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Harcèlement sexuel à l'hôpital, le vrai du faux...

Publié le 10/11/2017

« C'est un problème à l'hôpital », affirme Martin Hirsh au micro de France Inter le 26 octobre dernier en évoquant le harcèlement sexuel. Suite à l'affaire Weinstein, on constate une véritable libération de la parole sur le sujet. Plusieurs déclarations de professionnels de santé dans les médias sont venues appuyer cette triste vérité sur le monde médical. En tout cas, pour le directeur de l'AP-HP, le message doit passer : esprit carabin ou traditions, ce n'est plus tolérable !  

Suite à la diffusion de nombreux témoignages et les déclarations du directeur général de l'AP-HP, le harcèlement sexuel à l'hôpital apparaît comme une réalité. Pourtant, certains disent 'en avoir jamais entendu parler.

Il est partout ! Ce simple mot : « harcèlement » est omniprésent, que ce soit sur les réseaux sociaux, dans la rue, à la TV, dans les journaux. Il s'est répandu dans la sphère médiatique comme une traînée de poudre. Depuis un mois, on constate un déluge de déclarations de personnes connues ou anonymes. Le hashtag « #balance ton porc » a même été créé sur twitter à cet effet. Le point de départ de ce déferlement : l'affaire Weinstein, le très puissant producteur américain accusé de multiples agressions sexuelles. Si les révélations des victimes ont « ébranlé Hollywood », les langues se délient bien au-delà de l'univers du cinéma et le phénomène a pris de l'ampleur. Le milieu hospitalier n'échappe pas à cette vague de remise en cause. Là aussi, les témoignages affluent révélant que les établissements de santé, lieu d'accueil et de soins, ne sont pas épargnés. Même le Pr Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé a évoqué les propos subis lorsqu'elle était médecin.

L'hôpital, un lieu vulnérable où il faut remettre les pendules à l'heure

L'hôpital, un lieu vulnérable où les acteurs ont toujours eu du mal à voir la frontière entre la plaisanterie lourdingue et ce qui est du harcèlement, a reconnu Matin Hirsh sur France Inter, invité de Marc Fauvelle à 8h20 citant comme exemple un professionnel récemment suspendu pour avoir eu une attitude déplacée vis-à-vis d'une étudiante. Le directeur de l'AP-HP espère que le contexte actuel de libération de la parole permettra de "remettre les pendules à l'heure". Mais comment ? Et si ce problème existe, qu'on le sait, pourquoi ne s'être pas penché sur la question plus tôt ? Y a-t-il fallu qu'Europe 1 diffuse le témoignage d'une sage-femme fatiguée des comportements inacceptables de ses collègues à son égard ? Ou est-ce celui d'un jeune médecin qui assume parfaitement "mettre des mains au cul" sous prétexte que ça reste de la rigolade. C'est notre dérision et notre échappatoire, s'est-il défendu à une heure de grande écoute et en toute décontraction.

Oui, si c'est une jeune médecin qui débarque, l'expression "un gros cul", on peut l'employer et dire qu'on peut s'en servir pour poser nos pintes de bières. Ça, pour moi, non, ce n'est pas du harcèlement sexuel

Interwievé par le quotidien du soir quelques jours plus tard, le directeur général de l'AP-HP a développé ses propos sur la réalité de ces pratiques de harcèlement et sur comment il comptait y mettre fin. Pour lui, au vu des multitudes d'histoires racontées, les faits sont là, impossible à nier.  Les établissements de santé seraient des lieux particulièrement exposés et ce, pour plusieurs raisons : le stress au vu des enjeux, les traditions de pouvoir et de domination le rapport au corps et à la science anatomique. Martin Hirsch évoque encore l'idée qu'il est difficile de voir le mal chez des professionnels qui sauvent des vies. Bien sûr aucune de ces explications n'excusent les débordements et autres gestes déplacés.

Honteux, irrespectueux, c'est drôle hein Mr le docteur, et si les rôles étaient inversés avec de bonnes moqueries sur vos parties du corps ?

Quand Martin Hirsch tire à boulet rouge sur la culture carabine

Mais, si Martin Hirsch refuse le terme de loi du silence dans le milieu hospitalier, il admet que la fréquence de ces pratiques est difficilement mesurable car trop peu sont signalées moins d'une dizaine par an.

De vieilles traditions présentées comme sympathiques ne sont plus tolérables

Les personnes qui sont victimes de ces comportements déplacés s'en plaignent donc rarement. Ils est certain qu'il est délicat de dénoncer les attitudes de ses pairs notamment celles de ses supérieurs hiérarchiques. Déjà parce qu'on peut effectivement craindre de conserver l'image de la dénonciatrice ou du dénonciateur car les hommes également peuvent être potentiellement touchés ou en être témoins. Mais là aussi ça coince : pour les collègues, il est plus préférable d'admonester entre quatre yeux que de prendre le risque que cela vienne sur la place publique ou d'avoir à trancher entre deux versions contradictoires.

C'est une aversion au scandale, une sorte d'omerta qui s'observe dans les établissements de soins. Le patron des hôpitaux parisiens n'hésitent pas à comparer cette situation à celle des accidents médicaux ou des événements indésirables graves ! Le scandale est de camoufler, pas de signaler et de traiter, souligne-t-il. Si l'intéressé se félicite que le nombre de ces événements déclarés sont en hausse, il espère réussir à faire de même pour les agressions à caractère sexiste et cela nous renforcera dans la qualité du travail, et donc aussi des soins.

C'est comme les accidents médicaux : ça se déclare, ça ne se planque pas...

Or, si on ne laisse pas passer quand c'est signalé, le tout est que cela le soit ! Et pour que les victimes osent s'exprimer il faut qu'elles sachent qu' il y a des endroits où l'on peut les écouter. Pour cela, des mesures vont être prises notamment pour faciliter les signalements auprès des commissions de vie hospitalière, qui y seront sensibilisées. Des préconisations seront également diffusées pour que les personnes touchées sachent à qui s'adresser preuve que s'il y a eu tolérance, c'est le passé ! Une culture carabine, c'est savoir être drôle, utiliser la dérision, mais pas abuser d'un pouvoir de domination. Autre cheval de bataille : les fameuses salles de gardes et surtout les fresques grivoises qui en recouvrent les murs. Sera-t-il nécessaire de les repeindre ? La question devrait être tranchée prochainement.  

Les salles de garde : un lieu à part et « un témoignage culturel »

Cacher ce dessin que je ne saurais voir ! Les légendaires fresques des salles de garde seraient sur la sellette. Le grand manitou de l'AP-HP les menace à coup de rouleaux de peinture. Faire disparaître des images grivoises peu paraître anodin. Mais il n'en est rien, la polémique est bien là. Déjà dans le Figaro, des praticiens s'insurgent : au secours, voici le retour de la morale avec un grand « M » !

Mais pourquoi faire une telle histoire pour des images caricaturales voire pornographiques ? Pour les médecins, il s'agit de bien plus : ils évoquent « un patrimoine menacé ». Une histoire qui date plus ou moins du Moyen-âge. Les salles de garde remontent à l'époque où les hôpitaux étaient dirigés par les chirurgiens alors que les médecins ne faisaient qu'y passer. Mais même après la fusion entre ces deux disciplines, les anciens rituels ont survécu. Preuve qu'ils ont un but pas forcément évident à identifier. Que ce soit d'aider à former une communauté unie ou de servir de « rempart » contre la présence continue de la maladie, et surtout de la mort, ces fameuses fresques seraient une sorte d'échappatoire. Et les soignants y tiennent : la tradition, n'est pas bonne, la tradition n'est pas mauvaise, c'est la tradition.

La parole se libère face aux comportements de ceux qui usent de leur pouvoir pour violenter l'autre, en paroles, en gestes ou en actes sexuels. Mais cette indispensable mise au jour, ne doit pas servir d'autres buts que la justice, la réparation des violences subies, s'agacent les médecins dans la tribune du Figaro. Selon eux, Martin Hirsch veut se construire une image de chevalier de la bien-pensance. Ainsi, effacer ces dessins, s'avérerait un geste infantilisant et vexant. Il le qualifie même de méprisant car il considère le médecin et le futur médecin comme incapables de discernement entre la réalité et les vestiges de l'Histoire. Pire encore, Monsieur le directeur se servirait du contexte actuel pour imposer un milieu aseptisé sous le contrôle de l'administration hospitalière. Un prétexte donc ? Quand la bureaucratie pèse de plus en plus sur les épaules des soignants, on porte atteinte à leur indépendance car la salle de garde est de ces lieux où l'on n'obéit pas, ou l'on se moque du pouvoir, du sacré et de la mort.

Les syndicats de médecins concernés

L'Ordre National des Infirmiers vient de mettre en place un formulaire de déclaration en ligne

Suite à ces observations, plusieurs instances ont suivi le mouvement. Par exemple, l'Ordre des médecins encourage les victimes à porter plainte, alors que l'Ordre National des Infirmiers vient de mettre en place un formulaire de déclaration en ligne. Les syndicats ont aussi réagi : l'Intersyndicat national des internes (ISNI) lance une enquête sur le sujet et l'Intersyndicat national des internes de médecine générale (ISNAR-IMG) demande de briser le silence à travers un communiqué. Sous couvert de tradition, “d’ humour carabin”, et souvent dans un contexte de liens de subordination, des actes quotidiens sont banalisés. Ils peuvent pourtant correspondre à de véritables violences psychologiques. (…) les mentalités doivent changer, les langues se délier, il est temps qu’enfin la culpabilité change de camp, précise celui de l'ISNAR-IMG.

En parallèle, d'autres témoignages sont encore parus dans la presse. Une femme médecin dans le Figaro évoque une ambiance particulière qui fait que tu acceptes beaucoup de choses ou un praticien dans Libération dépeint l'image du mec en blouse qui débite des blagues grivoises devant lesquelles les infirmières en cercle doivent se pâmer même si elles trouvent ça grossier, comme une réalité parce que on est comme ça, nous les médecins.

Connu, vécu, le harcèlement à hôpital est courant et en devient une normalité ..... tabou ...

Harcèlement, humour, drague, la frontière reste floue dans les esprits

Après le témoignage du médecin « aux mains baladeuses » sur Europe 1, vous avez été très nombreux a réagir sur nos réseaux sociaux. Beaucoup s'étaient offusqués de ces déclarations : forcément qu'il en a ri, c'est pas lui qui subit. Malheureusement, il y en a tellement à l'hôpital, Quelle tristesse, Honteux, irrespectueux, c'est drôle hein Mr le docteur, et si les rôles étaient inversés avec de bonnes moqueries sur vos parties du corps ?.

Puis d'autres commentaires ont suivi après les propos de Martin Hirsch. Certains, étonnés, n'en ont jamais entendu parler. D'autres l'affirment clairement : oui, c'est un problème !, c'est vrai qu'il y a des abus !, Connu, vécu, le harcèlement à l'hôpital est courant et en devient une normalité... tabou....  

Pour certains le harcèlement est, hélas, un phénomène de société : Pas qu'à l'hôpital malheureusement. Mais bon, on trouve pas mal de pervers dans les métiers du soin !, regrette Marie-Ange. Elle n'est pas la seule. J'en ai vu, j'en ai vécu. C'est un vrai problème de société et l'hôpital est une micro société a elle seule cqfd, confie Elinoli. Une opinion partagée par Sarah : en France des femmes subissent continuellement du harcèlement... les frotteurs dans le métro, les sifflements dans la rue, au travail, au sein des familles.... Alors le harcèlement est partout, c'est juste que maintenant on le pointe du doigt, on le regarde en face et on le nomme ? Comment savoir ? Ou alors, n'est-ce pas comme ça que le genre humain fonctionne ? L'homme est comme ça, et pas seulement les médecins ? Pour Lionel, les relations humaines sont basées sur la séduction, la force et le sexe.

C'est un vrai problème de société et l'hôpital est une micro société à elle seule

Pourtant, des professionnels pensent que oui, l'hôpital est un milieu propice à ce type d'attitudes malsaines, comme Maxime : l'hôpital est sans doute le lieu où le harcèlement est le plus présent au vu du contexte : une majorité de femmes qui font face à une majorité d'hommes en supériorité hiérarchique. Tout le monde connaît "l'ambiance bloc" et la toute puissance des chirurgiens. D'autres pensent qu'il s'agit la plupart du temps de « boutades » et qu'il ne faut rien exagérer, comme Elizabeth : No souci. On blague beaucoup sur ce sujet jusqu'à être triviaux. Mais sur d'autres sujets aussi trashs. Et selon le caractère pas plus les hommes que les femmes. Si l'un dit que ça devient lourd, on change de sujet. Je n ai jamais senti quelque chose de l'ordre de la pression ou du harcèlement à ce sujet.

Le harcèlement à la mode ?

Ce mot « harcèlement » est partout au point que certains paramédicaux l'ont trop entendu, à l'hôpital et en dehors : Ça saoule à la longue cette nouvelle mode, certaines femmes font toute une histoire pour pas grand-chose. Le tout, c'est de définir ce pas grand-chose. Où est la limite ? Légalement parlant, une main aux fesses ce n'est déjà plus du harcèlement : c'est une agression ! Faire une fois une blague salace à un collègue, c'est de l'humour de bon ou de mauvais goût, mais faire des remarques à plusieurs reprises, cela devient du harcèlement. Le code pénal le définit clairement comme le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

Et certaines le disent haut et fort : ça suffit ! Les femmes osent simplement en parler et je trouve ça génial! Et tant mieux si ça fait du bruit, s'enthousiasme Caro. Aucun homme, aucune femme ne doit accepter quelque remarque ou geste déplacé car si nous acceptons par peur, par honte stop ! Je crois que le respect passe déjà par soi-même. Accepter l'inacceptable, c'est accepter de se diminuer soi-même. Il est temps de remettre de l'ordre !, s'exclame Sandrine.

En me faisant la bise, il m'a fait un smack sur la bouche. J'étais choquée mais je n'ai rien dit

Des professionnels évoquent même leurs expériences personnelles face à des attitudes déplacées : en stage il y a quelques années j ai eu 3 chirurgiens à la limite du harcèlement sexuel, bien lourds. Le 3e tripoteur et oups en me faisant la bise m'a fait un smack sur la bouche. J'étais choquée mais je n'ai rien dit, j'ai fui ce mec, d'autres l'ont subi mais personne n'a remonté son comportement. Maintenant, avec du recul, je n'hésiterai plus à porter plainte et à lui mettre un coup dans les roubignoles, s'énerve Aurore. Le monde médical a également laissé à Maryse quelques souvenirs amers : quand j'étais plus jeune c'était très souvent et c'était très pénible surtout quand ça venait des supérieurs directs qui pouvaient vous pourrir la vie littéralement surtout à l'AP-HP, il ne fallait pas compter sur certaines collègues qui étaient "jalouses" des attentions que ces chers médecins ou surveillants portaient sur celles qu'ils harcelaient.

Et le harcèlement moral, alors ?

Enfin, si le harcèlement sexuel est actuellement sous le feu des projecteurs, beaucoup ont voulu rappeler que le harcèlement moral est tout aussi difficile à vivre et serait, lui aussi, « un problème » à l'hôpital. Par contre le harcèlement des supérieurs médicaux, paramédicaux et petits chefs des services annexes existe bien. Et aucune loi pour les empêcher de sévir et aucune autorité pour les remettre en place, s'énerve Elizabeth. Je l'ai subi, j'ai fini par aller voir la médecine du travail, souligne Eliane.

Ces propos vont dans le même sens que le communiqué rendu public par le bureau de l'association Jean-Louis Mégnien qui réagissait aux déclarations de Martin Hirsch, se plaignant que ses alertes sur le sujet étaient restées sans réponse. L’AP-HP connaît un grand nombre d’affaires de harcèlement moral. Or, cette association publie fréquemment des cartes faisant état des signalements de maltraitance et de harcèlement au sein des hôpitaux publics.

Elle rappelle que Plusieurs situations de harcèlement moral ont valu à l’AP-HP d’être condamnée, et ce de façon définitive dans au moins deux cas récents, l’un à l’hôpital Ambroise Paré, l’autre à l’hôpital Henri Mondor. Pourtant, elle s'étonne que les auteurs des faits n'aient jamais été sanctionnés. Ainsi s' il faut que cela cesse, cela prendra du temps conclut Muryel. Mais même si le chemin sera long et difficile, l'important est de l'avoir emprunté car maintenant que la parole s'est libérée, il est difficile de faire marche arrière. Et c'est tant mieux !

Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com  @roxane0706


Source : infirmiers.com