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La plaidoirie d'Alma

Publié le 16/03/2012

Elle s'avance, digne, et son air sérieux sied à son jeune âge. Alma Adilon-Lonardoni, 16 ans et demi, est élève de terminale au Lycée Champagnat à St Symphorien-sur-Coise dans le Rhône. Nous sommes le 28 janvier 2012 au Mémorial de Caen. C'est un jour particulier pour Alma qui participe à la finale du 15ème concours des plaidoiries des lycéens pour la Défense des Droits de l’Homme ; une façon pour les lycéens de la France entière et des établissements français à l'étranger d'exprimer leur indignation face à des atteintes fondamentales à la dignité de l'individu, quel qu'il soit.

Pour son plaidoyer, exercice oh combien difficile d'autant pour de si jeunes personnes, Alma a choisi le thème suivant « Il fait si bon vieillir ». Sa voix s'élève, claire, énergique. L'éloquence est perceptible d'emblée. Alma parle et voilà le début de son discours : « J’étais venue pour visiter cet institut, cherchant un endroit pour accueillir humainement une vieille femme souffrant de la maladie d’Alzheimer. Une employée m’a ouvert la porte et m’a menée à un semblant de salon. Trois vieilles femmes étaient recroquevillées sur leurs fauteuils, d’un air résigné. Trois vieilles femmes sur trois fauteuils, et une chaise roulante. Une chaise roulante vide, à un détail près. Deux prothèses de jambe gisaient à ses pieds, revêtues de bas de laine. Remarquant mon trouble, l’aide-soignante a devancé ma question : Ne vous inquiétez pas, m’a-t-elle dit, ce n’est que le fauteuil d’une résidente qui est morte il y a deux jours ». Alma poursuit, s'interroge et son émoi, sa colère se fait jour au travers de ses arguments : « Trouvais-je choquant que ces trois femmes soient considérées comme suffisamment amoindries pour ne pas avoir conscience de leur condition, pour ne pas être angoissées par une échéance placée constamment sous leurs yeux, se rappelant à leur bon souvenir : Bientôt ce sera votre tour… » ? Trouvais-je que ces restes, posés là, n’avaient rien d’anodin ? »

Alma, droite sur scène, interpelle, pose des questions, soulève les états d'âme, bouscule les consciences : « Ils ne s’en rendent pas compte vous savez, ils sont vieux, ça ne les dérange pas… » Son regard balaie l'assemblée, nombreuse, qui l'écoute avec attention et la jeune fille accuse : « Aujourd’hui, mesdames, messieurs, j’accuse la société de reléguer ses mères, ses pères aux oubliettes. Je pense, oui, qu’il est choquant et même injustifiable que ces individus dits « personnes âgées » soient entassés à trois dans des chambres froides et étroites. Je pense qu’il est anormal que l’État, hypocrite, limite bien souvent le personnel à une aide-soignante pour quatre-vingt pensionnaires. Je pense qu’il est bien triste que les maisons de retraite - pardon, les établissements d’hébergement pour personnes âgées et dépendantes - soient devenues des asiles clos et malsains. Je pense qu’il est indigne de notre société d’avoir à ce point honte de ses vieux, devenus inutiles, qu’elle les cloître autoritairement. Je pense qu’il est inacceptable que ces personnes soient considérées comme des enfants, voire comme des objets. »

Sa voix ne tremble pas, ses yeux ne cillent pas, son corps ne faiblit pas. Alma du haut de sa jeunesse fait une leçon d'humanité intergénérationnelle : «  c'est nous qui sommes les enfants, mesdames, messieurs, nous qui leur devons tout »... L'adolescente s'interroge : pourquoi aussi peu d'attention et de bienveillance, pourquoi cette relégation, ce manque de respect et de reconnaissance, pourquoi dès lors que les portes de la maison de retraite se ferment ne sommes-nous plus que des « résidents » et plus des personnes ?

Alma pointe à nouveau la responsabilité de l’État qui « de sa jouvence immaculée ne perçoit rien d'autre que des chiffres un peu flous »... L'économie au détriment de la qualité de vie humaine (manque d'hygiène, carence alimentaire, isolement...) qui transforme la vieillesse en maladie honteuse ? « Il est admissible que les établissements pour personnes âgées soient devenues des entreprises à but lucratif, là où le maître mot devrait être bien-être ou entraide, c'est l'argent qui régit la vie de personne considérée comme en fin de vie... », poursuit-elle. Où en est la réforme de la dépendance promise par le Gouvernement ? souligne Alma. Où sont la fraternité affirmées par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, la liberté et la dignité quand des personnes âgées et dépendantes sont traitées comme des indésirables, « parquées » dans leur lit ou entre quatre murs, contre leur volonté ? Quelle distinction entre les Droits de l'Homme et les Droits de la Personne Âgée ? Pourquoi les personnes vieillissantes doivent-elles renoncer à leurs droits fondamentaux au pays même des Droits de l'Homme.

La personne âgée est « amoindrie », est-ce là acceptable continue Alma. Faire face, « nous devons faire face à l'inacceptable et ne pas oublier qu'un jour, bientôt, notre tour viendra ». Et d'exiger une hausse de personnels dans les établissements, que les valeurs de bien-être et de respect ne se monnayent plus, que maison de retraite ne soit plus synonyme d'hospice mais de lieu d'accueil « solidaire et fraternel ». Alma demande « la dignité ».

Telles sont les paroles de conclusion de ce beau monologue de 10 minutes d'Alma qui parle à notre cœur. Si nous ne sommes pas décideurs, nous sommes parfois acteurs, le plus souvent spectateurs de ces situations. Qu'un tel discours, si mâture, d'une si jeune fille soit aussi percutant et politique au sens noble du terme, soit partagée par le plus grand nombre(*). Que le supplément d'âme de cette adolescente nous incite à nous indigner, avec elle, pour que notre société reste digne face à ses anciens. Alma, une belle âme, au sens propre, comme figuré, qui s'est vue décerner le premier prix de ce 15e concours des lycéens pour la Défense des Droits de l'Homme. Lui dire « Bravo » serait une offense tant son discours était habité et naturel, et non pas « joué », voire « surjoué »... Une belle leçon politique, en ces temps électoraux.

Visionner ici l'intégralité de la plaidoirie d'Alma Adilon-Lonardoni


Il fait si bon vieillir...
par MEMORIALCAEN


(*)Merci à Thérèse Palla, présidente de l'UFAS (Union française des aides-soignants) d'avoir porté à ma connaissance ce sujet.

Bernadette FABREGAS
Rédactrice en chef IZEOS
bernadette.fabregas@izeos.com


Source : infirmiers.com