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GRANDS DOSSIERS

« Je ne suis pas là pour opposer les professions », mais…

Publié le 25/05/2018
Patrick Chamboredon

Patrick Chamboredon

Le 17 mai dernier, la commission d’enquête sur l’égal accès aux soins des Français a auditionné les Ordres paramédicaux. Patrick Chamboredon, président de l’Ordre infirmier était présent pour défendre la voix de la profession. Du décret à venir sur la pratique avancée à l’universitarisation de la formation, l’essentiel des sujets d’actualité ont été balayés durant cette matinée riche d’échanges.

Les ordres des professions paramédicales ont été auditionnés à l’Assemblée nationale sur l’accès aux soins.

Pratique avancée , universitarisation, vaccination, maisons de santé ou télémédecine, le président de l’Ordre des infirmiers (ONI), Patrick Chamboredon, s’est exprimé sur la plupart des préoccupations actuelles de politique de santé ce 17 mai dernier. Profitant de l’audition des Ordre paramédicaux par la commission d’enquête sur l’égal accès aux soins des français sur l’ensemble du territoire et sur l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale à l’Assemblée nationale, le président de l'ONI a tenu à défendre la profession qu’il représentait.

D’abord questionné sur le décret qui posera le cadre de la pratique avancée, le président de l’Ordre a clairement montré son désaccord face à ce texte décevant qui manque d’ambition. Selon lui, il a finalement été l’objet de beaucoup de lobbying. Si les infirmiers étaient les premiers concernés nous n’avons pas eu la liberté que l’on souhaite. (…) On se retrouve avec des textes qui nous obligent à écrire des protocoles et à rendre compte comme si on était des petits garçons. Patrick Chamboredon est également revenu sur l’absence de champ d’application des infirmiers en pratique avancée en psychiatrie et en santé mentale alors que l’on sait que dans les centres médico-psychologiques de proximité il y a un déficit de médecins psychiatres. De même, les IPA pourraient aussi tenir un rôle dans l’éducation nationale ou en santé au travail , là où les infirmiers sont les seuls, à ce jour, à faire des consultations assez régulièrement.

On a vu un texte qui était en deçà de toutes les attentes et de tout ce qui avait été exprimé.

Une difficulté d’être entendu pour les professions paramédicales

On avait demandé le premier recours, direct à l’infirmier. C’est niet, pas possible ! Le président de l’Ordre rappelle que les syndicats ont également critiqué le projet de décret affirmant qu’il n’est pas en phase avec ce qui est la réalité et les besoins du patient. Le terme de consultation ne figure pas non plus dans le texte alors qu’on revendique simplement de pouvoir assurer le suivi, or il n’y a pas de consultation de suivi pour les maladies chroniques.

Pour Patrick Chamboredon, le texte passera quand même et on en est bien conscient. Il remarque aussi que lors des commissions d’enquête où les infirmiers interviennent, ils sont séparés des médecins.  Pourquoi ? On est tous des professionnels de santé, non ?. D’après lui, il y a une difficulté d’être entendu par les pouvoirs publics pour nos professions respectives.

Cette année le nombre d’inscrits au concours d’entrée dans les IFSI a baissé de 30 %.

Le passage imminent à l’université

Autre grande réforme de la profession : le passage à l’université. Pour le président de l’Ordre, ces deux changements majeurs sont liés. Nous sommes en train de rentrer à l’université et donc de préfigurer à travers les IPA à ce que sera le futur de la profession infirmière. Je me félicite de ça puisque nous allons, comme c’est déjà le cas pour les kinés, entrer dans une formation commune avec les médecins et les pharmaciens et donc avoir un langage commun et permettre une meilleure fluidité entre toutes les professions de santé. Toutefois, ombre au tableau, d’après les chiffres, cette année le nombre d’inscrits au concours d’entrée dans les IFSI a baissé de 30 %. Des données qualifiées d’ assez inquiétantes surtout avec l’annonce des projections de la DREES qui prévoit 880 000 infirmiers d’ici 2040 !

Quelle peut-être la cause de cette diminution alarmante ? Manque d’attractivité ? En partie, oui, mais pas que… C’est une vraie surprise, il y a plusieurs facteurs qui peuvent l’expliquer. Le premier cité par le président de l'Ordre demeure, en effet, l’attractivité de la profession. Il note un vrai malaise avec une période de suicides assez importante. Patrick Chamboredon tient à remettre les choses dans leur contexte : c’est un point qu’on ne peut pas occulter, 1350 euros par mois net comme premier salaire pour 3 ans d’études et la responsabilité de 30 patients. Et les horaires de travail en 12h… il n’est plus à démontrer que c’est néfaste. L’autre possibilité est que les candidats vont là où il n’y a pas de sélection comme en Belgique. En outre, une rumeur a couru disant : attendez l’année prochaine car il n’y aura pas de concours puisqu’on va rentrer à l’université.

Pour lui, le manque de sélection pourrait d’ailleurs être un problème car le métier d’infirmier c’est un facteur d’élévation et d’intégration sociale et c’est mon expérience de vie. C’est ce qui permettait la promotion sociale au sein de l’hôpital. Avec l’universitarisation, cela va devenir plus compliqué car les crédits ne vont pas pouvoir dégager des gens pendant trois ans à l’université. Et quelles alternatives les aides-soignants qui souhaitent évoluer au sein de l’hôpital ?

Nous les infirmiers, on est dans notre rôle propre dans la prévention

Les infirmiers font le "serment d’Epicure"

Interrogé au cours des nombreux échanges sur la vaccination, le président de l’Ordre a tenté de se montrer diplomate, du moins en ce qui concerne l’expérimentation sur la vaccination antigrippale par les pharmaciens . Il rappelle que depuis plusieurs années, l’ordre réclame la possibilité de vacciner en premier recours, au moins pour la grippe . Puisque quelquefois notamment pour des rappels et dans les zones rurales on vaccine des gens alors que l’on n’a pas de prescription. On les vaccine chez eux et la réalité c’est qu’il n’y a pas de médecins. On demande simplement qu’il y ait une régularisation de ce qui est la pratique courante.

Selon lui, les infirmiers sont en charge de la prévention mais ne sont pas suffisamment impliqués. Si on donne plus de latitude aux infirmiers, on sera de meilleurs ambassadeurs pour la vaccination. Néanmoins, des freins demeurent visibles, on ne peut pas vacciner dans les pharmacies. Je ne sais pas si c’est une piste de travail qui peut être évoquée car c’est assez polémique mais il faut que l’on travaille de concert. Si le président de l’Ordre assure ne pas être là pour opposer les professions, il affirme qu' un parcours de soins assuré par les infirmiers c’est du bon sens.

Il ajoute qu’il est également important de mettre des infirmiers à l’école qui vont être en contact avec des gamins. Des maladies chroniques comme le diabète de type 2 arrivent suite à une mauvaise hygiène de vie donc tout se joue à l’école. Il se demande d’ailleurs si le modèle actuel d’accès aux soins n’a pas vécu. Est-ce qu’on a forcément besoin du recours médical en première intention ? Est-ce que forcément le premier recours doit être le médecin sur l’accès aux soins ? Je n’ai pas la réponse…

Est-ce que forcément le premier recours doit être le médecin sur l’accès aux soins ?

Vers une mixité des parcours ?

Si la problématique des maisons de santé a été abordée, Patrick Chamboredon ne s’est pas attardé sur le sujet. Cela ressemble à des projets immobiliers, déclare-t-il. Il a tout de même pointé du doigt que les professions paramédicales ne sont pas représentées dans les Conférence régionales de la Santé et de l'Autonomie (CRSA). On doit faire de la pluridisciplinarité et on en est exclu ! On ne peut pas peser dans l’organisation fine du territoire.

En parallèle, il a préconisé l’élaboration de parcours mixtes pour les infirmiers c’est-à-dire des professionnels qui exercent en ville et à l’hôpital comme cela est possible pour les médecins, ce qui permettrait d’améliorer la coordination ville/hôpital. Ce serait de bon aloi, notamment pour les IPA qui vont avoir un niveau supérieur et cette vision d’orienter les gens par exemple dans le cadre de maladies chroniques. On sait que ces pathologies ne seront pas soignées à l’hôpital, il faut que la coordination soit assurée pour ces nouveaux patients et ces nouveaux besoins qui vont exploser dans les années à venir.

En outre, Patrick Chamboredon a souligné que, pour soigner les patients à domicile des problèmes subsistent toujours pour les professionnels libéraux. En effet, il est nécessaire de se déplacer en voiture et les places de parking peuvent être chères payées quand il est juste question d’exercer son métier . On trouve des disparités pour se garer pour aller faire nos soins. Cela varie de 10 euros voire gratuit à 350 euros pour stationner sur la voie publique. Pas d’harmonisation donc, ce qui nuit au développement du secteur ambulatoire auquel les infirmiers participent largement.

Les problèmes pratiques de la télémédecine

Face à cela, le recours à la télémédecine est souvent évoqué comme une réponse possible à la désertification médicale mais pour Patrick Chamboredon il reste des étapes à franchir entre la théorie et la pratique. Le problème notamment pour disposer du haut débit qui demeure « une réalité ». D’autre part, les infirmiers prennent en charge des patients qui n’ont pas forcément accès à un guichet électronique. De même, une bonne partie d’entre eux ont plus de 70 ans et n’ont pas forcément de tablette ou ne savent pas s’en servir. Est-ce que l’infirmier sera le médiateur technologique ?

Enfin pour l’instant, la télémédecine sera réservée aux médecins. La convention qui a été faite ne parle absolument pas de revalorisation économique dans le cas de télémédecine pour les infirmiers si cela devait être ouvert. Cette piste n’a pas du tout été évoquée.

Tour d’horizon complet, donc ce 17 mai dernier. Si le décret sur la pratique avancée va passer, si l’universitarisation devrait avoir lieu la rentrée prochaine, en ce qui concerne le reste des problématiques abordées les possibilités sont multiples et l’avenir reste flou.

Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com  @roxane0706


Source : infirmiers.com