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"J'attaque mon service... il est vingt heures..."

Publié le 19/10/2017
Couloir d

Couloir d

Virginie, infirmière de nuit, nous raconte ses difficultés de mère, de femme, de professionnelle des soins. Quand sa tournée commence, ses tourments commencent avec... et même si ses patients lui réchauffent le cœur et  lui apprennent à garder espoir, le coeur de Virginie fatigue... Un voyage au bout de la nuit...

Le cœur lourd et plein d’angoisse à l’idée de savoir mes enfants seuls, j’attaque mon service. Il est vingt et une heure.

Je m’appelle Virginie, j’ai 36 ans, et je suis infirmière. Aujourd’hui, c’est la première fois. C’est la première fois que j’ai dû laisser mes enfants tous seuls, cette nuit, sans quelqu’un pour les garder. Je suis infirmière en réa cardio, en douze heures, et nous devons tourner sur un planning jour/nuit. Je suis mère célibataire. Mon aîné n’a que dix ans. La plupart des services hospitaliers, tournent dorénavant en douze heures, afin de réduire le coût du personnel soignant d’autant plus que les effectifs ont été diminués. Ce soir, je suis inquiète. Ma nourrice m’a laissé tomber, et je n’ai pas pu trouver quelqu’un pour me dépanner. J’ai fort heureusement, une gentille voisine qui m’a promis d’aller jeter un coup d’œil après son film du soir. Mais elle a quatre-vingts ans.

C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière
Edmond Rostand

La penibilité du travail de nuit n’est malheureusement toujours pas reconnue à l’hôpital. Pour un euro et quelque de plus par heure travaillée une fois la nuit tombée, j’accrois mon risque de développer une maladie cardio-vasculaire ainsi que celui de contracter un cancer. Je perds aussi mes facultés de concentration, et je dois payer une nounou à domicile pour faire garder mes enfants qui me coûte bien plus cher que cela ne me rapporte sur ma nuit. Mais je n’ai pas le choix. Mais ce n’est pas tout.

Hier matin, j’ai eu très peur, car j’ai manqué de m’endormir au volant en rentrant chez moi. Je dors peu. Il faut que je rentre vite pour emmener les enfants à l’école le matin, pour aller les chercher le midi. Ah La cantine ! Les prix des tickets étant exorbitants, je suis obligée de les prendre à midi. L’après- midi, après une courte sieste, je retourne les chercher.  C’est ensuite l’heure des devoirs, de la douche, et du dîner. Puis c’est reparti pour une journée ou plutôt une nuit de travail en douze heures. Ce serait gérable, si notre temps de travail était respecté. Mais à cause du manque de personnel, nous avons tous au bas mot une centaine d’heures supplémentaires qui n’ont évidemment toujours pas été payées.

Et pendant ce temps-là, chez moi les factures s’accumulent. Mais qui de nos jours accepte encore de travailler gratuitement ? Et bien certainement pas ma nourrice, qui attend son chèque à la fin du mois. Et il ne me viendrait pas à l’esprit de la payer en retard. Contrairement à l’hôpital qui me doit des heures supplémentaires depuis des années. Il est temps que je change de travail. C’est dommage, j’aime tellement ce service. J’y suis depuis bientôt huit ans, et il m’a apporté autant que j’espère lui en avoir apporté.

Le cœur. L’organe vital par excellence. Mes patients me réchauffent le cœur et m’apprennent à garder espoir. J’essaye de faire de même pour eux. Le cœur lourd et plein d’angoisse à l’idée de savoir mes enfants seuls, j’attaque mon service. Il est vingt et une heure.

Je commence mon tour par Mme V. Elle est âgée de 27 ans et vient de subir une greffe cardiaque, il y quinze jours. J’entre dans sa chambre à pas de loup pour ne pas perturber son repos. Elle tourne son visage fatigué, vers moi et m’adresse son large sourire, celui qui me plaît tant  à voir tous les soirs, celui qui me rappelle pourquoi je suis encore là. A côté d’elle, se trouve un poste de radio qui grésille et diffuse à l’instant même une petite musique pour le moins appropriée :

Now all the little boys and girls around the town
Dreaming through the darkness till the moon goes down
But me and my baby gonna be up all night
Dancing under the moonlight
Moonshine, moonshine moon.

Moonshine, Katie Melua

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Cet article a été publié sur le blog de l'infirmière insoumise le 19 octobre 2017. Nous la remercions de ce partage.


Source : infirmiers.com