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Former les futurs infirmiers : une expertise en danger ?

Publié le 18/03/2019
Former les futurs infirmiers : une expertise en danger ?

Former les futurs infirmiers : une expertise en danger ?

En France, la formation initiale qui conduit au métier infirmier a développé une qualité d’accompagnement à la professionnalisation. L’universitarisation de cette formation offre une avancée sociale pour les étudiants. Cependant, une question demeure : dans ce contexte comment l’expertise des formateurs va-t-elle garantir les compétences des futurs professionnels infirmiers ? Neuf formateurs infirmiers de l’IFSI de l’Ecole Rockefeller ont décidé de mener une réflexion sur ce sujet.

Les algorithmes préserveront-ils la diversité de nos promotions (parcours scolaires, reconversion, évolution professionnelle) qui fait la richesse de la formation et de la profession ?

Derrière les effets d’annonce politique des questions demeurent : par l’entrée de la formation infirmière dans l’Université , les étudiants en soins infirmiers pourront bénéficier pleinement des droits universitaires . Ils attendent un accès simplifié et unifié aux études paramédicales, une diminution des coûts de formation ainsi qu’un soutien financier et social. Ils semblent être favorables au développement de la filière Licence-Master-Doctorat (LMD) sciences infirmières, à la promotion de la pratique avancée et à la recherche infirmière au sein d’une Université en Santé repensée et refondée.

Le CEFIEC et l’Ordre Infirmier sont favorables à la réingénierie des référentiels de formation et du développement de la filière infirmière LMD dont les grandes lignes sont présentées dans le rapport Le Bouler de 2018 Universitarisation des professions paramédicales et de maïeutique. Dans ce processus d’universitarisation , le rapport Le Bouler formule des préconisations dont nous interrogeons les conséquences pédagogiques et professionnalisantes.

Les compétences des formateurs infirmiers : quelles reconnaissances ?

Alors que ce rapport met en avant la plus-value de l’expertise pédagogique des formateurs d’IFSI, leurs missions dans ce dispositif ne sont cependant pas clairement définies. Le futur pédagogue universitaire est tour à tour enseignant-chercheur, mono ou bi-appartenant, opérateur de formation, membre d’un futur corps professoral. L’incapacité à nommer la fonction de cadre formateur témoigne-t-elle de la difficulté à cerner leur place, leurs compétences ou leur devenir dans ce nouvel environnement ? L’abandon de l’entretien de sélection ne permettra plus aux formateurs, par leur double identité professionnelle, infirmière et pédagogue, d’évaluer le potentiel cognitif et psychologique des candidats ainsi que leurs motivations. L’objectif visé était d’accueillir des étudiants capables de se confronter à la complexité humaine dans le métier d’infirmier. Les algorithmes préserveront-ils la diversité de nos promotions (parcours scolaires, reconversion, évolution professionnelle) qui fait la richesse de la formation et de la profession ?

Les conditions d’accueil et d’encadrement se dégradent ; les professionnels ne disposent plus ni de temps suffisant ni de formation pour encadrer un nombre croissant d’étudiants.

Un constat : une formation pas tout à fait comme les autres

Durant toute la formation, nous réalisons un accompagnement individualisé ayant pour visée, le développement des compétences et le soutien relationnel de chaque étudiant. D’une part, entrer en formation reste toujours une phase de vie qui déstabilise, voire fragilise, parce qu’elle invite le sujet formé à se transformer. D’autre part, ces jeunes adultes sont confrontés à la fois aux contraintes académiques et professionnelles, apprenant un métier pas tout à fait comme les autres, selon le rapport MARRA (2018).

Le positionnement de stagiaire reste un exercice périlleux du fait de la multiplicité des milieux professionnels, des rythmes et des organisations de travail, des contraintes économiques et humaines. Les conditions d’accueil et d’encadrement se dégradent ; les professionnels ne disposent plus ni de temps suffisant ni de formation pour encadrer un nombre croissant d’étudiants. Un certain désenchantement professionnel peut apparaître chez l’étudiant qui portait haut un idéal du métier infirmier.

95% de réussite au Diplôme d’Etat : Le formateur, un expert de la professionnalisation

Malgré ce contexte, la qualité de notre accompagnement à la professionnalisation permet de maintenir un taux de réussite moyen au diplôme d’état à 95% 1. Cette performance est liée à l’expertise pédagogique des formateurs ainsi qu’à un taux d’encadrement de 1 formateur pour 20 étudiants. En comparaison, à l’université, 70% des étudiants sont en décrochage ou échec en 1ère année 2.

Un accompagnement pédagogique à valoriser :

La qualité de notre accompagnement se fonde sur :

  • une posture d’accompagnement adaptée aux besoins, ressources et aptitudes de l’étudiant en lien avec son parcours personnel et professionnel car accompagner n’est ni diriger ni conseiller ni protéger, mais il passe de l’un à l’autre, dans un cheminement toujours singulier 3 ;
  • une posture pédagogique éthique, aidante, bâtie sur la notion de respect de la personne, d’écoute bienveillante d’un sujet en devenir, de juste distance relationnelle, d’ouverture au doute et d’une appréciation pertinente de l’engagement et du degré d’autonomie de l’étudiant ;
  • une expertise en conduite d’entretien de différents types.

Alors que l’intégration universitaire de la formation infirmière semble imminente, nous restons inquiets de l’absence de visibilité sur notre future place dans ce nouveau dispositif de formation

Professionnaliser : cinq activités majeures du formateur

Ainsi, professionnaliser, c’est d’abord accompagner la transformation et la réussite du projet de l’autre. Pour atteindre cet objectif, au sein de l’IFSI Rockefeller, cinq activités sont mises en œuvre :

  • un entretien de suivi pédagogique individuel à l’IFSI, au minimum de deux fois dans l’année et plus, si besoin identifié par l’étudiant et/ou le formateur référent ;
  • un bilan individuel des apprentissages sur le lieu de stage réalisé par le formateur référent en collaboration avec le tuteur, au minimum une fois par an ;
  • des temps collectifs (une vingtaine d’étudiants) d’élaboration des pratiques professionnelles en amont et en aval de chaque stage et animés par le formateur référent ;
  • des groupes (une dizaine d’étudiants) d’entrainement à l’analyse de situations professionnelles en retour de stages animés par le formateur référent ;
  • des groupes d’analyse (de dix à vingt étudiants) de vécu de stage co-animés par un psychologue et le formateur référent.

Cette dynamique nous amène à poser différents diagnostics pédagogiques pour orienter le parcours individuel de formation des étudiants dans une finalité d’autonomisation et de responsabilisation.

Une ingénierie de qualité intégrant la réalité du monde professionnel

Par ailleurs, les formateurs d’IFSI élaborent une ingénierie et des stratégies pédagogiques axées sur l’acquisition des spécificités du métier d’infirmier : l’étudiant s’exerce à la mobilisation des compétences dans une présence continue et intime auprès des patients pour une évaluation clinique constante, avec une gestion des situations pouvant faire appel à la collaboration pluridisciplinaire (assistants de service sociaux, médecins, psychologues, ergothérapeutes, kinésithérapeutes…)

L’étudiant ne doit pas seulement acquérir des contenus théoriques mais intégrer dans un même mouvement l’action au travail, l’analyse de la pratique professionnelle et l’expérimentation de nouvelles façons de travailler 4.

A cette fin, l’ingénierie et les stratégies pédagogiques se fondent sur deux spécificités du métier de formateur :

  • un ancrage théorique mobilisant plusieurs domaines scientifiques appliqués aux sciences et techniques infirmières : sciences humaines et sciences biologiques et médicales ;
  • un second ancrage professionnel avec des critères d’exigence liés à la sécurité et au bien-être des personnes soignées.
  • cette pédagogie individualisée permet aux formateurs de mesurer la progression des acquis théoriques et pratiques et d’orienter les parcours de stage tout au long des trois années de formation.

Nous revendiquons d’être pleinement acteurs dans les transformations à venir, tant sur le plan pédagogique que politique.

Changer, pour quel avenir ?

Alors que l’intégration universitaire de la formation infirmière semble imminente, nous restons inquiets de l’absence de visibilité sur notre future place dans ce nouveau dispositif de formation.

Nous avons su nous adapter aux exigences de l’universitarisation et aux innovations pédagogiques : environnement numérique de travail (ENT), e-learning, pédagogie inversée, projet de santé publique/service sanitaire, simulation et jeux de rôles. Nous avons su former de futurs praticiens autonomes, responsables et réflexifs 5 capables de répondre aux évolutions des besoins en santé de la population. Ainsi, nous avons démontré notre expertise pour garantir le dispositif de professionnalisation des futurs infirmiers. Nous revendiquons d’être pleinement acteurs dans les transformations à venir, tant sur le plan pédagogique que politique.

S.Barros, Y.Belleville, I.David, P.Hodde, C.Madec, J.E. Menotti, V.Tallec, F.Tardy, M.C.ZappFormateurs infirmiers à l’IFSI de l’Ecole Rockefeller

Notes

  1. Données Région Auvergne- Rhône-Alpes 2018.
  2. Frédérique Vidal, Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation- Conférence à Lyon-29 mars 2018-Vidéo sur la réforme de l’accès au 1er cycle.
  3. Maela Paul (2004) L’accompagnement : une posture professionnelle spécifique, L’Harmattan
  4. Richard Wittorski (2014, 27 octobre). Professionnaliser par la formation. Phronesis.
  5. Référentiel de la formation des infirmiers : arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier-modifié-annexe 3

Source : infirmiers.com