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PORTRAIT / TEMOIGNAGE

Infirmiers : l'exaspération mondialement partagée

Publié le 13/11/2015

Il est un sentiment universel qui semble envahir ceux et celles qui ont choisi de faire des soins leur quotidien : celui d'être « à bout ». A l'heure où la profession infirmière a besoin, à son tour, d'être considérée, écoutée et soignée, toutes les portes auxquelles elle frappe semblent rester closes. En ce « black friday » de la santé en France , avec en outre une mobilisation nationale des soignants aujourd'hui et dans les prochains jours, une exaspération générale s'abat sur les infirmiers dans le monde entier. 

Partout dans le monde, l'exaspération de la communauté infirmière atteint ses limites.

A travers les siècles, les années et l'histoire de l'humanité, le désir de soigner a toujours fait l'objet d'une profonde quête, d'une ambition, d'un devoir. De cette « vocation » est née la profession infirmière. Pour certains, l'évidence même d'être fait pour ce métier fit écho dès l'enfance. Pour d'autres, l'impression d'être investis d'une « mission » parut bien plus tard. Qu'importe. Pour tous, la détermination fut la même. Un désir semblable et partagé de se sentir « vivant » en déjouant la mort et la maladie. Du moins... au départ. Car aujourd'hui la communauté infirmière souffre et c'est un mal qui se répand partout dans le monde.

Quand j'ai décidé de devenir infirmière, je savais que ma vie sociale allait en prendre un coup (…)  mais je ne m'attendais pas à devoir travailler 16 heures [par jour] sans avoir le temps de [manger].

« Si j'avais su... »

Quoi en penser ? Quoi se dire lorsque qu'une infirmière tutrice de stage dans un hôpital parisien, un exemple en somme, adresse ces mots en toute sincérité à son étudiante : Tu n'aurais jamais dû choisir ce métier ? Car en effet, la profession n'est plus ce qu'elle était. Mais qu'était-elle au juste ? Aussi loin que nous puissions nous en souvenir, a-t-elle jamais été considérée à sa juste valeur (du moins en France) ? Probablement pas. Et la situation va de mal en pis. Au point que beaucoup se découragent, se détournent du métier, et, en se projetant quelques années en arrière, se disent : si j'avais su... C'est le cas de Sylvie Couillaud, infirmière canadienne de 50 ans, qui voulait à tout prix soigner les autres. Mais aujourd'hui, elle déplore des conditions de travail qui ne cessent de se dégrader, à un point tel que si c'était à refaire, elle s'orienterait vers une autre carrière...

Les horaires rendent souvent la conciliation travail-famille presque impossible et il n'est pas rare de voir [des infirmières] pleurer dans les étages.

L'effroyable réalité qui fait le tour du monde

La profession infirmière est donc aujourd'hui plus que jamais indivisible... dans cette adversité. Au point qu'il est un fait certain : partout dans le monde, concilier travail et vie familiale devient de plus en plus compliqué pour ces professionnels de santé. Quand j'ai décidé de devenir infirmière, je savais que ma vie sociale allait en prendre un coup et que je serais appelée à travailler sur un horaire rotatif de jour, de soir et de nuit, que j'allais devoir être au boulot certains week-ends et jours fériés, mais je ne m'attendais pas à devoir travailler 16 heures [par jour] sans avoir le temps de [manger], déplore Sylvie Couillaud. Dans notre métier, on sait l'heure à laquelle on débute, mais on ne sait jamais l'heure à laquelle on termine. C'est très difficile à gérer (…). Les horaires rendent souvent la conciliation travail-famille presque impossible et il n'est pas rare de voir [des infirmières] pleurer dans les étages.

Cette dégradation des conditions de travail ne connaît aucune frontière. Aux États-Unis, une étude a mis en évidence un lien de cause à effet avec l'abandon de la pratique. Annette Tersigni est devenue infirmière à 51 ans pour donner un nouveau sens à sa vie et faire la différence. En poste dans un service de transplantation cardiaque, les conditions étaient telles qu'elle a pris beaucoup de poids et qu'à plusieurs reprises son état de santé requit un congé maladie. Finalement, après une reprise d'études et seulement trois ans d'exercice, elle dut abandonner sa nouvelle profession. En poste, j'étais tout le temps stressée. J'avais peur à l'idée de commettre une faute professionnelle ou une erreur médicale et d'être poursuivie en justice. Un état que nous pourrions plus communément appeler « burn-out ».

J’ai des collègues [infirmières] qui sont aussi caissières ou ouvrières en usine.

Exercer comme si sa vie en dépendait

Partons maintenant en Argentine où il manque plus de 100 000 infirmiers. Payés environ 600 euros par mois à temps plein, beaucoup renoncent à leurs congés, multiplient les heures supplémentaires ou exercent un, voire plusieurs emplois pour compléter leurs revenus. J’ai des collègues [infirmières] qui sont aussi caissières ou ouvrières en usine, assure Alejandro Miranda qui dénonce un manque de considération de la profession autant dans les conditions de travail que les salaires. Faute de suffisamment de moyens accordés aux soignants, les conditions d'exercice deviennent de fait très dangereuses. Il n’y a pas toujours le matériel nécessaire pour exercer en toute sécurité : des gants ou des protections pour les yeux quand on fait des rayons X par exemple. Nous sommes sans cesse soumis à des risques d’infection ou de contamination, témoigne l'infirmier en néo natalité.

N'oublions pas l'Afrique. En Équateur, Jean-Pierre Timbo Inzago était dévoué corps et âme à sa profession. Travaillant sans salaire depuis 29 ans, l'infirmier de l'hôpital général de Genema ne vivait que de sa modeste prime de risque s'élevant à 37,50 euros par mois. Mais, le jour où elle lui fut subitement retirée, sa consternation fut telle qu'il s'immola par le feu devant l'hôpital...

Alors quelles solutions finalement ? Abattre les frontières et s'unir au nom d'une même cause ? Dépasser les différences de compétences et faire des revendications des uns le combat des autres ? Descendre dans la rue, toutes spécialités confondues, durant ce mois de novembre déterminant pour notre système de santé ? Qu'importe. Pourvu que les choses changent. Car la profession va mal. La profession est épuisée et désabusée. Pourtant, fidèle à son devoir, elle s'efforce de ne pas déposer les armes face à la maladie qui s'abat sur autrui et brise des vies. Mais pour combien de temps ? Et au risque même de sa propre santé...

Gwen HIGHT  Journaliste Infirmiers.comgwenaelle.hight@infirmiers.com@gwenhight


Source : infirmiers.com