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La maltraitance vue par une aide-soignante

Publié le 24/08/2015

Il y a quelques semaines, nous vous faisions découvrir le parcours de Frédérique, une aide-soignante de 52 ans. Forte de 23 années d'expérience auprès des personnes âgées, elle nous livre aujourd'hui son regard sur la maltraitance, une attitude insoutenable qui s'observe encore aujourd'hui. Son témoignage laisse à réfléchir...

Bien que les femmes soient les premières victimes de maltraitance, l’âge et le degré de dépendance sont également des facteurs aggravants à prendre en compte.

Frédérique a mené toute sa carrière auprès des personnes âgées. Son parcours professionnel en France et à l'étranger l'a poussée à écrire un blog sur lequel elle relate toutes les atrocités qu'elle a observé. J'ai connu des situations dramatiques, vu des choses inimaginables. J'ai moi-même été plus ou moins et indirectement « maltraitante »  par manque de moyens et de temps. Les effectifs diminuent puisque les établissements de soins refusent souvent de remplacer les soignants en arrêt maladie. Elle explique également de quelle façon ses anciens employeurs l'empêchaient d'être bienveillante à l'égard de ses patients… Si je m'asseyais à côté d'un malade en détresse, j'étais convoquée par la direction qui considérait que je ne faisais pas mon travail. Je me rappelle d'un directeur d'EHPAD qui préférait restreindre la nourriture et les protections pour des raisons budgétaires, plutôt que de renoncer à son logement et sa voiture de fonction. L'écriture de ce blog est un besoin profond de dénoncer toutes ces pratiques et de faire connaître la réalité de beaucoup de soignants. Mais pas uniquement, car Frédérique partage aussi sur son site des instants d'une rare profondeur. Je relate mon évolution professionnelle et les merveilleux moments de complicité, de partage et d'accompagnements, tant avec mes collègues qu'avec les patients. En effet, il est important de dire qu'être soignant c'est aussi, malgré tout ça, formidablement valorisant. Lorsqu'un patient vous dit en vous voyant le matin : « Voilà mon rayon de soleil ! », ou qu'une dame vous murmure juste avant de mourir :  « je vous aime » ou un simple « merci » accompagné d'un sourire, c'est une revanche sur tout le reste et ça vous donne la motivation et la force de continuer à avancer dans ce métier ».

Si je m'asseyais à côté d'un patient en détresse, j'étais convoquée par la direction qui considérait que je ne faisais pas mon travail.

Le manque de reconnaissance : un facteur aggravant

Pour cette aide-soignante devenue animatrice et praticienne en validation, il n'est pas nécessaire de chercher bien loin l'un des principaux facteurs de maltraitance dans les EHPAD. Je pense que en premier lieu le manque de considération des soignants mène à une maltraitance des patients âgés. En outre, un personnel en sous effectif, malmené par des horaires surchargés, une charge de travail excessive, une obligation de « rendement » plutôt que d' « humanitude » et d'adaptation à la personne âgée font également de ces soignants des maltraitants.

C'est la raison pour laquelle aujourd'hui, elle désire valoriser ses pairs et apprendre aux Français quelle est cette (noble) profession. L'aide-soignant est méconnu et mésestimé. Nous ne sommes pas seulement des exécutants. Nous sommes la base des établissements de soins. La première personne que le patient voit le matin, c'est l'aide-soignant. Nous bâtissons une relation avec les personnes dont nous avons la charge. Nous aimerions être reconnus et avoir les moyens de faire notre travail dans des conditions optimales, ce qui est loin d'être le cas en France.

Nous ne sommes pas seulement des exécutants. Nous sommes la base des établissements de soins.

La notion de maltraitance des personnes âgées écrite par une aide-soignante

Un acte unique ou répété, dans le cadre d’une relation censée être une relation de confiance, qui entraîne des blessures ou une détresse morale pour la personne âgée qui en est victime. C'est la définition qu'en donne l'OMS. Et bien que celle-ci soit plutôt « théorique », Frédérique partage des exemples très concrets puisés dans son quotidien… Pour moi, la maltraitance commence à partir du moment où on rentre dans une chambre sans frapper, où on fait les soins sans un regard et sans un mot. L'infantilisation de personnes adultes, le tutoiement systématique, le personnel qui discute, regarde la télévision ou écoute la radio pendant les soins, c'est déjà de la maltraitance. Obliger une personne âgée affaiblie à se lever, à aller manger au réfectoire et lui enfourner la nourriture de force, c'est lui refuser le droit à la dignité et à des soins appropriés. Elle ira même plus loin en décrivant une forme de maltraitance à un degré plus élevé. Les coups, les insultes, le patient qu'on laisse toute la journée dans des protections souillées, la restriction de nourriture, l'humiliation quotidienne et j'en passe… Voilà la réalité de certaines maisons de retraite. Et même si je sais, que ce n'est pas partout ainsi, Dieu merci, il faut savoir que ça existe encore !

De cette maltraitance, Frédérique en a également été victime et témoin durant sa formation alors qu'elle effectuait un stage dans en maternité. Aujourd'hui, sur son blog, elle témoigne et relate cette période pour donner à ses pairs le courage de parler… On m’appelait « la stagiaire ». Je n’avais pas de prénom... Le personnel dans son ensemble était désagréable, prétentieux et raciste. Les auxiliaires se moquaient des femmes maghrébines qui souhaitaient accoucher debout. Un jour jeune fille d'environ quinze ans a accouché. Alors que j'étais dans sa chambre, la sage-femme est arrivée avec le bébé et le lui a mis dans les bras en lui disant méchamment : « tiens tu voulais une poupée, la voilà ! » La gamine a pleuré et moi j'étais estomaquée ! Je n'ai pas pris pas le temps de réfléchir avant de dire à cette soignante que rien ne l’autorisait, ne serait-ce que déontologiquement, à porter un jugement. Ce fut ma pire note de stage

4 et 6% des personnes âgées dans le monde font état de mauvais traitements physiques ou psychologiques.

La communication et la cohésion au service de la bientraitance

Briser le silence, communiquer, se soutenir mutuellement dans les situations de soins difficiles. Ce sont aujourd'hui les meilleurs moyens de lutter contre la maltraitance dans les services. Toutefois, cela demande un certain courage. Je suis comme tout le monde. J'ai appris au fil des ans. J'ai fait des erreurs. Parfois je n'ai pas osé. Je me suis tue, de peur de perdre mon emploi, avoue Frédérique. Mais, désormais, elle n'hésite plus à prendre position. Quand on est témoin d'actes de maltraitance, il faut dans un premier temps se positionner auprès du soignant concerné et éventuellement le dénoncer. C'est difficile d'endosser ce rôle, mais on ne peut fermer les yeux. Sinon c'est la porte ouverte à tous les abus. Aujourd'hui, avec plus de recul et d'expérience, cette aide-soignante combative appelle donc à la cohésion d'équipe pour faire front face à la maltraitance. Refuser d'obéir à un ordre si celui-ci est contraire au bien-être de la personne âgée et se faire appuyer par ses collègues : c'est la meilleure attitude à avoir. Pour cela, il est nécessaire d'entretenir de bons rapports au sein de l'équipe et de rester soudé. Pour obtenir gain de cause il faut faire front  ensemble. Et de poursuivre : Une équipe qui « va bien » aura plaisir à travailler, sera plus détendue et disponible. Le bien-être dans le travail est le meilleur moyen de ne pas « déraper ». Tout le monde peut craquer, mais avant de devenir violent, il faut savoir s'arrêter et se faire remplacer. Ça fait partie du travail d'équipe. Alors, si les soignants ont vraiment à cœur de faire évoluer les choses  dans les services, probablement entendront-ils cet appel...

Je suis comme tout le monde. J'ai appris au fil des ans. J'ai fait des erreurs. Parfois je n'ai pas osé. Je me suis tue, de peur de perdre mon emploi.

Un récit touchant et inédit de Frédérique pour les lecteurs d'Infirmiers.com

Il y a quelques années, j'ai accompagné une dame en fin de vie. Son fils unique, avec lequel elle a toujours vécu, ne supportait pas de la voir décliner et ne montait plus dans sa chambre. Il venait tous les jours mais restait à la cafétéria. J'allais voir cette dame quotidiennement, plusieurs fois par jour. Ensuite je partais voir son fils pour le rassurer et le déculpabiliser.

Depuis plusieurs jours, elle était inconsciente. Ne s'alimentant plus, elle était hydratée par perfusion. Un après-midi, je suis passée la voir et j'ai tout de suite compris que c'était la fin. C'était une dame de nature très indépendante. Elle n'aimait pas qu'on envahisse son espace, et préférait la solitude de sa chambre. De ce fait, je ne restais jamais très longtemps avec elle. J'arrivais, lui parlais de son fils, épongeais son front, massais ses mains et repartais pour revenir plus tard.

Ce jour-là, je me suis assise à côté d'elle. J'ai posé doucement ma main sur la sienne, sans appuyer et lui ai tout d'abord dit que son fils était en bas, qu'il l'aimait, même s'il ne venait pas la voir  pour garder d'elle l'image d'une dame énergique comme elle l'avait toujours été, mais qu'il était prêt à la laisser partir si elle le désirait. Ensuite, je lui ai dit que je savais qu'elle n'aimait pas qu'on s'attarde trop auprès d'elle mais que je tenais à ce qu'elle sache qu'elle n'était pas seule et que si elle voulait « lâcher prise » elle pouvait. J'ai attendu un petit moment, et lorsque j'ai voulu me lever pour partir, elle a pris ma main, a ouvert les yeux, m'a souri, puis elle est morte. Il est difficile d'expliquer ce que j'ai ressenti. C'est comme si cette dame m'avait accordé sa confiance pour l'accompagner dans cet ultime moment de partage qu'est le passage de la vie à la mort. Je l'ai reçu comme un cadeau et j'étais surtout soulagée qu'elle ne soit pas partie seule. J'étais convaincue que son départ avait été de son propre choix.

Lire d'autres récits de Frédérique sur son blog frederiquechauvin.wordpress.com.

Gwen HIGHT  Journaliste Infirmiers.comgwenaelle.hight@infirmiers.com@gwenhight


Source : infirmiers.com