Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

AS

Salut mon petit pote, alors comme ça, tu veux devenir aide-soignant ?

Publié le 03/12/2015
chariot hôpital

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La journée du 26 novembre est, vous ne le savez peut-être pas, une journée internationale qui vous concerne. Restée discrète, la Journée internationale des aides-soignants existe en effet depuis 2010 et semble avoir été initiée par la profession elle-même. Il y a quelques temps, Aide-soignant.com vous a encouragé, à cette occasion, à écrire une Lettre à un(e) ami(e) qui voudrait devenir aide-soignant(e). Thomas, cadre formateur en IFSI/IFAS, nous propose une contribution originale, réaliste mais néanmoins très chaleureuse… Merci à lui.

Salut mon petit pote, alors comme ça, tu veux devenir aide-soignant. Bien sûr, on ne rentre pas comme ça en institut de formation en soins infirmiers, il y a le concours et tout ça ; un claquement de doigts ne suffit pas tout à fait. Mais avant même que tu ne commences ta préparation, avant même que tu n’entames des démarches et que tu ne t’y voies déjà, avant tout ça il faut que tu m’écoutes te répondre. Car quand on me dit « je veux devenir aide-soignant », j’ai envie de répondre : Oh putain, Oh bravo et Oh chouette !

Oh putain !

Et oui, « Oh putain » pour commencer ! Aide-soignant mais quelle idée ! De tous les métiers de la santé, ce n’est clairement pas l’un des plus faciles. Parlons déjà des inconvénients les plus criants ! Les horaires de travail sont majoritairement affreux avec des alternances de réveils précoces, de couchers tardifs, des week-end et jours fériés à travailler pour 80% de tes futurs collègues. Et si tu te dis que ça te laisse 20% de chances d’avoir un planning plus cool, n’oublie pas que ces rares postes sont souvent réservés aux plus anciens et non pas forcément aux plus méritants.

Si tu résistes à ce dérèglement de ton rythme de vie, si après deux, trois, quatre ans de ce « traitement de faveur » tu vois toujours tes amis d’avant, ne seras-tu pas mis à genoux par la charge de travail. Cette charge de travail, elle est énorme, le mythe de Sisyphe à côté, c’est un léger entraînement sportif ; d’ailleurs, la lourdeur physique du métier, c’est surtout la devise des Jeux Olympiques : « plus vite, plus haut, plus fort ! » Imagine un service de 30 patients, tous plus dépendants de toi les uns que les autres, pour lequel vous êtes une armée de 4, oui seulement 4, aide-soignant. En « venir à bout » un jour, c’est bon, 2 jours ça passe, mais 10 ans (et la tu saisis enfin mon analogie à la mythologie grecque)... voire 40 a priori...

Admettons que je ne t’ai toujours pas ni dégoûté, ni effrayé, passons à la reconnaissance. C’est déjà un mot pas très courant parmi les métiers paramédicaux. Quand on est guéri, c’est souvent grâce au médecin. C’est aussi souvent lui qui reçoit les courriers de remerciements. Les infirmiers, les kinés, parfois un peu. Mais alors les aides-soignants, là !?! C’est valable au quotidien comme dans des circonstances plus exceptionnelles. Récemment, nous avons tous vécu un tel choc que c’est même difficile pour moi d’avoir l’esprit critique. On a loué la réaction immédiate des politiques, la rigueur et le professionnalisme des forces de sécurité, les sens du devoir des pompiers. Rares ont été, les mentions dans les médias sur l’engagement de tout un secteur pour faire tourner les hôpitaux. Puis, c’est venu, au compte-goutte… Quoi qu’il en soit au milieu de tout cela, rien sur les aides-soignants qui ont pourtant, eux aussi, contribué à assurer la bonne marche d’un système finalement loué pour son efficacité. C’est un métier terrible que tu t’apprêtes à choisir ! 

Imagine un service de 30 patients, tous plus dépendants de toi les uns que les autres, pour lequel vous êtes une armée de 4, oui seulement 4, aide-soignant...

Oh bravo !

Ce « oh bravo » revêt pour moi un double sens. Dans un premier temps, c’est surtout le fameux « Oh bravo ! » de Scott Bakula dans la série Code Quantum. Si tu n’es plus très au clair avec tes classiques, il s’agit d’une fameuse Gimmick que le héros, un voyageur temporel, prononçait à chaque fois qu’il se retrouvait dans une nouvelle peau. Ça semblait vouloir dire : « M…, qu’est-ce qu’il va encore m’arriver ? » et moi, c’est ce que je te dis en sachant ce qui vas t’arriver ; le tout la mine dépitée et le front dans la main ! Et puis, dans un second temps, il y a ce « Oh bravo » un peu moins dramatique encore que… celui que tu vas entendre, sincère, dans la bouche de tous ces gens à qui tu vas évoquer ton projet. Ces gens qui vont te répondre que c’est bien, qu’il en faut, qu’il faut avoir la foi… Tous ces discours contre lesquels nous nous battons, qui nous rattachent à ce quelque chose de religieux et qui au final nous aliènent. Et puis, soyons clairs, c’est aussi péjoratif, tu ne trouves pas ? Ce « il en faut » qui félicite mais qui en même temps vient dire une sorte de dégoût et de répulsion. Il faudra endurer ces références à un sacerdoce, à une vocation qui ne sont plus le réel d’une profession. Et, promet-moi, si tu vas au bout de ton idée, promet-moi que tu viendras te battre à mes côtés pour battre ces discours en brèche avec moi. Nous montrerons alors que c’est un métier comme un autre, un métier qui n’a pas de « sexe (oui, on peut être un homme et être aide-soignant), un métier qui n’a pas que des inconvénients !

Tous ces discours contre lesquels nous nous battons, qui nous rattachent à ce quelque chose de religieux et qui au final nous aliènent.

Oh chouette !

Car oui, au final, je vais te dire « Oh chouette » ! Tout d’abord on aura progressivement un langage commun. On continuera à se remémorer les belles histoires qui ont forgé notre amitié mais on passera aussi du temps à se raconter « nos histoires de guerre » : celles que nous serons les seuls à comprendre, des histoires qui ne nous dégoûteront pas, qui ne nous choqueront pas. On échangera aussi sur notre rythme de vie, nos cadres, nos collègues… Et puis tu vivras ça avec d’autres que moi aussi. Car si ta vie sociale, du fait de tes horaires va changer, finalement, elle n’en sera pas moins riche. Tu verras la vie d’équipe est fabuleuse : des délires, du soutien, de l’entraide. Les équipes hospitalières sont souvent des groupes forts, de ceux dont on se souvient !

Aussi, il y a le boulot bien sûr ! Ce boulot enrichissant lors duquel tu apprends chaque jour sur le corps, sur la maladie, sur les autres… Surtout jamais de routine. Les batailles contre la souffrance, contre la perte d’autonomie sont des guerres jamais gagnées d’avance. Chaque patient, chaque époque, chaque service font qu’elles se livrent sur des terrains toujours différents. Et quelle satisfaction quand on en sort vainqueur !

Enfin, même si tout à l’heure j’avais peint un tableau très sombre de la reconnaissance envers les aides-soignants, cette reconnaissances, tu finiras par la trouver dans les yeux des autres, ces personnes que tu côtoies tous les jours :

  • dans les yeux de tes collègues AS à qui tu as apporté de l’aide lors d’une toilette délicate ;
  • dans les yeux de tes collègues infirmiers qui apprécieront que tu sois leurs yeux et leurs oreilles auprès du patient. Tu seras le soignant de proximité, celui qui passe le plus de temps auprès du patient depuis le réveil jusqu’au coucher dans une aide de tous les instants pour les mobilisations, les repas les soins d’hygiène;
  • dans les yeux des patients naturellement qui te remercieront sans cesse parce que tu les aides, parce que tu les acceptes comme ils sont, parce que tu ne détournes pas le regard sur leur corps, sur ce qu’ils  ou ce qu’ils sont devenus.

Alors « bravo, c’est putain de chouette » que tu veuilles rejoindre la famille des aides-soignants ! Certes ça ne sera pas simple tous les matins et tu risques de te battre contre des préjugés presque séculaires mais tu t’enrichiras dans le partage et l’entraide et tu t’épanouiras au contact des autres.

"Enfin, même si tout à l’heure j’avais peint un tableau très sombre de la reconnaissance envers les aides-soignants, cette reconnaissances, tu finiras par la trouver dans les yeux des autres..."


Source : infirmiers.com