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PSYCHIATRIE

« La recherche en soins en psychiatrie a besoin de se faire connaitre »

Publié le 09/01/2017
graffiti psy

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Actuellement la recherche en soins en psychiatrie se diversifie et s’intensifie. Si au niveau national, 93% des Programmes hospitaliers de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) sont portés par des CHU, à côté de cette filière, de nombreuses dynamiques locales se construisent. Les 3e Rencontres de la Recherche en Psychiatrie en sont un bel exemple comme nous l'explique son organisateur Jean-Paul Lanquetin, infirmier de secteur psychiatrique, praticien chercheur en soins infirmiers.

Infirmiers.com - Les 25 et 26 janvier prochains, se tiennent à Ecully les 3e Rencontres de la Recherche en Psychiatrie, un événement dont vous êtes l'organisateur. Parlez-nous de ce rendez-vous devenu incontournable pour les infirmiers exerçant en psychiatrie mais pas seulement...

Pour Jean-Paul Lanquetin, « la recherche en psychiatrie doit monter en puissance, contribuer à construire une dynamique pour mieux s’affirmer dans notre champ disciplinaire puis à l’extérieur de celui-ci ».

Jean-Paul Lanquetin - Ces rencontres se proposent de présenter des travaux de recherche en soins en psychiatrie , en cours ou réalisés, PHRIP ou hors PHRIP (Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale), français et francophone (Suisse, Belgique), locaux ou nationaux. Il s’agit également de contribuer à mettre en place un réseau d’échanges et d’appui « Recherche en soins en psychiatrie ». L’initiative d’un rendez-vous annuel de rencontres sur ce thème en constitue le maillage central. Notre objectif est de favoriser la connaissance de ces travaux et de faciliter les mises en lien des différents acteurs, tout en offrant une possibilité de présentation dans un format qui favorise les échanges. La recherche en soins en psychiatrie, diversifiée, souvent isolée et encore marginale, a besoin de se connaitre et de se faire connaitre. Il s’agit de monter en puissance, de contribuer à construire cette dynamique pour mieux s’affirmer dans notre champ disciplinaire puis à l’extérieur de celui-ci.

Infirmiers.com - Votre établissement de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or se positionne comme précurseur en termes d'évolution de la psychiatrie française. De fait, il semble naturel qu'il soutienne et encourage ces Rencontres. Mais de quels arguments un infirmier doit user pour convaincre sa hiérarchie et viser toujours plus haut ?

Jean-Paul Lanquetin - Je ne sais pas si la pertinence et la solidité des arguments d’un infirmier constitue toujours un levier pour convaincre ses interlocuteurs institutionnels. Je note que les missions de recherche pour les infirmiers connaissent un encadrement réglementaire progressif depuis 1992, lequel a connu un prolongement décisif avec la mise en place des programmes PHRIP depuis 2009 donnant un véritable statut à cette activité. Ce n’est plus un argument, c’est une mission qui nous est potentiellement dévolue dont on se saisit ou non. En fait je n’ai jamais rencontré d’interlocuteurs qui seraient contre la recherche. La recherche en soins infirmiers (RSI), « tout le monde est pour !», mais au-delà de cette adhésion de circonstance, il existe des écarts parfois conséquents entre les mots et les actes. La profondeur de ces écarts nous renseignent alors sur les volontés réelles. Dans mon cas, au-delà d’un crédit de confiance local initial, l’étendue de mon activité de recherche s’est réellement déployée à l’issue de notre démarche. C’est-à-dire au moment de la diffusion des résultats de notre approche scientifique du rôle propre infirmier1 et de leurs réintégrations à différents niveaux de pratiques. Ici, c’est l’effet retour d’opérationnalité des résultats et de leurs diffusions en France et en Belgique qui ont solidifié et ancré la place de la contribution de la RSI aux soins.

La recherche en soins en psychiatrie, diversifiée, souvent isolée et encore marginale, a besoin de se connaitre et de se faire connaitre. 

Infirmiers.com - Vous êtes infirmier de secteur psychiatrique et vos compétences sont multiples : auteur, formateur, tuteur d'intégration, chercheur. Dans ce dernier registre, quel(s) projet(s) poursuivez-vous et dans quelle finalité ?

Jean-Paul Lanquetin - Se mettre en recherche, puis faire de la recherche, c’est aussi être « travaillé » par son objet de recherche. C’est aujourd’hui une dynamique de travail qui dépasse largement et prolonge notre question initiale de recherche. J’ai été amené à faire des choix et plutôt que de repartir sur un devis de recherche, je consacre mon activité autour de trois orientations complémentaires. La première consiste toujours à présenter et diffuser nos résultats de recherche lors de publications et de conférences. A ce jour, j’ai été invité par plus d’une quarantaine d’établissements. Le deuxième point vise à accompagner les volontés de réintroduction des résultats de notre recherche dans les pratiques, particulièrement autour de l’initiative SocleCare (pour socle d’un prendre soin en psychiatrie)2 laquelle  a créé des outils d’appropriation. Le troisième point concerne la promotion de la recherche en soins, et les Rencontres annuelles en psychiatrie en sont aujourd’hui la manifestation la plus visible.

Infirmiers.com - Mener des travaux de recherche dans le secteur de la psychiatrie, de la santé mentale, est-ce plus difficile encore que dans le secteur des soins généraux ?

Jean-Paul Lanquetin -  Je constate que 93% des PHRIP sont portés par des CHU à ce jour. L’adossement à un CHU, où il existe une culture et une logistique de moyens pour la recherche, lié au tryptique recherche, enseignement, soins est donc un élément facilitant, là où les établissements de santé en psychiatrie sont non CHU et majoritairement monodisciplinaires. La question de la légitimité et de la définition de cadre de travail représente, à mon avis, une difficulté commune deux secteurs d’activité. Par contre, je pense que les travaux menés actuellement en psychiatrie par les infirmiers sont plus de nature à réinterroger  la nécessité de repenser un peu l’épistémologie de la recherche infirmière et de porter un regard novateur sur la pertinence de l’épistémologie bio-médicale pour la recherche en soins infirmiers. En effet la référence aux méthodes quantitatives ne suffit plus lorsqu'il s'agit d'appréhender la situation de soin dans son épaisseur psychologique, interpersonnelle et sociale. La recherche qualitative ou mixte convient alors mieux pour appréhender ces dimensions. Non moins sérieuse, normée et scientifique, cette référence aux méthodologies qualitatives accompagne aujourd’hui nombre de dynamiques émergentes d’établissements.

La recherche en soins infirmiers (RSI), « tout le monde est pour !», mais au-delà de cette adhésion de circonstance, il existe des écarts parfois conséquents entre les mots et les actes.

Infirmiers.com - Parler de recherche paramédicale, mener des projets au quotidien, d'autant par les temps qui courent où l'exercice professionnel est de plus complexe et chronophage avec parfois de moins en moins de moyens, est-il bien compris, soutenu et surtout valorisé ?

Jean-Paul Lanquetin - Poser cette question, c'est déjà amener des éléments de réponses. Devant les effets croisés d’une pression du quotidien, d’une intensification du travail, et de contraintes budgétaires à court terme, il faut des volontés particulièrement affirmés pour soutenir et valoriser ces implications dans la recherche. Autant dire qu’il est difficile de les réunir, même si la recherche et la validation des connaissances constitue un moteur de développement. La question de l’écart dans les  temporalités se pose. Ces éléments participent d’un constat sur lequel, entre autres, s’est constitué le CRMC (Centre Ressource régionale des Métiers et Compétences de la psychiatrie) sous l’égide de l’ARS Auvergne Rhône-Alpes. Une des vocations de notre structure est  de loger ces initiatives et leurs temporalités, dans une dynamique interétablissement. Ainsi, il y a quelques semaines, la première recherche en soins interétablissement a été lancée. Elle mobilise un groupe d'infirmiers et cadres chercheurs (de 11 établissements de la région). La question de cette  recherche multicentrique qualitative vise à caractériser les compétences intégrées chez les professionnels qui favoriseraient un moindre recours à l’isolement et à la contention.

Oui, la recherche en soins alimente les dynamiques d’équipes tournées vers l’exigence clinique, la rigueur,  la qualité et la sécurité des soins pour nos patients.

Infirmiers.com - D'une façon générale, on le constate au quotidien, le mot « recherche » semble effrayer les infirmiers, mais de votre point de vue, le comprennent-ils bien, n'ont-ils pas des complexes en la matière ?

Jean-Paul Lanquetin - Nous ne sommes pas une profession constituée avec une filière académique qui nous soit propre. Plus que de parler de complexes, je dirais que nous ne sommes pas naturellement rompus aux exercices de parole public et d’écriture d’une part, et de recherche d’autre part. Ces éléments culturels nous distingueraient alors de professions à cursus universitaire. Nous n’avons pas encore suffisamment acquis de culture recherche, quand ce n’est pas une contre-culture. Un deuxième point, à mon sens, participe aussi à ce frein à la compréhension de la recherche en soins. Il s’agit de cette confusion dans l’emploi tous azimuts du terme « recherche » dans des cadres qui n’en relèvent pas. Ainsi, en IFSI lors de la réalisation de son TFE, ou confronté à une question clinique lors des situations de soins, on « se met en recherche » pour essayer d’y voir un peu plus clair sur la question que l’on se pose. Cette démarche est différente de « Faire de la recherche » c’est-à-dire adossé à un cadre de validation scientifique. Je préfère parler alors d’études pour le 1er et de recherche pour le second. Par contre le continuum entre ces deux positions est bien le Travail de la question. Bien sûr, et heureusement, tout cela évolue. Des avancées multiples se produisent et entament cette représentation d’une activité de recherche élitiste et minoritaire. Pour ma part, mon expérience m’enseigne que lorsque nous arrivons à montrer que la recherche en soins part de questions pratiques liées au terrain et à nos exercices au quotidien, puis que celles-ci sont investiguées dans un cadre scientifique et qu’enfin les résultats retournent au terrain, là est la valeur-ajoutée de la démarche. Alors c’est par cette voie et cette visibilité que la contribution et l’utilité de la recherche se diffuse, et que se construit le plus sûrement une culture de recherche forte.

Infirmiers.com - Comment définiriez-vous le rôle et la place des infirmiers chercheurs en psychiatrie aujourd'hui. Comment leur expertise peut-elle servir une dynamique d'équipe tournée vers l'excellence clinique dont la finalité est une meilleure prise en charge des patients ?

Jean-Paul Lanquetin - Aujourd’hui, la place des infirmiers chercheurs en psychiatrie est encore très minoritaire. Mais elle est en mouvement et elle tend à s’affirmer. Ils  sortent  d’une forme de confidentialité et il existe un  besoin de partage collégial et de structuration. Oui, la recherche en soins alimente les dynamiques d’équipes tournées vers l’exigence clinique, la rigueur,  la qualité et la sécurité des soins pour nos patients. Mais au-delà, il s’agit bien aussi de reconquérir nos métiers et de se réapproprier notre clinique en payant ici « le prix du détail ». C’est-à-dire, en montrant à partir de données valides, la contribution effective  des infirmiers aux soins de nos patients, en validant les  pratiques et savoirs existants et en produisant de nouveaux savoirs. D’ailleurs, ce point  doit être maintenant reconnu. Il est significatif à cet égard de constater que le président de la conférence des présidents de CME d’établissements psychiatriques, que des représentants de la DGOS et de l’HAS, que des experts internationaux, qu’une cinquantaine d’établissements répondent présent pour nos rencontres. L’auraient-ils fait si la recherche en soins en psychiatrie n’arrivait pas à un point de maturité ?

3e Rencontres de la Recherche en Psychiatrie, organisées par le centre hospitalier de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or, mercredi 25 et jeudi 26 janvier 2017, site du « Valpré » à Ecully (Lyon-Nord – 69). Les inscriptions sont à adresser à Martine Podsiadly, Service Formation du Centre Hospitalier de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, rue Jean-Baptiste Perret, 69450, Saint-Cyr-au -Mont-d’Or. La capacité est limitée à 180 places. Le prix est de 200 € pour les deux jours. Ce prix prend en compte l’inscription, les pauses, la documentation et les repas de midi.  MPODSIADLY@ch-st-cyr69.fr ; tel. : 04 72 42 13 83.

Notes

  1. Voir le rapport de recherche auprès de grsi@ch-st-cyr69.fr ou www.sidieef.org/.
  2. Le GCIS, Groupe de Coordination des Initiatives pour le SocleCare, d’origine belge, s’est constitué avec pour objectif central la diffusion des résultats de la recherche  sur l’informel.

Propos recueillis par Bernadette FABREGAS Rédactrice en chef Infirmiers.com bernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com