorisant l'expansion d'un véritable savoir paramédical porteur de l'amélioration des pratiques ».

La même envie, le même dynamisme, la même volonté affichée de mettre en lumière cette nouvelle discipline qu'est la recherche paramédicale...

Enjeux multiples

En écho aux ateliers de recherche clinique de Giens de 2013, ces 2es JFRS qui se sont déroulées sur le thème "Recherches industrielle et académique : lien entre sciences et pratiques cliniques", visaient plusieurs enjeux.

Quid d'un cadre universitaire

En effet, il s'agissait d’abord de réfléchir ensemble à un cadre universitaire pour la formation des soignants. Car il est certain que plus les professionnels de santé seront sensibilisés tôt à la recherche, plus ils seront nombreux à obtenir un master et/ou un doctorat1. D’où la nécessité d’une sensibilisation qui passe par un enseignement en formation initiale et qui doit s’inscrire dans une universitarisation de la formation2. Reste qu’en France, l’enseignement des professions soignantes est une des rares formations à ne pas intégrer le schéma licence, master, doctorat (LMD). Comme n’a pas manqué de le souligner Monique Rothan-Tondeur, titulaire de la chaire Recherche en sciences infirmières – désormais hébergée à l’université Paris 13 par le Laboratoire Éducations et pratiques de santé (Leps) –, on est rentré à l’université mais par la petite porte. De fait, la figure de l'enseignant-chercheur ou de l'hospitalo-universitaire est quasi-inexistante dans le paysage paramédical. Toute la filière de formation initiale est à revoir. Cela permettra d’une part de familiariser les soignants avec la recherche et d’autre part de faire émerger des personnes ressources que sont les enseignants chercheurs, a préconisé Marie-Claude Lefort, coordonnateur des  soins du CHU d’Angers.

Un vivier de chercheurs chez les infirmier(e)s…

Puis créer dans la profession infirmière le vivier nécessaire à l’émergence d’un nombre suffisant de chercheurs capables de produire des connaissances utiles a plaidé de son côté Isabelle Richard, doyen de la faculté de médecine d’Angers. Car ce qui manque aujourd’hui ce ne sont pas tant les financements qui ne sont pas absents (lire ci-dessous) mais les experts, porteurs d’une double formation en soins infirmiers et en recherche, les équipes de recherche structurées autour de ces questions, et parfois la reconnaissance de la pleine légitimité  de ce champ de recherche. Et ces trois problèmes ont une solution commune […] l’entrée de plain pied dans l’université, a-t-elle ajouté, formulant ainsi le vœu de dépasser les réticences […] entretenues par des postures du monde universitaire et de celui des soins infirmiers.

Yann Bubien, directeur du CHU d'Angers, particulièrement engagé dans cette mise en avant de la recherche paramédicale...

Les liens avec les industriels de la recherche...

Autre enjeu encore, renforcer le lien avec les acteurs industriels de la recherche, souvent promoteurs d'innovations. La vision réductrice de "l’industriel commerçant" n’a pas lieu d’être. Différentes collaborations sont possibles et cela est en cohérence avec la conjoncture actuelle. Il s’agit d’une  stratégie gagnant-gagnant pour tous. Il faut se positionner selon ses objectifs toujours  en gardant le cap sur l’objectif visé, trouver un équilibre et pas non plus courir après l’argent, a expliqué Isabelle Fromantin, docteur en sciences, experte en plaies et cicatrisations à l’Institut Curie.

Toute la filière de formation initiale est à revoir. Cela permettra d’une part de familiariser les soignants avec la recherche et d’autre part de faire émerger des personnes ressources que sont les enseignants chercheurs

Constats, freins, atouts et leviers d’action

Trois enjeux forts mis en exergue compte tenu de l’état des lieux dans lequel se trouve aujourd’hui la recherche en soins.

Un outil de coordination ?

À savoir, selon Chantal Eymard, infirmière PhD., MCU HDR, Université d’Aix-Marseille et présidente du comité scientifique de ces JFRS, une recherche comme outil de coordination qui intéresse différentes disciplines, est financée, dont l’utilité sociale est reconnue, se pratique d’abord et avant tout dans les milieux cliniques et dont le transfert de connaissances des milieux scientifiques aux milieux de soin est variable selon les pays tout comme la publication de travaux dans des revues scientifiques et professionnelles. À noter aussi, la participation de différents acteurs plus ou moins impliqués dans le processus de recherche : chercheurs de métier, praticiens chercheurs (ils ne sont pas nommés mais ont une appétence, avec une thématique de recherche en lien avec la clinique ; c’est le cas par exemple d’Isabelle Fromantin), contributeurs, professionnels cliniciens, enseignants/formateurs, patients et leurs familles. Pour Monique  Rothan-Tondeur, les freins au développement de cette nouvelle discipline tiennent au trop peu d’équipes, manque de compétences et à l’absence de discipline. Pour Chantal Eymard, ils relèvent du corporatisme, de l’isolement des chercheurs et praticiens chercheurs, de la difficulté de positionnement dans la communauté scientifique nationale et internationale, de l’inappétence de certains professionnels, au manque de formation, à l’absence de laboratoire de recherche spécifique et à la non maîtrise de l’anglais.

Toutefois, la recherche en soins ne manque pas d’atouts. Monique  Rothan-Tondeur a ainsi noté la grosse force professionnelle, les nombreuses thématiques, le grand potentiel de publications, la volonté politique et nationale, les financements dédiés (PHRIP), les forts partenariats possibles. Ni de leviers d’action pour la "faire grandir" comme le soutien des équipes, la reconnaissance institutionnelle, l’intégration des paramédicaux dans les DRCI, l’interdisciplinarité, la coordination pluriprofessionnelle, la formation à la recherche, le partenariat avec les patients, la capacité critique, les communications des travaux, la reconnaissance internationale. D’où la nécessité de développer des réseaux3 de chercheurs paramédicaux […] car on ne fait pas de la recherche tout seul, a indiqué pour sa part Chantal Eymard.

Toujours est-il que plus que d'être "mal perçue", la recherche en soins reste encore actuellement pour bon nombre de paramédicaux avant tout difficile à appréhender faute de moyens, de temps pour s'y investir, ou encore, de connaissances suffisantes en matière de méthodologie. Pour autant, peu à peu les questions de terrain soulevées par des soignants, impliqués et au plus près de patients toujours plus informés, sont de plus en plus nombreuses à évoluer en projets de recherche à part entière.

Quid des financements

Nerf de la guerre, le développement des financements n’y est bien sûr pas étranger. Pour ce faire, les porteurs de projets peuvent répondre à des appels à projets (AAP) pilotés par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), comme les Preps4 ou le PHRIP (une vingtaine par an). S’ils sont retenus, ils bénéficieront alors des financements ministériels dédiés (4 418 369 € pour les 28 projets retenus de l’AAP PHRIP 2014). Mais d’autres voies de financement existent, qu’il s’agisse d’AAP internes propres aux établissements ou émanant d'associations de patients, de partenariats industriels, de mécénats…

Quel soutien des institutions ?

Le déploiement de la recherche passe aussi par un autre levier majeur qui n'est autre qu'un soutien sans faille des institutions et en particulier de leurs directions générales. Quelques CHU pionniers en la matière5 montrent l’exemple comme celui de Rouen qui via son trophée annuel "Innov'à soins" récompense les innovations paramédicales dont les plus ambitieuses sont déployées en projets de recherche, celui de Limoges où, depuis 2009, 8 PHRIP ont été retenus et dont l'objectif poursuivi en 2015 est d'initier des ateliers de lecture critique d'articles de recherche au niveau des secteurs de soins pour optimiser l'activité de recherche paramédicale. C'est le cas aussi du CHU de Grenoble qui a mis en place depuis plusieurs années une commission recherche paramédicale pluriprofessionnelle et qui cette année va permettre notamment aux paramédicaux d'accéder à la plateforme d'e-learning FORMEDEA sur la méthodologie de recherche. Le CHU grenoblois va également mettre en place un référent recherche paramédicale au sein de chaque pole. C'est le cas encore du CHU de Dijon qui prend en charge le financement de masters et de thèses au titre de la formation professionnelle continue6 ou qui, entre autres, a aussi permis à un cadre supérieur de santé de bénéficier d'une formation universitaire à la méthodologie de la recherche7. Quant au CHU d'Angers à l’initiative de ces journées, son soutien aux projets de recherche paramédicale est aussi manifeste, que ce soit pour ceux présentés dans le cadre du PHRIP que pour ceux retenus dans le cadre d'un appel d'offres interne annuel, lesquels bénéficient du financement de l'institution8. Et il en est de même pour son profond ancrage au terrain : Le CHU a recruté un patient-expert au sein de l’unité d’éducation thérapeutique du patient (ETP) […] une personne suivie pour une pathologie et qui est également ingénieure en ETP, et aujourd’hui encore engagée dans un parcours universitaire en ETP. C’est une personne ressource, une hospitalière, que je suis amené à solliciter pour la coordination et les travaux de rédaction de projets de recherche. Ce fonctionnement est au cœur de cette logique de recherche en soins pour les patients et par les patients relate ainsi Laurent Poiroux, coordonnateur de la recherche en soins de l'établissement. Une illustration emblématique de la philosophie des acteurs de la recherche paramédicale dont la visée première est d’abord l’amélioration des pratiques de soins au bénéfice des patients.

Recherche infirmière : des initiatives remarquées

  • Prix Recherche Sciences infirmières

    La Chaire Recherche Sciences infirmières devrait initier fin 2015-début 2016 un Prix Recherche Sciences infirmières afin de promouvoir la recherche décliné en trois catégories : "chercheur confirmé", "jeune chercheur" et "meilleure publication scientifique". Pour en savoir plus.

  • Une nouvelle revue scientifique consacrée à la recherche

    La Revue francophone internationale de recherche infirmière a très officiellement été lancée à l’occasion de ces 2es JFRS, avec la parution du n°1 (mars). Éditée par Elsevier Masson, cette revue scientifique sera trimestrielle et accessible uniquement en version électronique (excepté ce n°1 de lancement imprimé). Un choix qui offre une meilleure « accessibilité et visibilité » des contenus, mais aussi la possibilité de proposer la prépublication des articles validés  ou encore l’insertion de compléments multimédia.

  • Les prix des JFRS

    Lors des dernières Journées francophones de la recherche en soins (JFRS) les 9 et 10 avril derniers, trois équipes ont été distinguées pour la pertinence et l'impact de leurs travaux.

  • Trophée Cefiec 2015 

    Depuis près de 7 ans déjà, le Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec) récompense par le biais d’un concours national annuel les meilleurs travaux écrits de fin d’études (TFE) des étudiants d’Ifsi et d’IFCS. Pour la 2e année, ces trophées sont aussi ouverts aux cadres formateurs en Ifsi ayant obtenu un master 2 hors formation cadres. Les trophées 2015 ont été remis le 28 mai dernier dans le cadre des 70es Journées nationales d'études du Cefiec qui se sont déroulées cette année à Caen.

Notes

  1. Près de 200 aujourd’hui, 54 en 2010 sur près de 600 000 infirmières.
  2. Lire article Nurses for the Future.
  3. http://www.frqs.gouv.qc.ca ; http://riups.org
  4. Depuis 2012, les programmes de recherche sur la performance du système de soins (Preps) remplacent les projets de recherche en qualité hospitalière (Preqhos).
  5. La liste de soutiens qui suit n’est bien entendu pas exhaustive, loin s'en faut.
  6. La première thèse en sciences infirmières, intitulée "Le soin-communicant : un espace de médiation en vue de la construction d'une professionnalité soignante" a été soutenue le 16 octobre 2014 par Philippe Viard, formateur à l'Ifsi  du CHU. Par ailleurs, plusieurs professionnels sont inscrits en master et doctorat.
  7. Master 2 suivi à l'université Aix-Marseille en 2014.
  8. En 2014, l'enveloppe interne de 50 000 € a permis de financer des études portées par des soignants de néphrologie, néonatalogie et du service des soins de suite et soins de longue durée.

Valérie HEDEF  Journalistevalerie.hedef@orange.fr


Source : infirmiers.com