Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

AS

"J'ai demandé pardon..."

Publié le 23/01/2015
personne âgée tient la main

personne âgée tient la main

Malika, ancienne aide-soignante, a vécu des situations difficiles auxquelles elle a parfois contribué. Elle fait le bilan, et demande pardon... Un texte touchant de vérité et de courage.

Malika le crie : j'ai pleuré toutes mes larmes face à ces situations inhumaines, à cette maltraitance ; c'est le mot que je décide d'employer.

J'ai malmené des corps fragilisés, j'ai demandé pardon pour ces gestes forcés, pour l'usage de ma force pour enfiler un pull, une chaussette, un pantalon, pour retourner seule un corps de 100 kg, pour avoir cogner la tête d'une autre dame.

J'ai demandé pardon de ne pas avoir la force de porter ce corps avec grâce.

J'ai demandé pardon de ne pas avoir compris la parole de l'ancien qui bafouillait, parfois dans une langue étrangère.

J'ai demandé pardon car je ne pouvais répondre à leur demande.

J'ai demandé pardon car je leur servais cette nourriture toxique, et je les ai parfois forcés lors de l'administration d'un médicament.

J'ai demandé pardon de les voir dans leur fauteuil, abandonnés à leur triste sort sans activité, sans compagnie, sans compassion, abandonnés à leur triste sort de vieillir seul.

J'ai demandé pardon pour le manque de disponibilité.

J'ai demandé pardon d'avoir perdu patience.

J'ai demandé pardon pour le temps que je n'ai pu prendre à écouter car le temps me pressait pour passer à l'autre résident.

J'ai demandé pardon de ne pas avoir eu le temps de faire un soin de bouche, ou tout autre soin qui semblait nécessaire.

J'ai demandé pardon de ne pas pouvoir soulager leur souffrance tant morale, physique qu'émotionnelle.

J'ai pleuré toutes mes larmes face à ces situations inhumaines, à cette maltraitance ; c'est le mot que je décide d'employer.

J'ai demandé pardon pour ces larmes qui coulaient pendant le soin, car j'étais démunie, alors que j'assistais cette personne qui avait tant besoin de moi et de "ma force".

Je ne pardonne pas aux pouvoirs publics, aux directions, aux travailleurs de la santé cette hypocrisie constante. Cette complicité.

Beaucoup font tout leur possible pour changer ça, j'en suis bien consciente.

Je ne jette pas la pierre à toi, qui te bats chaque jour pour améliorer ces conditions, qui donne tant d'amour à ces êtres, un simple sourire, une parole douce, toute ton écoute. A toi qui ne comptes plus tes heures. Mais nous savons bien que c'est insuffisant.

Comment aider nos personnes âgées si le temps nous est imparti ? Le personnel jamais remplacé ? En vingt minutes je devrais laver, retourner, laver complètement, écouter, ressentir, comprendre, accueillir les douleurs morales physiques et émotionnelles. On me demande un « abattage », telle une industrie de nettoyage d'êtres humains qui doit faire son chiffre. Et ce sans prendre en considération toute l'entièreté que constitue cet être. Sans offrir de prestations supérieures. Je suis dans le fast-food du soin. Le client, le résident, j'ai cru qu'il aurait droit à des prestations différentes, mais le seul but est de faire du chiffre en réduisant les coups comme toute bonne entreprise qui cherche à gagner plus. Il s'agit d'êtres humains et de leur santé.

Comment puis-je garder mon intégrité dans ces conditions ? Alors je suis lâche et j'ai le courage d'abandonner cet emploi qui ne correspond pas à mes valeurs profondes. Je culpabilise de cet abandon. Abandonner ces êtres.

Et je me demande pardon.

MalikaAncienne aide-soignante


Source : infirmiers.com