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êtes-vous infirmier ?

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PORTRAIT / TEMOIGNAGE

« Je n’aimerais pas être dans la peau de mes supérieurs immédiats »

Publié le 28/09/2015
infirmière tenue soignante

infirmière tenue soignante

Ceci est un cri du coeur, peut-être un coup d’épée dans l’eau. Probablement que plusieurs d’entre vous, en voyant ce texte, vont simplement se dire « trop long, je ne le lirai pas, au suivant ! » Si vous persévérez et lisez ce texte dans son entier, permettez-moi de vous dire que vous avez l’étoffe d’une infirmière !

Il est utopique de penser qu’une infirmière peut tout faire dans les conditions présentes, et surtout de bien faire son travail

Je n’aimerais pas être dans la peau de mes supérieurs immédiats. Ceux qui ont la lourde tâche de me dire que la priorité, c’est le patient. Ce que j’en pense ? C’est l’argent, la priorité.

Je n’aimerais pas être dans la peau de mes supérieurs immédiats. Ceux qui ont la lourde tâche de m’annoncer que, pour des raisons de diminutions de budget, ma « charge de patients » est augmentée, que le personnel malade ne sera pas remplacé, que les heures supplémentaires nécessaires pour terminer les tâches en cours dans mon quart de travail ne seront plus payées et qu’on enlève ces aides précieuses que sont les infirmières auxiliaires et les préposés aux bénéficiaires. Expliquez-moi comment ces gestes peuvent être accomplis dans l’intérêt du patient.

D’un autre côté, on me dit qu’une « bonne infirmière » devrait toujours prendre le temps de faire les pauses auxquelles elle a droit et qu’elle devrait toujours prendre le temps d’établir une relation d’aide avec ses patients et leur famille. Cependant, elle est réprimandée lorsque ses notes aux dossiers et ses documents légaux sont incomplets, car si elle fait une erreur et - rappelez-vous qu’ici l’erreur n’est pas permise -, elle risque son emploi pour cause de négligence. Ceci est sans compter les fameux et archaïques TSO (temps supplémentaires obligatoires). Par contre, si j’ai l’audace de dire que je refuse la situation parce que je ne me sens pas « sécuritaire », je suis alors montrée du doigt.

Des deux côtés de l'Atlantique, même combat !

Oui, c'est ce que nous nous sommes dit à la rédaction d'Infirmiers.com en découvrant ce texte publié par une infirmière québécoise sur le site ledevoir.fr. A la veille d'une grande mobilisation de la profession, le 1er octobre prochain , pour défendre son coeur de métier et la valorisation et la reconnaissance qui devraient en découler, ce texte est un appel à la solidarité particulièrement pertinent. Infirmières, infirmiers, unissez-vous et d'une même voix, comme l'écrit si bien Véronique dans son billet, J’aime ma profession. Mais pas dans ces conditions.

As-tu vu cette personne ? C’est à cause d’elle que tu ne pourras aller chercher ton garçon à la garderie, c’est à cause d’elle que je t’ai ajouté plus de patients, car à cause de son refus, ce sera toi qui seras pénalisé ! Quelle belle technique pour monter les infirmières les unes contre les autres ! Quelle belle technique pour mettre une muselière à ces infirmières !

C’est utopique de penser que je peux tout faire dans ces conditions, et surtout bien les faire. La pression est si élevée. Est-ce normal en tant que nouvelle infirmière d’être stressée avant chacun de mes quarts de travail ?

Ne vous méprenez pas. J’aime ma profession. Ceci, je m’en souviens lorsque je passe du temps auprès de mes patients, vous savez, ce temps soi-disant réservé pour aller à la salle de bain, ou encore pour manger à cette pause du souper. Ce temps sacrifié, pour moi, il vaut tout l’or du monde. Il donne un sens à ma profession. J’aime ma profession lorsque mes patients me disent qu’ils sont contents de me voir, qu’ils me font confiance ou, encore mieux, qu’ils me disent que je leur amène un petit rayon de soleil dans une période où ils se sentent vulnérables. Cet éclat que j’ai, je veux le garder. Lorsque j’étais étudiante, je me suis déjà fait dire : Tu verras, dans quelques années, tu seras bête comme moi. Cette journée-là, je me suis juré que non, qu’avec les années, je ne serai pas « bête » comme toi. Que si je perds le feu sacré, je changerai de profession, parce que je crois fermement qu’avant n’importe quels soins médicaux, ce qu’ont le plus besoin les patients à l’hôpital, c’est de chaleur humaine. Le temps qui est censé m’être réservé, je le sacrifie pour offrir un minimum de qualité aux soins que je prodigue. Cela dit, si je m’épuise, qui sera là pour prendre soin de vous ?

J’aime ma profession passionnément. Mais en connaissez-vous d’autres, vous, où les employés travaillent gratuitement pendant plusieurs heures… à part peut-être celui d’enseignante ? Il y en a sûrement. Mais ces deux professions impliquent carrément un don de soi. J’aime ma profession. Mais pas dans ces conditions.

Alors non, je n’aimerais pas être dans la peau de mes supérieurs immédiats, qui doivent se faire croire eux-mêmes que ce qu’ils exigent, c’est possible, alors qu’ils ont eux-mêmes déjà travaillé sur « le plancher » et sont déchirés à l’idée de m’annoncer toutes ces coupes.

Je n’aimerais pas être à la place de mes supérieurs immédiats, alors que leur propre tête est sous la guillotine s’ils n’atteignent les objectifs qui leur ont été fixés. C’est dommage, car quand je vois des situations comme celle-ci, je me dis que je n’aurais pas envie d’avoir ce poste. Et je pense vraiment que, lorsque tu n’as pas l’ambition d’avancer dans ta propre profession, c’est que celle-ci est vraiment en péril.

C’est un cri du coeur ; peut-être un coup d’épée dans l’eau. Probablement que plusieurs d’entre vous, en voyant ce roman, se sont simplement dit trop long ; je ne le lirai pas ; au suivant ! Alors si vous avez persévéré et lu ce texte au complet, permettez-moi de vous dire que vous avez l’étoffe d’une infirmière.

Véronique BELISLE  Infirmière, Québec

Cet article a été publié sur le site québécois Le Devoir le 23 septembre 2015. Merci pour ce partage.


Source : infirmiers.com