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GRANDS DOSSIERS

Fin de vie : "valoriser les savoirs des aides-soignants, en comprendre la dynamique"

Publié le 15/03/2016
Nicole Croyère

Nicole Croyère

Delphine Doré-Pautonnier, responsable de l'information des publics et de la communication au Centre National de Ressources Soin Palliatif a rencontré pour nous Nicole Croyère, infirmière, chargée de formation et de recherche en soins palliatifs, membre de l'équipe de recherche Ethique-Education-Santé de l'université François-Rabelais de Tours. Elle nous explique l'apport, les bénéfices, mais aussi les limites des savoirs d'expérience des aides-soignantes dans l'accompagnement de fin de vie en Ehpad, thème de sa thèse en Sciences de l'Education.

Bonjour Nicole Croyère. Nous vous remercions de cet entretien. Pourriez-vous vous présenter ?

Entretien avec Nicole Croyère, infirmière, chargée de formation et de recherche en soins palliatifs, membre de l'équipe de recherche Ethique-Education-Santé de l'université François-Rabelais de Tours.

Nicole Croyère - Je suis cadre de santé avec une expérience d’infirmière en soins palliatifs. J’ai exercé en chirurgie et en cancérologie, notamment. Ma préoccupation pour l’accompagnement des personnes âgées est venue lorsque j’étais infirmière en équipe mobile de soins palliatifs. J’ai pu remarquer que nous intervenions peu dans les services de gériatrie alors que j’observais l’intérêt de ces équipes dans d’autres services comme la neurologie ou la pédiatrie. Actuellement, je suis chargée de cours et de formation dans le champ des soins palliatifs, en gérontologie et en sciences de l’éducation. J’anime des formations relatives à l’accompagnement de fin de vie, notamment des personnes âgées. Dans ces formations, je m’adresse à des équipes pluridisciplinaires, composées de médecins, infirmiers, aides-soignants, psychologues, aides à domicile, bénévoles… En septembre 2013, j’ai soutenu une thèse en Sciences de l’Education à l’Université de Sherbrooke au Québec, intitulée « Les savoirs d'expérience des aides-soignantes dans l'accompagnement de fin de vie en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. »

Pourquoi avoir choisi d'analyser les questions qui se posent plus particulièrement aux aides-soignantes ?

Nicole Croyère - Les aides-soignantes sont souvent sollicitées par les équipes de soins palliatifs pour des situations qui concernent les personnes âgées. Leur point de vue est important car elles sont attentives au confort et au bien-être de la personne âgée, comme son état de fatigue, son rapport au corps, son rapport à la vie… Leurs savoirs ne viennent pas principalement des livres. Ils viennent de leur expérience. C’est pourquoi les aides-soignantes peuvent rencontrer des difficultés à s’exprimer, notamment auprès des médecins mais aussi auprès des autres membres de l’équipe. Prendre la parole n’est pas chose facile pour elles. Et quand elles le font, c'est avec un langage souvent imagé. Par exemple pour parler d’un résident, elles vont dire « Il est au bout du rouleau » ou encore « La petite bougie va s’éteindre ». Ce qui ne facilite pas les échanges avec les membres de l’équipe qui utilisent un langage plus technique et plus médicalisé.

Dans les situations de fin de vie, le maintien de l’autonomie devient difficile. C’est donc un paradoxe pour les aides-soignantes, d’autant plus lourd, puisqu’il se répète tous les jours et à chaque fois qu’elles réalisent leurs tâches.

Ce qui caractérise le travail des aides-soignantes, c’est l’éthique du sensible dont parle Carol Gilligan dans son ouvrage « Une voix différente : pour une éthique du care » (1). Leurs préoccupations, tournées vers le confort et le bien-être de la personne, sont d’un autre ordre que celles des autres membres de l’équipe. Elles sont souvent seules à prendre des décisions concernant la vie quotidienne de la personne âgée, comme mettre au fauteuil, habiller… Ces décisions ne sont pas toujours discutées en équipe sauf dans le cadre du projet de vie en EHPAD. J’ai donc choisi de m’intéresser à ce qu’elles savent, ce qu’elles transmettent et comment elles le transmettent. Il m’est donc apparu important de valoriser leurs savoirs, tout en essayant d’en comprendre la dynamique.

Concrètement, pouvez-vous décrire le rôle des aides-soignants auprès des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer en phase palliative ?

Nicole Croyère - De manière générale, la fonction des aides-soignantes consiste à effectuer des tâches d’aide à l’activité quotidienne, telles que faire la toilette, habiller, faire manger… Leur rôle est de préserver le bien-être de la personne. Dans les situations de fin de vie, une grande attention est portée à maintenir la qualité de vie. Par exemple, la lingère va être attentive au type de tissu composant les draps. Elle choisira celui qui apportera le plus grand confort à la personne âgée. Les aides-soignantes contribuent à apporter de la qualité à la vie qui reste. Repérer le passage en phase palliative n’est pas facile et pose des problèmes pour les aides-soignantes. Dès que l’équipe a pu engager une réflexion en ce sens et identifié que la personne entrait dans cette phase, elles sont ensuite capables de faire preuve de beaucoup de créativité. Elles ont le souci de prévenir les familles sans pour autant aborder les problèmes médicaux. Elles les alertent en trouvant des mots adaptés. Par exemple, elles vont dire à la famille : « Elle se sent moins bien aujourd’hui ».

De manière générale, les aides-soignantes sont également formées pour maintenir le plus longtemps possible l’autonomie de la personne. Dans les situations de fin de vie, le maintien de l’autonomie devient difficile. C’est donc un paradoxe pour les aides-soignantes, d’autant plus lourd, puisqu’il se répète tous les jours et à chaque fois qu’elles réalisent leurs tâches. Il existe donc des contradictions entre ce que les aides-soignantes font et ce qu’elles pensent. Matériellement, elles n’ont pas le temps de se poser des questions éthiques, puisqu’elles sont prises dans des questions d’organisation. Par exemple, elles posent tous les jours la question d’emmener tel ou tel résident à la salle à manger. C’est en effet une question obligatoire dans un EHPAD. Et pourtant, c’est insupportable pour elles de forcer quelqu’un qui va mal d’aller en salle à manger. Pour elles, c’est de l’acharnement. Elles considèrent que ce n’est pas respectueux de la qualité de vie, de la fin de vie. Souvent, ce paradoxe aboutit à des comportements opposés : soit elles arrêtent de se poser des questions et effectuent leurs tâches, soit elles sont malheureuses en quelque sorte.

Quelles relations se nouent avec les proches de la personne malade ?

Nicole Croyère - Le rôle auprès des proches, les aides-soignantes se l’attribuent. Elles ont effectivement des relations privilégiées avec les familles ou au contraire des inimitiés. Parfois, des conflits naissent à propos de ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour la personne malade, ou le faire comme ceci ou comme cela. Par exemple, l’aide-soignant choisit de ne pas mettre les chaussons à un résident car ce dernier ne le souhaite pas. La famille prend cela pour de la négligence et manifeste son mécontentement auprès de l’aide-soignant. Parfois, le résident préfère que ce soit l’aide-soignant lui-même qui fasse à la place de son proche. Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer arrivent en établissement après un long parcours. Le proche a été souvent le soignant et s’est occupé de lui. Le proche se sent alors dépossédé de son statut. Il y a aussi beaucoup de culpabilité. Marie Francoeur décrit bien tout cela dans son ouvrage « Fin de vie en établissement gériatrique » (2).

Au moment de la phase palliative, chacun éprouve des difficultés à être au plus près de ce que la personne malade désire d’autant plus dans le cas de la maladie d’Alzheimer car la personne ne peut plus communiquer. Pour les aides-soignants, c’est très dur car il faut s’impliquer auprès de la personne malade sans trop s’impliquer.

Auriez-vous des messages et des repères à adresser aux proches des personnes malades atteintes de la maladie d'Alzheimer et en fin de vie ?

Nicole Croyère - Voici les deux orientations que je donne en formation : faire alliance entre les proches, les aides-soignants, les infirmiers et l’équipe et se centrer sur le désir de la personne. Pour faire alliance, il y a un a priori : faire confiance à l’autre et établir le dialogue. Il est important de dire à l’autre ce que j’ai à lui dire et écouter ce qu’il a à me dire. En soins palliatifs, les équipes prennent en compte au mieux les besoins de la personne malade et de ses proches pour les accompagner. Cela veut dire qu’il n’y a pas de situations parfaites. C’est ce que chacun doit retenir pour avancer ensemble auprès de la personne malade.

Notes

  1. Gilligan Carol ,Une voix différente : pour une éthique du care, Editions Flammarion, 2008.
  2. Francoeur Marie, Fin de vie en établissement gériatrique, Editions PUG, mars 2010.

Propos recueillis par Delphine DORÉ-PAUTONNIER     Responsable de l'information des publics et de la communication   Centre National de Ressources Soin Palliatif (CNDR) http://www.soin-palliatif.org/


Source : infirmiers.com