Le portfolio, voici un mot qui résonne dans le langage professionnel infirmier depuis la sortie du nouveau programme de formation 2009. Beaucoup de questionnements se dégagent de cet outil. Est-il un simple outil d’évaluation ou un outil pour soutenir la démarche réflexive ?
Chacun y porte un regard différent donc y voit des objectifs différents qui peuvent être contradictoires dans l’élaboration de l’apprentissage de l’étudiant.
Origine
D’origine anglaise, ce mot « désignait au départ un carton double, pliant, servant à renfermer des papiers. Il avait lui-même été emprunté à l’italien portfolio.»1
Le concept de portfolio est historiquement associé aux disciplines des arts notamment en architecture, en photographie ou en arts plastiques. Dans ce cas il correspond à un document regroupant un échantillonnage des réalisations de l’artiste, représentant au mieux leurs compétences et montrant leur évolution à différents moments de leur carrière. (Klenowski 2002). Il est destiné à être présenté à différents interlocuteurs tels que les maisons d’éditions, des clients…. Le concept de portfolio s’est ensuite élargi au domaine de l’éducation et de la formation et ceci au départ en Amérique du Nord, de la maternelle à l’Université.
Pourquoi un portoflio ?
Comme peuvent le dire différents auteurs, le portfolio peut prendre différents visages et être à la fois un outil et une démarche.
Un outil car il permet de garder des traces, des écrits, des croquis…. De la progression de l’étudiant.
Ainsi il peut être :
- Un outil d’apprentissage permettant de collecter un ensemble de travaux de toutes sortes, achevés ou non, accompagnés de réflexions de l’apprenant sur ses réalisations. (M.E.Q. 2002).
Ces travaux sont choisis pour certains par l’élève seul en lien avec une compétence donnée, d’autres sont choisis conjointement avec l’enseignant. Selon Jalbert, ce portfolio permet de poursuivre différents objectifs.
Dans un premier temps il permet d’identifier les progrès de l’élève sur une période donnée, de le valoriser et l’encourager dans sa démarche d’apprentissage. D’autre part il va permettre de poser un diagnostic mettant en lumière les forces et difficultés de l’apprenant dans ses acquisitions de compétences (Jalbert 1997). Dans un portfolio d’apprentissage l’étudiant doit commenter les moyens mis en œuvre pour réaliser ses travaux (M.E.Q. 2002).
Il est évident qu’une interaction entre toutes les données et le chemin de pensée de l’étudiant sont indispensables pour prendre conscience des apprentissages réalisés.
Cette manière de cheminer va instaurer indéniablement une autre dynamique pédagogique car comme nous l’avons vu d’un outil d’apprentissage nous allons passer à un outil de réflexion, à un outil d’analyse de sa pratique soignante, à un outil d’autoévaluation. Le portfolio est donc bien là pour soutenir et encourager les apprentissages en témoignant de la progression de l’apprenant lors de l’acquisition de ses compétences.
- Un outil de présentation permettant à l’apprenant, comme un artiste de mettre en lumière ses œuvres. Il va ainsi exposer ses réalisations à ses pairs, à des formateurs, à des professionnels de secteurs variés.
A travers les éléments choisis par l’étudiant l’auditoire va découvrir le chemin parcouru dans les apprentissages et dans l’acquisition du développement des compétences transversales en formation. L’apprenant va devoir argumenter ses choix et apprendre à porter un regard critique sur son travail. Le formateur va orienter sa démarche pédagogique afin de « responsabiliser l’élève sur sa dynamique d’apprentissage » (Jalbert 1997). Progressivement l’étudiant va avoir de la « fierté » à exposer ce qu’il a fait
- Un outil d’évaluation permettant d’évaluer le niveau de développement des compétences de l’apprenant, tout au long de son apprentissage, et ceci en lien avec les compétences attendues.
Dans ce cas nous sommes dans une forme d’évaluation sommative pouvant mener à l’obtention d’unités de valeurs voire à l’obtention d’un diplôme.
Les travaux sont le plus souvent choisis par le formateur qui sélectionne un échantillon des réalisations de l’apprenant permettant de porter un jugement sur le niveau de compétence atteint.
- Une démarche car il responsabilise l’étudiant, le situe au centre de son cheminement et l’incite à réfléchir sur son processus d’apprentissage en dégageant ses forces, ses atouts, ses difficultés et les moyens pour s’améliorer.
Il est évident qu’en fonction de l’objectif poursuivi le portfolio va prendre différents visages et répondre à une forme pédagogique spécifique. Faut-il faire un choix entre un portfolio d’apprentissage ou un portfolio d’évaluation ?
N’est-il pas possible de croiser les deux logiques en créant des outils appropriés ? Comme peuvent le dégager Arter et Spandel, 1992, le portfolio prend deux orientations : l’une comme soutien à l’apprentissage et l’autre comme outil d’appréciation au terme d’une période prédéfinie. Néanmoins il me semble important de distinguer les deux afin de ne pas se tromper d’objectif.
Le portfolio interroge nos façons de concevoir l’apprentissage mais également l’évaluation. Pour certains pédagogues il va falloir entrer dans d’autres modèles pédagogiques et remettre en cause ses habitudes. En effet le portfolio ne repose pas sur un corpus de connaissances à apprendre et à évaluer, mais aborde un autre champ, celui de l’autoévaluation.
L’apprenant tel un compositeur va créer son œuvre en la faisant évoluer au rythme de ses apprentissages, de ses recherches, de ses rencontres pour témoigner d’une progression au travers de sa partition. Les formateurs vont accompagner les séquences d’apprentissage afin d’aider à la mise en évidence de l’évolution de la mélodie. Pour cela il va falloir que le jeune apprenti musicien prenne conscience de ses apprentissages, qu’il identifie ou les harmonies et les dissonances apparaissent et qu’il envisage la manière de combler les écarts en proposant des mesures correctives.
Par ailleurs, pour certains auteurs, par exemple Desjardins, le portfolio peut être un outil permettant le développement personnel et professionnel de l’apprenant. Dans ce cas, la collection de travaux va mettre en lumière le cheminement de l’étudiant dans l’acquisition de ces compétences professionnelles. Ainsi, cette manière de fonctionner va l’accompagner tout au long de sa formation, voire de sa vie. Cet outil va valoriser ses compétences, ses acquis, va s’associer à la construction de son parcours d’apprentissage.
Le portfolio de développement va servir à créer des liens entre la théorie et la pratique qui sont à la base des actions et des interventions soignantes. Ainsi la « pratique réflexive » prendra tout son sens. En effet, comme peut le dire Desjardins ce type de portfolio permet à l’étudiant :
- L’explicitation de ses choix de développement professionnel grâce au recueil des données sur ses croyances, ses connaissances, ses habilités et ses compétences qui vont valoriser son cheminement et sa démarche de réflexion.
- De s’auto évaluer, en prenant conscience de sa pratique,
- De prendre conscience de son cheminement et de ses orientations professionnelles et ceci grâce à l’analyse et la prise de décisions éclairées conduisant à son développement professionnel et personnel.
Le portfolio de développement professionnel a pour fonction d’améliorer la qualité de l’apprentissage, de favoriser l’encadrement en permettant la « traçabilité » de l’apprentissage et de son accompagnement. Dans un deuxième temps, il consiste à favoriser l’autoévaluation « authentique » de l’apprenant qui le conduira à une meilleure connaissance et à une meilleure estime de soi.
Un parcours d'apprentissage à construire
Bergson disait : « La théorie sans la pratique est impuissante et la pratique sans la théorie est aveugle » en ce sens il posait déjà le cadre.
La formation infirmière est construite sur le principe de l’alternance autour de la notion d’un parcours d’apprentissage. Ainsi, le chemin de formation de l’apprenant va s’orienter en fonction de ses besoins individuels d’apprentissage et de son projet professionnel.
L’apprenant va élaborer son parcours d’apprentissage en collaboration avec son référent du suivi pédagogique et son tuteur de stage. Le portfolio étant l’outil majeur de la traçabilité.
Mais qui dit alternance dit plusieurs lieux de formation dont au moins deux lieux. Un espace scolaire, IFSI, et un espace professionnel, le stage qui sont clairement définis dans le dispositif de formation. Ces deux lieux théorie et pratique sont considérés comme deux moments itératifs et donc indissociables du processus de formation des compétences.
Concrètement, le tuteur de stage, responsable de l’étudiant sur le terrain, va construire le parcours d’apprentissage, en accord avec l’apprenant, pour lui permettre de développer, au travers de différentes situations, des compétences.
Ainsi l’étudiant va arriver en stage avec des attentes, le tuteur va les écouter et les croiser avec les possibilités offertes par le service. Après négociation, un contrat sera établit entre les deux parties pour formuler le parcours d’apprentissage. Ce dernier sera réajusté en fonction des avancées de l’étudiant, lors des bilans successifs.
Les acteurs du portfolio ou l’histoire de Cécile
Qui va remplir le portfolio ? Quand ? Comment faut-il s’y prendre ? Faut-il avoir abordé les 10 compétences durant le stage ? Pour essayer de répondre à toutes ces questions, suivons l’itinéraire de Cécile étudiante de première année qui vient d’entrer en formation infirmière.
Deux jours après son arrivée, l’équipe pédagogique remet à Cécile un document appelé portfolio. Elle découvre le nom de son référent pédagogique qui va l’accompagner durant sa formation. C’est avec ce formateur qu’elle va construire son parcours d’apprentissage. Ainsi quelques semaines avant de partir pour son premier stage de cinq semaines, Cécile prend rendez-vous avec lui. Ensemble après un échange, l’étudiante va formuler ses attentes pour ce premier rendez-vous avec le monde professionnel. Ainsi, des objectifs de stage, des demandes situationnelles vont être retranscrits par Cécile dans son portfolio.
Puis Cécile va prendre contact avec son maître de stage. Ce dernier va assurer un accueil organisationnel. Il va lui préciser son planning, où se trouve le vestiaire….puis Cécile sera conviée à ce présenter pour son premier jour de stage.
A son arrivée en stage, Cécile est accueillie par des professionnels de proximité. Elle accompagne durant la matinée différents soignants qui lui présentent les caractéristiques du service et les spécificités de l’activité soignante. En début d’après-midi, le maître de stage échange avec elle au regard de son portfolio et lui présente les outils de suivi spécifiques à l’établissement et utilisés dans le service.
Les deux jours suivants, Cécile découvre l’exercice professionnel et commence à réaliser certains gestes encadrés par les professionnels de proximité. Ces derniers en fin de poste laissent une trace sur la feuille de suivi en notant leurs remarques sur les activités de soins réalisées.
Le troisième jour de stage Cécile découvre son tuteur qui revient de vacances. L’accueil pédagogique est ainsi réalisé sur un temps prédéfini connu de chacun. C’est en temps primordial. C’est de là que va dépendre la structure du stage. En effet, après un échange sur les demandes de l’étudiant, sur la lecture du portfolio, le tuteur va présenter son offre de stage. Le parcours d’apprentissage sera ensuite établit. Une sorte de contrat sera ainsi instaurée avec une trace écrite dans les documents de suivi de l’étudiant.
Par exemple pour ce premier stage l’étudiant devra se concentrer sur la compétence 1 et 3. Ainsi le chemin tracé, les professionnels de proximité vont accompagner l’étudiant dans différentes situations se rapportant aux compétences ciblées avec le tuteur. N’oublions pas que pour une situation une seule compétence peut être validée. Il faut donc offrir à Cécile plusieurs situations dans le champ d’une compétence afin de voir si elle sait y faire. La traçabilité est indispensable pour permettre ensuite au tuteur de valider ou non la compétence avec des données précises et ceci dans le portfolio.
Au début de sa troisième semaine de stage, Cécile retrouve le référent formateur du stage afin de réaliser un travail en réflexivité. Ensemble ils vont analyser une situation clinique. Cécile a écrit un texte racontant une aide à la toilette au lavabo chez une personne atteinte de démence qu’il faut guider.
L‘étudiante dans son récit témoigne de sa réflexion professionnelle, de son questionnement et de son avancé dans l’acquisition de la compétence 3. Après échange, une nouvelle demande situationnelle est proposée.
Tout au long du stage des bilans réguliers sont organisés avec le tuteur de stage. Les professionnels de proximité accompagnent l’étudiant dans la réalisation de son parcours d’apprentissage et laissent une trace écrite de sa progression.
En fin de stage, le tuteur et Cécile remplissent le portfolio et les documents d’évaluation grâce aux feuilles de suivi de stage.
De retour à l’IFSI, Céline prend un rendez-vous avec le formateur référent du suivi afin de faire le point sur son parcours de formation et envisager ensemble la suite de son itinéraire.
Comme peut le relater l’histoire de Céline, il devient indispensable que les différents acteurs de l’alternance travaillent ensemble et construisent le parcours d’apprentissage de l’étudiant.
A l’heure d’aujourd’hui, de nombreuses structures n’ont pas encore envisagé la création d’outils intermédiaires permettant de faire le lien entre le suivi de l’étudiant et le remplissage du portfolio.
Pour conclure, je dirais que le portfolio va permettre à l’étudiant :
- de gérer ses apprentissages,
- de les comprendre,
- de les relier entre eux de façon à structurer sa pensée professionnelle en leur donnant un sens, et en les articulant de manière à développer son identité professionnelle,
Tout cela dans un contexte permanent d’autoévaluation.
Aux questions pourquoi un portfolio ? Quel intérêt pour l’apprenant ?
Le portfolio engage l’apprenant dans une dynamique d’apprentissage différente car il va :
- l’inciter à prendre lui-même des décisions dans son parcours d’apprentissage,
- lui permettre de rassembler ses idées sur son cheminement personnel et professionnel,
- lui permettre de visualiser le fil conducteur de son apprentissage,
- lui permettre de préciser et de formuler ses objectifs de stage ou demandes situationnelles en regard de sa progression,
- lui donner l’occasion de se développer de manière autonome en réalisant des choix et en les argumentant,
- lui permettre de s’auto évaluer tout au long de son cheminement,
Enfin, il me semble qu’une nouvelle carte d’apprentissage, sorte de GPS, est à construire afin d’offrir à l’étudiant un itinéraire professionnel lui permettant d’accéder au cœur même du métier d’infirmière.
Notes
1 Office québécois de la langue française, 2004 http://www.oqlf.gouv.qc.ca/
Bibliographie
- Arter,J. Spandel,V « Using portfolios of student work in instruction and assessment » , educational Measurement : Issues and Patrice, Vol.11, n°1, p.36-44, 1992
- Baudrit. A, Tuteur : une place, des fonctions, un métier ? Ed. PUF, 1999
- Desjardins, Richard, le portfolio de développement professionnel continu
- Jalbert P, “Le portfolio scolaire : une autre façon d’évaluer les apprentissages”, Vie pédagogique, n°103, p31-33, avril-mai 1997
- Klenowski. V, « Developing portfolios for leaning and assessment: processes and principles », RoutledgeFalmer, Londres, 2002
- Tardif J., Le transfert des apprentissages – Montréal – Ed. Logiques – 222 p., 1999
- Schon D.a., Le praticien réflexif. A la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Ed. logiques, 1992
- Ministère de l’éducation du Québec (M.E.Q.), Direction des ressources didactiques, « Portfolio sur support numérique », Mai 2002
- Revue éducation permanente : Dossier L’alternance, pour des apprentissages situés n°172 et 173. 2007
- Revue éducation permanente : Dossier Peut-on former à la fonction d’encadrement n°178. Mars 2009
Isabelle BAYLE
Cadre de santé formateur
Master 2 en ingénierie de la formation et des compétences
Centre hospitalier de SAVERNE (67)
isabelle.bayle@ch-saverne.fr
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