Les bases de l'exercice des Infirmiers de Pratiques Avancées ont été posées le 18 juillet 2018 par le gouvernement et les infirmiers en cours de formation doivent désormais imaginer quelle sera leur place sur le terrain, une fois diplômés. Alors que ce nouveau métier infirmier continue de faire réagir et suscite encore des craintes quant à son intégration à l’hôpital mais également en libéral, Isabelle Fromantin , infirmière, docteure en sciences et chercheure à l’institut Curie, nous propose une interview avec Joseph Gligorov, oncologue, directeur d’un institut de cancérologie et enseignant en Master 2 d'oncologie/hématologie.
Cette année 2019 verra ses premières Infirmières de Pratiques Avancées Diplômées d'Etat sortir du banc des universités, notamment en oncologie. Ce nouvel exercice professionnel fait couler beaucoup d'encre dans la profession. Les réactions vont de l'attente à la perplexité ou à l'enthousiasme. Certains prennent même des positions très critiques. On peut ainsi lire dans le numéro de janvier 2019 de la revue Santé Mentale, un infirmier PhD (titulaire d’un Doctorat) exerçant en Suisse s'exprimer en ces termes concernant l'intégration des filières IPA dans les universités de médecine : ce geste fort et symbolique met en lumière le fait que les infirmières françaises ne parviennent pas à acquérir par elles-mêmes leur autonomie de pensée et d'action.
Des positions extrêmes qui interrogent au regard de la qualité des critères de sélection et des enseignements qu'auront suivis ces professionnels, sans compter l'investissement personnel qu'aura demandé cette formation à chaque étudiant. Bien sûr, sans doute des enjeux économiques ont motivé la mise en place de cette filière. Mais s'il est possible de contenir des coûts, tout en offrant une qualité de suivi pour les malades et en permettant à des infirmiers d'évoluer autrement qu'en devenant cadre de soins… finalement… où est le problème ? Après 30 ans d'exercice, j'ai pour ma part envie de faire confiance à ces plus jeunes professionnels qui vont avoir la lourde tâche d'implanter cette nouvelle fonction, ici, en France, avec la singularité de notre système de santé reconnu pour sa qualité, quelles qu’en soient les difficultés actuelles. La tendance à vouloir faire endosser à ces IPA l'avenir de la profession avec l'avènement des sciences infirmières en France me semble être une erreur. Pourquoi ne pas les laisser s'intégrer et travailler au lieu de réfléchir à leur place, nous qui n'avons pas le diplôme dont ces professionnels seront titulaires dans quelques mois ?
Puisqu'une des inquiétudes semble être le glissement de tâches du médecin vers l'infirmière, avec une perte de l'identité infirmière
, il m'a semblé intéressant d'interroger un oncologue, chef de service, membre du comité pédagogique d'un Master 2 IPA d'oncologie/hématologie (M2 PASC-CAL, UPEC, Universités Paris 12 et Paris 6).
Isabelle Fromantin : en tant qu'oncologue et directeur d’un institut de cancérologie, comment imaginez-vous l'implantation d'une IPA dans un service d’oncologie ?
J.G. : J’espère que très rapidement cette question deviendra : comment pouvez-vous imaginer un service d’oncologie sans IPA ? Plus concrètement, les IPA ont en théorie un champ de pratique très vaste. La loi prévoit des activités d’orientation, d’éducation, de prévention ou de dépistage, des actes d’évaluation et de conclusion clinique, des actes techniques et des actes de surveillance clinique et paraclinique. En fonction de l’activité du service, des priorités d’optimisation et d’organisation du parcours des patients, l’IPA peut avoir plusieurs missions. Ces missions ne doivent pas se réduire à une unique délégation de tâches médicales (comme la surveillance d’un traitement oral de tous les patients prenant ce même traitement, ou la surveillance systématique des patients en intercure,…). De par le décret établissant la profession d’IPA comme une des composantes du métier d’auxiliaire de santé, c’est l’oncologue qui après concertation avec le ou les IPA détermine les patients auxquels un suivi par un infirmier exerçant en pratique avancée est proposé. Cette décision est prise conjointement afin de s’assurer des objectifs de ce suivi, de ces modalités pratiques avec notamment la nécessité de partage des informations. Ainsi l’IPA peut être amené à accompagner l’initiation d’un traitement oral au long cours chez des patients fragiles ou les objectifs d’observance sont essentiels et devront passer par une évaluation de la tolérance pouvant entrainer des adaptations posologiques. Dans un autre cas, l’IPA peut être utile à l’éducation thérapeutique d’un patient ayant une comorbidité interférant avec les modalités de prise du médicament, ou alors un accompagnement des patients ayant une prise en charge complexe avec plusieurs soins (plaies et cicatrices, chimiothérapies IV et anticoagulation), nécessitant une surveillance clinique et paraclinique accrue. Enfin, des missions dans le cadre de la prévention et/ou l’après cancer sont également envisageables afin d’optimiser et de fluidifier les parcours patient en amont et en aval des soins spécifiques. L’IPA est un soignant avec des compétences multiples et ce sont ces compétences auxquels je ferai appel dans le cadre de cette optimisation du parcours patient. Enfin, exerçant en milieu hospitalo-universitaire, l’IPA pourra aussi avoir un rôle dans des programmes de recherche portant sur des domaines diagnostiques, thérapeutiques ou organisationnels.
L’IPA est un soignant avec des compétences multiples et ce sont ces compétences auxquels je ferai appel [en tant qu’oncologue] dans le cadre de cette optimisation du parcours patient.
I.F. : que pensez-vous de ceux qui qualifient les IPA de super infirmières
ou petits docteurs
?
J.G. : Si telle est la perception, alors c’est non seulement faux mais également triste. Le soin n’est pas une science mais une pratique à la croisée de plusieurs sciences et de plusieurs expertises. Le soin ne doit pas être vu comme une chaine, semblable à une hiérarchie militaire ou chacun exécute selon les demandes de son supérieur. L’organisation des soins de pathologies chroniques ou complexes comme le cancer dépasse largement cette vision, du fait de thérapeutiques variables, de patients différents, de parcours composites et donc nécessite l’expertise de chacun des soignants pour le faciliter autant que possible. La complexité nécessite une modernisation des pratiques de soins en permettant un recueil fiable et pertinent non seulement des informations médicales, mais également la possibilité de prendre des décisions de soins ou d’examens en dehors de la seule décision médicale. La profession infirmière est la première concernée par l’article 119 de la loi de modernisation du système de santé de janvier 2016 qui créée le métier d’auxiliaire médical en pratique avancée. Les futurs IPA ne sont pas des supers infirmières
. Si tel était le cas, alors toute infirmière qui s’investit pleinement dans son travail étant une super infirmière
devrait être une IPA, sans passer par une formation diplômante spécifique. Quant à petits docteurs
ce terme n’est élogieux pour aucun type de soignant mais surtout stricto sensu, sous-entend que les IPA aient un diplôme de docteur (ce qui n’est pas le cas) et en subissent également les conséquences médico-légales, ce qui sous-entendrait des responsabilités au-delà de celles de leurs pratiques.
I.F. : Jugez-vous que l'enseignement soit en adéquation avec les attentes (prescription, surveillance, autonomie, etc)
J.G. : Il faut rappeler que deux décrets et trois arrêtés émanant du Ministère des Solidarités et de la Santé et du Ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation encadrent réglementairement l'exercice infirmier en pratique avancée. De ce fait les objectifs pédagogiques sont clairement définis et correspondent à un enseignement de pratiques avant tout. Toutefois, au-delà des objectifs pédagogiques visant en tant qu’auxiliaire médicaux à la maîtrise de ces pratiques, il est essentiel de rappeler que l’enseignement de troisième cycle dans le cadre d’un master, sous-entend que les étudiants puissent à l’issue de cette formation être capables de chercher eux-mêmes les informations utiles à l’évolution de leur pratique, ainsi que leur évaluation.
Les futurs IPA ne sont pas des supers infirmières. Si tel était le cas, alors toute infirmière qui s’investit pleinement dans son travail étant une "super infirmière" devrait être une IPA, sans passer par une formation diplômante spécifique.
I.F. : Pourquoi avez-vous choisi d'investir du temps dans la mise en place de ces nouveaux Masters ?
J.G. : Je suis un médecin hospitalo-universitaire, ce qui sous-entend que mon engagement professionnel s’étend dans les domaines du soin, de l’enseignement et de la recherche. Parce que la pratique des soins évolue depuis que les soins existent, non seulement du fait de l’amélioration des connaissances que nous avons sur les maladies et les traitements, mais aussi du fait de l’évolution de la société, l’Université est l’endroit où l’on construit l’avenir. Nous n’avons pas comme unique défi de délivrer des diplômes, mais nous avons comme mission de former les professionnels de demain dans ces trois composantes que sont le soin, l’enseignement et la recherche. La qualité d’une formation ne dépend pas uniquement du prestige de l’enseignement, elle dépend surtout de l’attention portée aux enjeux de la formation pour ceux qui se forment mais également dans les métiers de la santé, pour ceux qui vont en bénéficier. Convaincu depuis longtemps de la place des IPA dans l’organisation des soins en oncologie, il m’a semblé indispensable de m’impliquer dans cet enseignement accompagné de l’ensemble du comité pédagogique et plus particulièrement du Pr Florence Canoui-Poitrine à l’origine de cette aventure, avant même la parution des textes de lois.
Isabelle Fromantin,IDE PhD, CEpiA, Université Paris Est Créteil, Val-de-MarneInfirmière-chercheure, Unité Recherche Plaies et Cicatrisation, Institut Curie, Paris.
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