La loi Claeys-Leonetti de 2016 a ouvert la possibilité aux patients en fin de vie à avoir accès, sous certaines conditions, à une sédation profonde et continue jusqu’au décès (SPCJD). Mais les Français se sont-ils bien appropriés ce nouveau "droit" mis en place ? Et les professionnels de santé sont-ils à l’aise pour la mettre en œuvre ? Pas vraiment. Selon, l’enquête menée par le Centre National des soins palliatifs et de fin de vie (CNSPFV), des difficultés subsistent notamment au niveau de la loi qui reste peu claire et aussi au niveau des équipes soignantes car ce texte va à l’encontre des pratiques établies jusqu’alors.
En fin de vie, notre objectif est d’accompagner au mieux car nous ne sommes pas tout-puissant alors emparons-nous de cette loi !
, s’exclame le Dr Valérie Mesnage, neurologue à l’hôpital Saint-Antoine au sujet de la loi Claeys-Leonetti. En effet, le texte prévoit, entre autres, le recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès pour des patients en fin de vie et en souffrance qui le désirent. Or, selon les données recueillies par un groupe de travail mandaté par le Centre National des soins palliatifs et de fin de vie (CNSPFV) , deux ans après l’adoption de la loi, peu de patients y ont aujourd’hui recours. Les experts du centre remarquent une certaine frilosité des équipes soignantes à la mettre en œuvre, engendrant de l’incompréhension voire parfois de la colère chez des familles qui ont essayé de l’obtenir pour leur proche en fin de vie
.
On constate une incompréhension qui mine les soignants autour de la fin de vie
Une loi qui crée de la confusion
On pensait que la loi simplifierait l’accès à la sédation en réalité cela ne facilite rien, bien au contraire. On remarque une confusion ne serait-ce que dans les termes employés. Des études internationales ont montré que le mot "sédation" en lui-même manque de clarté
, explique Pascale Gabsi, psychologue clinicienne au CHU de Toulouse. La loi serait donc interprétée différemment par les uns et les autres autant sur le plan conceptuel que pratique. Certains auraient du mal à faire la différence entre la sédation et le faire mourir
. Les législateurs ont essayer d’établir un texte qui permettent d’éviter tous reproches. Cependant, cette loi apporte de nombreuses précisions techniques qui exposent à la dispute et entraînent une embrouille terrible chez les médecins. C’est sa plus grande hypocrisie !
, estime Claire Nihoul-Fekete, chirurgien pédiatre, chef de service honoraire de l’hôpital Necker-Enfants malades. De même si on met en route la SPC et que la mort survient vite, c’est considéré comme de l’euthanasie, si elle survient après plusieurs jours, on a démarré le dispositif trop tôt
, remarque de son côté François Damas, réanimateur chef de service adjoint des soins intensifs au Centre hospitalier régional de la Citadelle à Liège en Belgique qui conclut qu’entre le laisser mourir et faire mourir, il est compliqué d’avoir une barrière vraiment étanche
.
Dans les services, on entend : "n’informons pas trop"
La parole des patients doit être centrale
Autre point mis en avant par le groupe de travail, la parole des patients n’est pas assez prise en considération. La loi déclare qu’une SPC est justifiée s’il y a des symptômes de souffrance réfractaire mais qui peut mieux que le patient dire si sa douleur est réfractaire ?
, s’interroge le Dr Claire Nihoul-Fekete. Une opinion partagée en partie par Pascale Gasbi, on nous envoie nous, les psychologues, en première ligne pour remonter le moral des patients quand ils demandent une sédation profonde et continue, voire parfois les clowns. Il y a une résistance au sein des équipes
.
Sans compter que pour les spécialistes en unité de soins palliatifs, les protocoles en vigueur selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) fait que l’on augmente les doses très progressivement. Le patient peut se réveiller à plusieurs reprises
, précise Pascale Gabsi. Un processus qui n’est pas optimal donc que ce soit pour le patient ou pour sa famille, voire aussi pour les soignants. Pour Françoise Elien, également psychologue clinicienne et directrice du réseau SPES dans l’Essonne, les préconisations de la HAS sont pertinentes car elles reposent sur une base scientifique elles sont applicables dans un contexte idéal, mais du coup, elles ne se prêtent pas à toutes les situations. Il faut avoir un temps d’échange avec le patient, prendre le temps de comprendre et d’analyser la nature de sa demande
.
Une relation soignant/soigné modifiée
Cependant, ce type de demande n’est pas facile à entendre pour un professionnel de santé. En règle générale, le médecin propose un traitement que le patient peut accepter ou refuser. En donnant au patient le droit de demander l’accès à une sédation profonde et continue jusqu’au décès, la loi favorise une certaine confusion des rôles au sein de la relation médecin/malade. Le médecin peut se voir la main forcée, ce qu’il n’aime pas, d’autant plus qu’il s’agit d’une pratique éthiquement sensible
, informe le rapport. La loi nous l’impose et c’est d’une violence extrême pour beaucoup de soignants car nous somme responsables de la rupture du lien. La mort est prochaine et il y a une co-construction du projet de mort, ce qui est tout à fait nouveau. Pourtant, être là pour accompagner et apaiser, c’est une responsabilité nouvelle qui honore le rôle des soignants
, estime le Dr Valérie Mesnage.
En parallèle, si le texte précise que ce droit devrait être accessible pour les personnes désirant mourir chez elles. Rien n’a été mis en œuvre pour qu’il soit effectif en ville
: médicaments non disponibles, insuffisance de moyens logistiques organisationnels et humains
, souligne le rapport.
Ainsi, face à toutes ces difficultés, nombreux sont ceux qui franchissent les frontières belges et suisses. Le Dr Delmas constate, en effet, un afflux de patients dont la sédation profonde et continue a été refusée depuis la médiatisation de la mort d’Anne Bert. Or, ces personnes viennent avec un courrier de leur médecin
.
Même si au niveau de la loi, certains termes sont et resteront ambigu
, d’autres points sont très améliorables
, affirme Véronique Fournier, présidente du Centre National. En effet, il est possible d’organiser au mieux l’accès à cette sédation pour que les patients ne se retrouvent pas otages de la position des professionnels
. Il est également question d’intensifier les actions d’informations afin que le sujet soit moins anxiogène, à cet effet une astreinte téléphonique pour offrir un coaching technique sur l’ensemble du territoire pourrait être mise en place.
Quoi qu’il en soit, pour le Centre National des Soins Palliatifs et de Fin de Vie, il ne faut pas nier le manque de clarté du texte mais en débattre et accepter que certains professionnels soient résistants à pratiquer la sédation profonde et continue
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Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com @roxane0706
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