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AU COEUR DU METIER

Infirmière de pratique avancée : un profil en mouvement

Publié le 21/11/2014
Compétence

Compétence

Lors du Salon infirmier 2014, du 5 au 7 novembre dernier, la pratique avancée pour les infirmier(e)s a clairement été débattue et explicitée, d'autant que le projet de Loi de Santé y consacre son article 30. Retour sur les paroles fortes des uns et des autres, concernés au premier chef, et des représentants de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS).

5 novembre 2014 - Symposium : "Nouveaux métiers" à promouvoir, état des lieux des infirmières de pratique avancée et cliniciennes 

  • Christophe Debout, infirmier, PhD, directeur ISIS formation et ancien directeur du département des sciences infirmières à l’EHESP
  • Fabrice Gobeaut, directeur des soins au CH de Valencienne
  • Galadriel Bonnel, PhD santé publique/recherche clinique, Inf MSCI (master en sciences cliniques infirmières)
  • Florence Ambrosino, Inf MSCI, membres du comité de pilotage du REPASI, groupe d’intérêt commun de l’ANFIIDE.

Un enquête a été mené au printemps 2014 par le GIC REPASI afin d’établir un état des lieux en France des infirmiers ayant approfondi le champ de la clinique infirmière, par un certificat de clinicienne, de spécialiste clinique ou un master en sciences infirmières. L’objectif était de recenser ces professionnels au vu du projet de loi de santé qui décline le positionnement de l’infirmière de pratique avancée au sein du système de santé et du code de la santé publique.  La présentation complète est disponible sur le site du GIC REPASI.

Cet exercice expert est bel et bien un exercice de terrain qui génère déjà un impact auprès des patients et des équipes de soins.

Pratique avancée quelles perspectives pour les infirmieres ?

Sur les 240 réponses analysées, il est constaté que ces infirmières ont en moyenne 21 ans d’expérience professionnelle avant d’intégrer ce type de formation. Le Sud Est et l’Ile-de-France sont les zones les plus couvertes. Les modes d’exercice  prédominants sont le libéral (43%) et le secteur  public (42%). Les domaines d’expertise les plus fréquemment cités sont : soins palliatifs, cancérologie, éducation thérapeutique/ consultation et parcours soins/ coordination. La majorité des infirmières (88%) exerce (ou a un projet en cours) dans le champ de la clinique infirmière approfondie, mais seulement 11% ont une  fiche de poste spécifique à cette activité. Quasi tous les répondants s’estiment peu (28%) ou pas rémunérés (67%) en rapport avec cette activité. A noter un changement de posture professionnelle pour 71%, majoritairement perçu par les collègues de travail et les patients.  Environ 61% valorisent leurs travaux, par communications orales (47%) ou  enseignement (30%), un peu moins via des articles scientifiques ou professionnels (16%). Cependant ils sont 47% à souhaiter les valoriser avec de l’aide.

Cet exercice expert est bel et bien un exercice de terrain qui génère déjà un impact auprès des patients et des équipes de soins. Un cadre législatif est à venir, associé à un modèle économique, car cette montée en compétence de la profession infirmière est un des leviers possibles en  réponse  aux besoins du système de santé.

Fabrice Gobeaut, directeur des soins au Centre hospitalier de Valenciennes, a expliqué de son côté les bénéfices d'une implantation de ces infirmières de pratiques avancées sur le terrain : environ 50 infirmières cliniciennes et 2 infirmiers masteurisés. Une innovation : des aides-soignantes formées à la clinique, formation qui renforce la place de celle-ci dans la dynamique interdisciplinaire, la collaboration avec l'infirmière et le raisonnement clinique. Des journées d’études sont fréquentes et permettent de renforcer le travail en équipe.

Christophe Debout, directeur ISIS formation et ancien directeur du département des sciences infirmières à l’EHESP, a explicité, pour sa part, les difficultés rencontrées à l’issue d’une formation d’approfondissement dans le champ du rôle autonome. Difficultés de réintégration dans  son milieu de travail, car il existe une modification du positionnement, des savoirs nouvellement acquis qui peuvent, sans préparation de l’équipe, être perçus comme un danger, une menace, une remise en cause des habitudes de travail. Il est donc nécessaire d’accompagner l’étudiant et le nouveau certifié ou diplômé dans son parcours, afin d’éviter des phases de frustration, de « gel », de mise à l’écart. S’appuyant sur les paliers décrits par Patricia Bennerdans son ouvrage "De novice à expert", on constate un passage de niveau compétent, voire expert, à un niveau débutant à l’issue d’une nouvelle formation. Il est nécessaire d’avoir un temps d’adaptation et de réappropriation des savoirs acquis pour retrouver le statut précèdent. C’est cette phase délicate que les enseignants ou l’encadrement devront soutenir, pour permettre le plein réinvestissement de cette montée en compétences.

Le thème du 13eme congrès des infirmières cliniciennes, consultantes et de pratique  avancée organisé cette année par l’ANFIIDE reprendra les différents positionnements de l’infirmière tout au long de sa carrière professionnelle. « De novice à expert, osons l’expertise » sera le fil conducteur de ces deux journées qui auront lieu en avignon les 1er et 2 octobre 2015.

6 novembre 2014 - Direction générale de l'offre de soins (DGOS) "Pratique avancée : quelles perspectives pour les infirmiers ?"

  • Michèle Lenoir-Salfati, sous-directrice RH (DGOS, ministère des Affaires sociales, de la Santé et du Droit des femmes)
  • Carole Merle, adjointe au chef du bureau RH2 (DGOS, ministère des Affaires sociales, de la Santé et du Droit des femmes)
  • Laetitia Faveraux, chargée de mission au bureau RH2 (DGOS, ministère des Affaires sociales, de la Santé et du Droit des femmes)

Le contexte actuel marqué par une tension démographique (pénurie médicale et disparité de l’offre de soins), une maîtrise des coûts en santé et la nécessité de rendre attractive la profession infirmière avec des  perspectives de carrière, pose les bases d’une évolution dans la réponse apportée aux demandes en soins. La création de la pratique avancée est une de ces réponses. Elle concernera à terme la plupart des paramédicaux et commence avec la profession infirmière.

Dans le projet de loi de santé qui va être soumis au parlement dès le début 2015, l’article 30 mentionne la pratique avancée pour les infirmières (IPA). En premier lieu, c’est le métier qui est exercé en pratique avancée (d’où le terme au singulier), et non un champ disciplinaire. Actuellement l’exercice infirmier (et plus largement paramédical) est médico-centré et seul le médecin a le droit d’atteinte à l’intégrité du corps (code de la santé publique). L’infirmière exerce donc en dérogation à l’exercice illégal dans ses actes prescrits. 

A ce jour, certains actes non autorisés sont pratiqués  via des protocoles de coopération (article 51 de la loi HPST), mais sous délégation de tâche. Ceci ne constitue pas de la pratique avancée, mais une dérogation. L’objectif sera de passer d’actes effectués à titre dérogatoires à une pérennité quel que soit le type et le mode d’exercice de l’infirmière.  Les compétences seront acquises et attachées au professionnel de santé.  Une infirmière exerçant en  pratique avancée (IPA) pourra voir inscrits dans son décret de compétences certains actes actuellement réservé au champ médical.

Le décret d’actes est à la fois une protection et une limite pour la profession. C’est le code de la santé publique qui sera modifié. Avec ce projet, on « perturbe » la logique de l’organisation des professions paramédicales. Cette disposition est transversale, elle nécessite de nouvelles organisations et de nouveaux périmètres d’intervention. La difficulté sera de définir la frontière entre l’IPA et le médecin, pour ne pas basculer vers l’exercice illégal de la médecine. L’IPA ne doit pas être poursuivie, il y aura donc une définition des activités qui peuvent déroger à l’exercice illégal, avec un champ d’intervention qui sera protégé. Pour cela une formation spécifique  devra être mise en œuvre.

Ce sera un diplôme universitaire, pas un certificat ni un DE délivré par un institut de formation, peut-être un master. La durée n’est pas encore définie, un an ou deux, probablement 2 ans.  On peut imaginer un an et demi d’enseignement général et 6 mois plus spécifiques, sous la forme de stages pratiques. Ce parcours doit rester fluide et non « enfermant » pour l’infirmière.  L’université devra être habilitée à délivrer ce type de diplômes sur la base d’un référentiel. Il faudra quelques années d’expérience professionnelle pour intégrer une formation en pratique avancée, on parle de 5 ans minimum. Les conditions préalables seront donc : de l’expérience professionnelle et un diplôme universitaire.  L’IPA devra s’enregistrer auprès de l’Agence régionale de santé (ARS) de son territoire d’exercice. Son diplôme sera vérifié. Toutes les professions paramédicales (titres I à VII) seront concernées à terme.

Le changement majeur sera que le champ d’exercice paramédical en pratique avancée passera d’actes à missions.

L’IPA exerce en pratique globale et est capable de prendre des décisions complexes. C’est cette expertise reconnue dans le champ de la clinique infirmière qui manque actuellement dans le paysage de santé français. Elle se positionne sur la qualité des soins pour répondre aux défis en santé de la population. Le système actuel est principalement curatif et l’IPA exercera dans les domaines de l’éducation, du dépistage, de la prévention, de l’évaluation clinique, de l’ ambulatoire, pour aider à la diminution des temps d’hospitalisation. Ces besoins sont actuellement très mal couverts en France.

Il faut bien différentier IPA et spécialisation (IPDE , IADE , IBODE ). LA pratique avancée s’appuie sur le socle infirmier et toutes les compétences sont embarquées, elle ne répond pas uniquement à un champ disciplinaire. C’est la pratique avancée de la profession infirmière et du raisonnement clinique, pas une expertise dans un champ disciplinaire. 

Par exemple, alors qu’une IBODE est  attachée à des activités de bloc opératoire, une IPA restera « généraliste ». Elle pourra exercer en cancérologie et choisir de s’orienter vers de la diabétologie ou du soin de premier recours… elle n’est pas  enfermée dans une spécialité.
Si elle travaille en  diabétologie, l’IPA qui suit un patient pourra, « au-delà » du cadre légal actuel, prescrire des renouvellements de traitement, des examens complémentaires, des ajustements de posologie en fonction des résultats,  avancer les rendez-vous… Elle sera au sein d’une équipe de soins (représentant l’ensemble des professionnels autour du même  patient), en relation avec un médecin, avec des dispositions réglementaires  et un domaine d’intervention précis. Dans le champ des maladies chroniques, le suivi de ces patients pourra être défini par décret. (concertations à venir). Les IPA pourront exercer :

  • dans des services de soins  (au sein des établissements de santé) ;
  • dans des équipes libérales avec un médecin qui reconnaîtra son rôle IPA ;
  • selon un cahier des charges (ex- PAERPA) dans des hôpitaux, des cliniques, des maisons de santé, en libéral,  des réseaux de santé, dans le champ du médicosocial..

Le médecin traitant restera le pivot. L’IPA ne se substitue en aucun cas au médecin traitant, elle travaille en collaboration avec lui.

Concernant la santé mentale, ce n’est pas la pratique avancée qui semble être la meilleure solution à apporter mais plutôt une nouvelle spécialisation en santé mentale ou un temps de renforcement des compétences.

A propos de l’annonce faite dans le plan cancer 3 par le Président de la République, sur les « infirmières cliniciennes de pratique avancée », Michèle Lenoir-Salfati rectifie la sémantique et parle désormais « d’ infirmières de pratique avancée » qui exerceront dans ce domaine, et non plus d’infirmières cliniciennes.

Un cadre reste à poser, avec un modèle économique pour les établissements de santé et le libéral. Des discussions vont s’engager avec les caisses d’assurance maladie pour création de cotations adaptées aux missions qui seront dévolues aux IPA libérales. A l’hôpital, la FHF réfléchit à un statut spécifique et des rémunérations, qui devraient être équivalents à ceux des cadres de santé.

La pratique avancée est une nouvelle opportunité de carrière qui est offerte aux infirmières, se rajoutant à la spécialisation disciplinaire ou au statut de cadre formateur ou en management. L’IPA est une experte clinique. Il est prévu une circulation possible entre les différentes orientations, qui reste à organiser, ceci afin de décloisonner les différentes voies  professionnelles empruntées par une infirmière. L’attractivité de la carrière est un des objectifs.

Les groupes de travail qui vont se réunir dès janvier 2015 devront réfléchir à  cet exercice et à sa place dans les milieux de soin et définir des fiches métier, de poste, un  cadre d’exercice, un référentiel de compétences et de  formation. L’offre universitaire est également à construire.  Les masters actuels ont été créés de façon expérimentale, mais l’employabilité de ces professionnels nouvellement diplômés n’a pas été pensée en amont. Bien entendu des passerelles sont à prévoir pour permettre à ces infirmières "masteurisées" de ne pas refaire un cycle complet et d’avoir une reconnaissance de leurs acquis. Des dispositions transitoires seront définies. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sera associé à ces travaux. Ces parties prenantes  seront composées d’infirmières, de médecins, d’étudiants… Ces concertations se feront en parallèle avec les discussions sur la Loi de Santé et les premières IPA devraient être formées d’ici 2016/2017.

Pour les infirmiers libéraux, là encore il faudra préciser les actions, dans le cadre d’un exercice en pratique avancée, pour permettre à celles et ceux qui le souhaitent une évolution dans leur pratique.

Focus sur les infirmières libérales , qui font déjà de « la pratique avancée » par leur approche globale et transversale, mais sans autorisation pour élargir leur autonomie. Elles n’ont actuellement pas le droit d’ajuster un traitement, de prescrire des examens complémentaires, de les interpréter ou de modifier une prescription médicale.  Là encore il faudra préciser les actions, dans le cadre d’un exercice en pratique avancée, pour permettre à celles et ceux qui le souhaitent une évolution dans leur pratique. Une  « coordonnatrice de parcours » ne sera pas nécessairement une infirmière de pratique avancée. Ceci est un autre métier. Ces aménagements restent encore à discuter ainsi que les modalités du maillage ville –hôpital par des IPA. Ceci sera une question d’organisation. 

A retenir : c’est une pratique avancée du métier infirmier, différent d’une expertise dans un domaine spécifique.

En conclusion, à l’instar de ce qui se pratique déjà à l’étranger , un nouveau métier d’IPA va être « construit » en France, permettant une alternative de carrière à la spécialisation ou au cadre de santé, avec une équivalence de reconnaissance statutaire et salariale. C’est une pratique avancée du métier infirmier, différent d’une expertise dans un domaine spécifique. Une formation universitaire probablement de type master permettra à ces infirmières d’approfondir leur raisonnement clinique et leur expertise dans le champ du rôle autonome. De plus un élargissement des domaines de compétences sera inscrit au code de la santé publique, renforçant le rôle des IPA dans la prise en charge des maladies chroniques et  dans l’amélioration de la qualité des soins. Reste un travail de pédagogie à entamer auprès des instances médicales et infirmières afin de rassurer sur l’impact de ces nouveaux métiers qui se veulent  collaboratifs et non concurrentiels.

Florence AMBROSINO   IDEL, Master en sciences cliniques infirmières, comité de pilotage du Gic REPASI/ ANFIIDE fambrosino13@gmail.com


Source : infirmiers.com