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AU COEUR DU METIER

"La santé au travail doit être reconnue comme une spécialité à part entière"

Publié le 21/10/2019
Nadine Rauch

Nadine Rauch

Formation universitaire, reconnaissance d’une spécialité et d’un statut de salarié protégé, missions cœur de métier, pratiques avancées, risques émergents…, Nadine Rauch, présidente du Groupement des infirmiers de santé au travail (GIT), évoque pour infirmiers.com les principaux points en lien avec l'actualité des infirmiers de santé au travail. Un entretien réalisé lors de la 13e édition des Journées nationales d’études et de formation des infirmiers de santé au travail qui se sont tenues du 9 au 11 octobre 2019, à Toulouse.

Infirmiers.com - On estime à environ 6 000 le nombre d'infirmiers de santé au travail (IDE-ST). Comment sont-ils répartis ?

L’infirmier de santé au travail a un rôle primordial, en perpétuel évolution. Fort de ses compétences, formé, expert en son domaine, il doit savoir s’adapter aux besoins et attentes de l’entreprise dans le but de prévenir toute altération de la santé des salariés du fait de leur travail.

Nadine Rauch - Effectivement, près de 6 000 infirmiers exercent dans le domaine de la santé au travail, dans le secteur privé comme dans la fonction publique (d’État, territoriale, hospitalière), MSA…, c’est-à-dire partout où les gens travaillent. Une enquête menée en 2015 répartissait les IDE-ST pour un tiers en entreprises, un second tiers en services autonomes et un dernier tiers en services de santé au travail interentreprises (SSTI). En 2019, on peut considérer que le nombre d'IDE-ST exerçant en SSTI est un peu supérieur du fait du recrutement massif qui y a été opéré ces dernières années. En outre, il faut noter l’essor de la sous-traitance de la santé au travail, une prestation de service qui m’inquiète quelque peu.

Infirmiers.com - Les infirmiers qui souhaitent s'orienter vers la santé au travail doivent-ils justifier d'une formation spécifique ?

N.R. - La réforme du code du travail en 2016 (loi El Khomri) est venue compléter, renforcer l'obligation d'inscrire les IDE-ST à une formation en santé au travail en date de la circulaire de novembre 2012. Cette inscription à une telle formation (1) est en effet requise dans les douze mois suivant leur embauche. Quoi qu'il en soit, de plus en plus d'entreprises et/ou services interentreprises souhaitent que leurs IDE-ST valident le diplôme interuniversitaire de santé au travail (DIUST), la licence santé au travail et/ou un master en santé au travail afin de leur permettre d'acquérir des connaissances complémentaires et spécifiques à leur exercice professionnel. Et de façon plus générale, je dirais qu'il faut que les IDE-ST soient maîtres de leur destin. La profession évolue et cela passe notamment par la formation universitaire.

Infirmiers.com - Quel est le cœur de métier des IDE-ST ?

N.R. - L’IDE-ST conseille, propose en regard des risques professionnels. La prévention est son cœur de métier, sa mission prépondérante. Il faut d’ailleurs que l’infirmier de santé au travail sache se positionner comme un partenaire indispensable dans l’entreprise au niveau de la prévention. Pour ce qui est du soin, c’est notre base, notre socle de formation ; la culture du soin est ancrée en nous. Cependant, ce n'est pas notre mission première.

Il faut que les IDE-ST soient maîtres de leur destin. La profession évolue et cela passe notamment par la formation universitaire.

Infirmiers.com - Aujourd’hui, comment fonctionne le suivi de santé des salariés ?

N.R. - Cela manque quelque peu d’harmonisation. Dans le secteur public (en services de prévention), les professionnels sont vus tous les ans, tous les deux ans. Dans le secteur privé, en services inter-entreprises, la notion d’aptitude n’existe plus sauf pour les postes à risque. Le suivi de santé des salariés est donc espacé tous les cinq ans. Certains verront un médecin du travail, d’autres un infirmier en santé au travail puisque, au vu de ses compétences, de ses capacités, de son rôle propre, ce dernier est à même de poser un diagnostic infirmier et à faire les orientations nécessaires au besoin vers un spécialiste, le médecin du travail, ou le médecin généraliste. Pendant de nombreuses années, on était plutôt sur un système de surveillance médicale. Aujourd’hui, comme en témoigne le plan santé au travail 2016-2020, on axe davantage sur la prévention primaire. On souhaite que les infirmiers et l’équipe pluridisciplinaire travaillent en mode projet prévention avec des actions en collaboration avec les besoins de l’entreprise , avec l’évaluation de ses risques professionnels et qu'ils mettent en place des actions à court, moyen et long terme . C’est le sens de la prévention. Elle est là pour permettre d’anticiper certains risques et de prendre des mesures adéquates.

La santé au travail doit en effet être reconnue comme une spécialité à part entière, à l'instar de celle dont disposent déjà les médecins.

Infirmiers.com - Vous êtes à la présidence du GIT depuis près de trois ans. Quelles ont été vos priorités d'action ?

N.R. - En premier lieu, le développement de la formation. Il est primordial en effet que celle-ci ne soit pas effectuée uniquement par des médecins. Il faut absolument que les infirmiers montent en compétences au niveau master ou autre pour pouvoir eux-mêmes être des enseignants. Les infirmiers doivent travailler sur les contenus des formations car nous sommes sur le terrain. Il faut un regard infirmier et pas seulement médical. À ce propos, nous œuvrons, avec l'appui de l'Ordre national des infirmiers (ONI), à la création prochaine d'un conseil national professionnel (CNP) des IDE-ST afin de peser sur les décisions futures concernant leur formation (2). Cela nous permettra par ailleurs de lier le sujet de la pratique avancée . En second lieu, la reconnaissance d'une spécialité avec une formation diplômante. La santé au travail doit en effet être reconnue comme une spécialité à part entière, à l'instar de celle dont disposent déjà les médecins. Sur ce sujet, il importe que l’Ordre nous soutienne.

Infirmiers.com - Quid justement de la pratique avancée en santé au travail ?

N.R. - En fait, les infirmiers de santé au travail sont déjà dans la pratique avancée. Néanmoins, il faut que cela soit encadré par le législateur pour voir précisément ce que l’on intègre dans cette pratique avancée. J'ai bon espoir que dans un avenir proche un master de pratique avancée en santé au travail voit le jour. L'évolution des pratiques dans le suivi de santé appelle en effet les infirmiers de santé au travail à plus de responsabilités et de compétences.

Infirmiers.com - Par ailleurs, pourquoi militez-vous pour un statut de salarié protégé ?

N.R. - Ce statut vise à nous permettre de garantir notre indépendance et notre autonomie, sans subir de quelconques pressions de la part des employeurs. Nous sommes soumis au secret professionnel. Nous ne pouvons rien divulguer à l'employeur sauf accord du salarié (c’est seulement ce dernier qui décide de le faire ou pas). Là encore, les médecins en bénéficient. Alors, pour les mêmes raisons, pourquoi pas les infirmiers de santé au travail ?

Nous constatons toujours un grand nombre de troubles musculo-squelettiques (TMS), ainsi qu'un lien étroit entre ces TMS et les risques psychosociaux (RPS).

Infirmiers.com - De nouveaux risques émergent. Quelles sont les nouvelles pathologies rencontrées dans le cadre de la santé au travail ?

N.R. - Nanomatériaux, perturbateurs endocriniens, pesticides, pollution environnementale…, nous avons encore peu de recul face à ces nouveaux risques émergents. Pour autant, la profession s’adaptera en fonction des nouvelles pathologies qui vont surgir. Hormis cela, nous constatons toujours un grand nombre de troubles musculo-squelettiques (TMS), ainsi qu'un lien étroit entre ces TMS et les risques psychosociaux (RPS).

Infirmiers.com - Enfin, qu’en est-il du sentiment de mal-être au travail ? S’est-il accentué ces dernières années ?

N.R. - Pas plus qu’avant. Nous sommes dans une longue continuité de modifications des organisations de travail en lien avec la mondialisation. Depuis la crise de 2008, il y a un grand changement avec, dans les entreprises, une externalisation de toutes les fonctions support. On constate ainsi un large phénomène d’uberisation.

Notes

  1. L'article R4623-29 du code du travail n'en précise toutefois pas les modalités.
  2. Voir décret du 31 juillet sur les orientations pluriannuelles 2020-2022 (orientations 192, 193, 194)

Propos recueillis par Valérie HEFEFvalerie.hedef@ornage.fr


Source : infirmiers.com