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GRANDS DOSSIERS

Grippe pandémique A/H1N1 : la place des experts

Publié le 23/03/2010

Catherine Weil-Olivier est Professeur de pédiatrie à l’Université Paris VII. Elle a été membre du Comité technique des vaccinations (à la Direction générale de la santé) et sollicitée à ce titre par les autorités de santé pour donner un avis sur la stratégie vaccinale à opposer à l’épidémie de grippe A/H1N1. Elle revient ici sur le rôle des experts dans la décision publique et sur les accusations de dépendance à l’égard de l’industrie dont ils sont l’objet.

Que savaient les experts de la grippe A/H1N1v à l’été 2009, avant l’arrivée de l’épidémie en France ?

La connaissance historique de l’évolution des pandémies survenues pendant le 20ème siècle a été la base. La vague épidémique A/H1N1 2009 ayant touché l’hémisphère sud pendant l’hiver austral, de nombreuses données d’excellente qualité ont été publiées dans l’été ; elles étaient relativement homogènes d’un pays à l’autre. Dès septembre, nous avions ainsi une idée de l’allure de son pic épidémique, de la nature de ses manifestations cliniques, des taux d’hospitalisations qu’elle provoquait, de la nature et de l’impact des facteurs de risque sur sa gravité. Sans pour autant qu’une extrapolation simple soit possible à l’hémisphère Nord. Mais nous savions en particulier qu’environ 20% des cas hospitalisés pour grippe sévère (et des décès) risquaient de se produire chez des gens jeunes et sans aucun facteur de risque, même si le nombre de décès dans la population était relativement faible. Ce fait en lui seul était à mon sens un argument de poids pour conseiller la vaccination.

Ces données ont été confirmées depuis, notamment grâce aux rapports hebdomadaires solides de l’InVS (Institut national de veille sanitaire) et des GROG (Groupes régionaux d’observation de la grippe). Par rapport aux grippes saisonnières, la grippe A/H1N1v a eu un impact respiratoire plus sévère, elle a entraîné un taux à peu près équivalent d’hospitalisations, mais avec une proportion plus élevée d’admissions en réanimation, et son taux de mortalité a été globalement le même. Les facteurs de risque prédominants ont été : grossesse, obésité, asthme, maladies cardiaques. Les taux de mortalité les plus élevés ont concerné les nourrissons de moins d’un an et les personnes de plus de 65 ans, sans doute du fait de facteurs de comorbidité associés. Et 15% des décès sont survenus chez des gens jeunes, sans facteur de risque.

A la même époque, qu’est-ce que les experts ne savaient pas ?

On ignorait quelle serait la prévalence de cette grippe dans la population générale et en particulier, celle des formes asymptomatiques (personnes ayant été infectées et donc immunisées, sans faire la maladie). Elle est évaluée par le taux de séroprévalence, c’est-à-dire la proportion de personnes ayant des anticorps contre ce virus. Cette estimation est difficile tout en étant fondamentale pour les décisions ultérieures.

On ignorait aussi si le virus muterait. Dans le contexte actuel d’une surveillance intensive par les deux centres de référence, on sait qu’il ne l’a quasiment pas fait. De même, il ne s’est pas recombiné avec les virus des grippes saisonnières. Enfin, il a développé très peu de résistances contre les antiviraux (oseltamivir), contrairement à ces derniers, notamment la souche A/H1N1 saisonnière.

Mais nous ne savons tout ceci qu’aujourd’hui.

Et à propos des vaccins ?

Nous avons su assez rapidement que les premiers vaccins pandémiques dont nous disposions étaient très immunogènes chez l’adulte de 18 à 60 ans, notamment ceux comportant des adjuvants, et que de plus, ils l’étaient vraisemblablement avec une seule dose, ce qui a été confirmé. Leur innocuité étant équivalente à celle des vaccins contre la grippe saisonnière selon les premiers résultats des études cliniques, nous pouvions proposer une campagne de vaccination sans grande inquiétude.

Dans ces conditions, comment expliquez vous les résistances à la vaccination ?

Cette question a des composantes sociologiques, au-delà de mon domaine de compétence. Mais je peux faire deux constats. Le premièr est que le taux de vaccinations a grimpé avec le pic épidémique, c’est-à-dire quand la « menace » est devenue concrète. Le deuxième est que dans tous les pays européens, la communication vers la population a été compliquée par la réalité d’un exercice en temps réel : apporter au corps médical et à la population des informations actualisées et validées dès l’arrivée des résultats des études immunologiques et en fonction de l’âge, et ceci quasiment de semaine en semaine. Cela a conduit, dans un souci légitime, à modifier les messages et les recommandations, attitude difficile à comprendre pour le public. Ça a été une difficulté réelle, mais pratiquement inévitable, que les pays ont diversement surmontée.

Vous avez déclaré que cette grippe a eu des aspects positifs. Lesquels ?

Nous avons amélioré notre connaissance des vaccins antigrippaux. Celle-ci avait déjà fait des progrès avec la grippe A/H5N1, notamment en ce qui concerne la qualité de la réponse immune et l’utilité des adjuvants. La grippe A/H1N1v nous a permis de préciser un certain nombre de points. D’abord, nous connaissons mieux leur capacité de « priming », c’est-à-dire la façon dont ils induisent la réponse immune (comment ils construisent la mémoire contre le virus), question essentielle, et nous savons mieux comment l’évaluer.

Ensuite, même s’il s’agit d’une question qui n’est pas tout-à-fait résolue, nous avons été amené à ré-évaluer l’efficacité immunologique vaccinale. Trois critères biologiques sont habituellement utilisés (dits « critères du CHMP »). Ils ont été admis pour les populations adultes jusqu’à 65 ans et au delà. En quelque sorte « grâce à » la grippe H1N1v, ils ont été évalués de près chez les enfants. Surtout, il est apparu nécessaire de standardiser les méthodologies de ces techniques. Elles ne sont plus laissées à la seule initiative des industriels, mais devront se comparer à celles de laboratoires de référence européens (et se comparer entre elles), ce qui permettra d’en évaluer la valeur. Des techniques autres que l’hémagglutination sont apparues utiles, comme la microneutralisation évaluant les anticorps neutralisants, dont on sait qu’ils assurent une protection contre le virus. Tout ceci devrait servir pour tester les futurs vaccins contre la grippe. Sans minimiser les drames qu’elle a pu provoquer, la grippe A/H1N1v a donc permis des avancées technologiques notables.

Les experts ont été accusés d’avoir exagéré l’importance de l’épidémie.

C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’une épidémie a été « saisie » d’aussi près en temps réel et c’est sans doute une des premières fois que les gouvernements ont préparé de longue date un évènement de cette nature (plan pandémique conçu dès les années 1990 en France) et mis en place des mesures de santé publique dès la pandémie déclarée, visant à prévenir ou limiter une crise sanitaire. Ils se sont appuyés pour cela sur une expertise collective, médicale et scientifique en réponse aux questions posées par les autorités de santé. Mais les décisions leur reviennent, comme il est normal en démocratie. Par exemple, à la demande des autorités de santé, les experts ont déterminé les groupes à risque et les ont hiérarchisés, ce qui était indispensable puisque les lots de vaccins ne pouvaient être disponibles que progressivement. Ils ont établi des scénarii prenant en compte différents niveaux d’ampleur épidémique, à un moment où ils ne savaient pas tout de son évolution future. Cette démarche a été l’un des éléments permettant aux gouvernements de prendre l’ensemble des options jugées utiles à la population, dont les questions de logistique : nombre de doses de vaccins à acheter ou à préempter et organisation de la campagne de vaccination.

Les Européens ont retenu un scénario construit pour le virus A/H5N1, avec deux doses de vaccin. Les Américains ont d’emblée considéré que le virus A/H1N1v pouvait être traité comme un virus saisonnier. Ils se sont ensuite assez rapidement orientés vers l’administration d’une seule dose, alors qu’il a fallu quelques semaines aux Européens pour le faire. Abandonner le concept des deux doses nécessaires n’a pas été facile.

Les experts ont été accusés d’influencer celles-ci dans un sens favorable à l’industrie pharmaceutique, du fait de leurs liens avec elle.

Cela va complètement à contre sens de la démarche médicale et scientifique : d’une part les travaux et les affirmations des uns et des autres sont passés au crible de la critique de leurs collègues, ne seraient-ce que parce qu’ils sont concurrents ; si un argument erroné était énoncé en faveur d’un laboratoire quelconque, il est certain que non seulement l’expert perdrait tout crédit, mais que plus personne ne voudrait travailler avec lui, y compris les autres industriels. D’autre part, l’expertise est collective : les experts discutent entre eux selon des procédures précises garantissant l’impartialité de leur position commune ; des compte-rendus de chaque réunion, même téléphonique, sont transmis à l’autorité de tutelle.

Quant à la question récurrente des conflits d’intérêt, ils sont en règle étroitement liés à l’expérience et à la compétence des personnes : celles ci étant alors sollicitées à la fois dans les sociétés savantes ou autres structures publiques et par de nombreux laboratoires pharmaceutiques, sans exclusivité, pour des conférences. A ce jour, les laboratoires offrent pratiquement la seule possibilité de parler et publier dans des congrès internationaux (en assurant les frais de transport et d’hébergement dans le respect de la loi DMOS), or il est indispensable de rencontrer les autres experts au niveau international. A l’échelle nationale, il est nécessaire d’expliquer à la population les tenants et aboutissants des vaccins et d’un programme de vaccination après sa recommandation officielle. Ces actions doivent être développées pour favoriser la confiance du public. Une solution serait un partenariat entre l’État et les industriels dans ce domaine nécessaire d’information et d’éducation.



Article publié dans la Revue du praticien médecine générale numéro 836 du 23 février 2010 sous une forme légèrement modifiée et sur le site Carnets de santé.
Mars 2010.

Par Serge Cannasse


Source : infirmiers.com