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Hugo Huon "Il faut repartir du travail réel et des besoins"

Publié le 12/02/2020
Hugo Huon

Hugo Huon

Hugo Huon, 30 ans, infirmier pendant 5 ans dans l’équipe de nuit aux urgences de l’hôpital Lariboisière (10e arrondissement de Paris) et Président du Collectif de paramédicaux Inter-Urgences, sort son livre : "Urgences, hôpital en danger", paru ce mercredi 12 février chez Albin Michel. 21 témoins (infirmiers, médecins, aides-soignants), tous membres du Collectif et en poste sur tout le territoire, racontent l’hôpital public tel qu’il est : "en grand dysfonctionnement". Nous avons interrogé Hugo Huon et, sans détour, il nous a livré le sens de son combat. 

Le Collectif Inter-Urgences et son porte-parole, Hugo Huon, se font l’écho, dans un ouvrage, des acteurs de terrain.

Infirmiers.com - "Quand on lit les témoignages, les uns après les autres, on est effrayé. C’est l’effet que vous vouliez produire, créer un choc chez le lecteur ?"

Hugo Huon - …"L’objet c’est de parler du réel, après si ça vous effraie, il faut en conclure que le réel est effrayant".

La démarche est simple sur le papier et elle atteint son but : 21 soignants racontent leur quotidien aux urgences. Au travers des chapitres Patients en dangerL’hôpital usine…, se dessine le panorama d’un hôpital public à terre. C'est un livre qui s'adresse à tous, et en particulier à ceux qui se demandent, au-delà des discours rassurants du gouvernement, à quoi ressemble la réalité du travail aux urgences, confie Hugo Huon. Et son livre sur ce point est accablant. Au fil des prises de parole (l’oralité a été privilégiée), on entrevoit un hôpital exsangue, où le personnel se débat et s’expose à des patients désorientés, inquiets, violents, parfois même dangereux. D’un côté une logique consumériste - où règne le tout tout de suite et le moi d’abord – et de l’autre, on essaie de contenir une situation, parfois à ses dépens. D’un côté l’inquiétude, l’incompréhension, l’attente, l’inconfort, l’impossible pudeur, et de l’autre le mal-être, le sentiment de mal faire son travail, l’impossibilité de rassurer, l’absence totale d’écoute. Personne n’est satisfait. Chacun, à travers son récit personnel, fait l’analyse de l’échec, cuisant.

C’est la violence qui saute aux yeux, physique, concrète ou institutionnelle. Aux urgences, ce sont les personnes vulnérables qui subissent le plus. Pendant les phénomènes de saturation, si vous avez 50 places et 100 personnes qui arrivent, il faut faire le tri. Et souvent, même inconsciemment, les soignants finissent par mettre de côté ceux qui ne sont pas en capacité de porter plainte (les personnes âgées isolées, celles qui ont des troubles psychiatriques, ou les grands précaires). Ce sont des situations quotidiennes, déplore Hugo Huon. Quant aux agressions verbales et physiques - un chapitre du livre, Insécurité grandissante, leur est consacrées et décline son lot de claques, tentatives d’étranglement, menaces de mort et agressions violentes des personnels soignants. Une situation propre aux urgences, où le personnel est exposé en première ligne à la précarité et la misère sociale. Mais la violence prend encore une autre forme dans les étages, avec le turn-over permanent, les services vides. Dans le reste de l’hôpital la situation est parfois pire, assure Hugo Huon. Là, à Paris, au service neurologie de la Pitié-Salpêtrière, 2 infirmières feront le travail de 15 à partir du mois d'avril. Chez nous, à Lariboisière, les infirmiers sont 11 au lieu de 23… Les fuites de personnels sont catastrophiques.

On ne peut pas travailler avec casque et bouclier à l’accueil des urgences

Repartir des besoins et du travail réel

Le livre fait des constats, un état des lieux mais pousse plus loin l’analyse, résumée par son auteur.  A cause des réformes budgétaires successives, et ce pendant 20 ans, le travail réel s’est retrouvé complètement en décalage avec le travail prescrit. La mécanique comptable à l’œuvre ne part pas des besoins, mais du budget que l'on peut (ou non) allouer à l'hôpital. Et de fait, alors même que se présentent de grands enjeux de société sur la précarité, le vieillissement, les maladies chroniques, on a un système complètement en dysfonctionnement. Même si certains témoignages évoquent des rapports très humains au sein de équipes, le poids de la hiérarchie, sa déconnection, est une partie du problème. L’un des propos du livre est de dire : il faut revenir aux besoins, au travail réel et partir de là. Après, on peut réfléchir à ce qu’on veut pour l’hôpital.

Dans le discours d’Hugo Huon, la colère lutte contre le découragement. Lorsqu’Agnès Buzyn accuse un problème d’organisation, elle a raison, mais elle ne dit pas tout. C’est même une analyse très partielle. Il s’agit en fait d’un problème d’organisation lié à des restrictions budgétaires. Pour Hugo Huon, la réponse de l’institution et plus largement du gouvernement, n’est pas adéquate, et ne prend pas suffisamment la mesure du problème. Aux urgences, lieu d’expression de la vulnérabilité sociale, on voit à quel point la société est malade. Sur la question de l’agressivité par exemple, «on prend des mesures palliatives. On forme les personnels à la gestion de l’agressivité plutôt que de la prévenir, regrette l’infirmier. Manière de mettre du sparadrap à même la plaie. Impression de non-sens. Et les soignants qui ont un idéal pour l’hôpital finissent par baisser les bras.

Oui, il y a la question de la dépense publique mais il y en a une qui la transcende, c’est : quel modèle de société veut-on pour demain ?

Un plan d’envergure pour l’hôpital, qui prenne en compte la question sociale

Pour le collectif Inter-Urgences, qui n’a cessé de le marteler, l’hôpital est tellement malade, qu’il lui faut un plan d’envergure. Celui proposé par la ministre de la Santé n’est pas à la hauteur pour Hugo Huon, qui veut malgré tout rester positif. Dans l’immédiat, il faut un message d’espoir. C’est donc d’abord accéder aux revendications qu’on a posées : le salaire, les lits et les effectifs. Voilà pour le court-terme ; Quant aux réformes structurelles à mener, elles ne pourront l’être qu’avec une véritable volonté politique : Il faut mettre les gens autour d’une table et repartir du travail réel et des besoins. Et quand Agnès Buzyn va dans la co-gouvernance directeur-médecin, pour moi elle ne va pas assez loin. Il faut qu’elle s’entoure de gens désintéressés. En d’autres termes, tant que les décideurs se tiendront éloignés de la réalité du terrain, les choses n’avanceront pas.

Les 11 mois de grève des soignants (depuis le 18 mars 2019) auront eu « un mérite symbolique fort » selon le porte-parole du Collectif Inter Urgences : On ne peut plus éluder la question des salaires à l’hôpital. Si ce n’est pas ce gouvernement, ce sera le prochain, mais autour de cette revendication, plus que légitime, il y a eu une prise de conscience de la part des paramédicaux. Concrètement, à l’issue des négociations, il y a eu quelques gestes. Les grévistes ont obtenu des postes, une prime de 100 euros pour la violence aux urgences , un plan proposé. Je vais le critiquer évidemment, annonce Hugo Huon. Le plan d’Agnès Buzyn s’appuie sur l’idée que 40% des gens n’ont rien à faire aux urgences. L’idée est donc de proposer à ces gens une alternative, de façon à désengorger ces services. Pour moi qui ai travaillé 5 ans de nuit à l’hôpital Lariboisière et qui vois le climat social actuel (qui, indéniablement, se dégrade !), je crois fermement qu’il est impossible d’arriver à imaginer qu’on arrive à réduire le nombre de passages aux urgences. Y-aura-t-il demain moins de dépressions, moins de misère ? La mission nationale ne veut pas entendre parler de la question sociale. Pour moi c’est une grave erreur. Une politique de régulation n’ira nulle part sans un plan B : augmenter les moyens à l’hôpital.

Agnès Buzyn, aujourd’hui, veut rassurer et convaincre de l’efficacité de son plan pour l’hôpital . Mais le Collectif de paramédicaux va continuer à se mobiliser. On a décidé de filmer des gens qui vont nous parler de leur travail maintenant. Et puis on fera la même chose juste avant les présidentielles. Comme ça, on verra si les lignes ont vraiment bougé ou non.

C’est quand même exaspérant quand vous dites : ça ne va pas, que des gens qui ne travaillent pas à l’hôpital vous répondent : non, non, ça va plutôt bien en fait.

"Je ne pouvais plus faire semblant"

Le collectif Inter-Urgences sera de nouveau dans la rue pour la grande manifestation du 14 février , avant de se réunir en Assemblée Générale le lendemain. Quant à Hugo Huon, il raccroche la blouse (pour l’instant). Je ne pouvais plus faire semblant, je ne pouvais plus être bon avec les patients sachant qu’au-dessus de moi, les gens n’en avaient rien à f*****, explique-t-il. J'en venais à en vouloir aux patients de penser qu'ils pouvaient être soignés à l'hôpital alors que celui-ci est déjà trop malade. Je ne voulais pas devenir comme ces gens résignés, blasés…  J’ai pris ma disponibilité au mois de janvier. Je suis sur un projet de reconversion. Pour l’heure, le trentenaire s’attache à la sortie de son livre et à la poursuite du mouvement. Est-ce que j'ai encore envie de travailler dans la santé ? Si oui, est-ce que c’est comme infirmier, est-ce que c'est autre chose ? sont des questions qui viendront dans un deuxième temps.

Le constat est amer : A quoi sert de continuer, en tant que professionnel, à porter le système de santé à bout de bras si ceux qui se trouvent au-dessus de moi ne le défendent pas suffisamment ?

Note

Urgences Hôpital en danger ; Hugo Huon et le Collectif Inter Urgences, paru le 12 février 2020, chez Albin Michel, 17 €.

Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin


Source : infirmiers.com