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Fin de vie : une question de soin mais aussi de société

Publié le 12/11/2014
perfusion

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Loin d’être seulement une question de soin, la fin de vie est aussi, bien plus largement, une question de société qui nous concerne tous. Alors que le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) vient de rendre un rapport sévère à l'égard du monde médical, décryptage et mise en perspective avec Tanguy Châtel, expert sur le sujet, à l’occasion d’une conférence publique organisée par l’Association pour le développement des soins palliatifs (ASP) de Toulouse dans le cadre de la journée mondiale des soins palliatifs.

Tanguy Châtel, sociologue : point de vue sur la fin de vie

Jusqu’au XIXe siècle, la fin de vie était l’affaire de tous et la mort omniprésente. Il s’agissait d’une chose commune, apprivoisée, qui faisait partie du commun des mortels. Mais ensuite petit à petit et jusqu’au milieu du XXe siècle - celui de la prophylaxie et de l’institutionnalisation de la santé -, la mort a disparu de notre environnement et s’est médicalisée. Elle est alors devenue l’affaire des spécialistes (médecins) et elle est occultée, niée. Ainsi donc, toute l’élaboration autour du sens de la vie se délite entre les années 50 à 80, a expliqué Tanguy Châtel, bénévole en soins palliatifs depuis une quinzaine d’années en Ile-de-France, sociologue, formateur-conférencier et chargé de mission à l’Observatoire national de la fin de vie (ONFV) de 2010 à 2013 en préambule de cette conférence qui s’est tenue le 11 octobre dernier à Toulouse. Mais la négation des mourants, tout comme l’acharnement thérapeutique et la déshumanisation des hôpitaux vont initier au cours des années 80 la révolte des soins palliatifs. Petit à petit ce mouvement, composé de soignants et de citoyens, gagne son droit de cité et réhabilite ainsi l’idée selon laquelle les soins palliatifs sont bel et bien l’affaire de tous. Et ce dernier d'ajouter paraphrasant Clemenceau : La fin de vie est une chose trop sérieuse pour la laisser aux seuls soignants.

Une question de soin…

Toutefois, ce mouvement de contestation n’avait pas vocation à rejeter la médicalisation ou l’hôpital. D’ailleurs les soignants qui la portaient ne voulaient rien d’autre sinon améliorer le système pour apporter aux soins prodigués un supplément d’âme et de souci de l’autre a poursuivi Tanguy Châtel.

Un avis partagé par Alain Cordier, vice-président du CCNE qui, le 21 octobre dernier, lors de la récente présentation à la presse du dernier rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie1, a estimé qu’aujourd'hui il fallait entendre, dans les critiques extrêmement dures qui ont pu s’exprimer à l’égard du monde médical et soignant, en réalité, une attente extrêmement grande à l’égard de la médecine. Pour autant, ce rapport dresse un constat accablant à l'égard du monde médical dans son ensemble même s’il ne faut pas oublier que des équipes de médecins et de soignants [sont] engagés dans un accompagnement de très grande qualité, y compris à domicile. Le CCNE souligne ainsi le scandale que constitue, depuis 15 ans, le non-accès aux droits reconnus par la loi, la situation d’abandon d’une immense majorité de personnes en fin de vie, et la fin de vie insupportable d’une très grande majorité de nos concitoyens, le scandale que constituent les situations fréquentes d’isolement social et de dénuement qui précèdent trop souvent la fin de vie. Il relève aussi une organisation inappropriée du système de santé, avec notamment un manque de formation des médecins et des soignants aux soins palliatifs insistant sur celle des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et les aides à domicile alors même que ces professionnels les plus exposés sont finalement les moins formés et les moins aidés.

Temps particulièrement dynamique, temps de vivant même s’il n’en a pas l’apparence, la fin de vie n’est pas l’antichambre de la mort.

… et d’accompagnement dans sa globalité

De son côté, Tanguy Châtel n’a pas manqué aussi de rappeler que le soin ce n’est pas que le traitement ; c’est aussi une présence, une qualité de présence. Le soin autour des personnes en fin de vie nous convoque pour voir ce qui est autour du soin. Le CCNE ne dit pas autre chose lorsqu’il souligne la nécessité d’ abolir les frontières entre soins curatifs et soins palliatifs, et les intégrer dans une véritable culture du "soin et prendre soin conçus comme un seul soin", non seulement en fin de vie, mais en amont de la fin de vie, de mettre en place un accompagnement au domicile ainsi que de faire connaître et appliquer les dispositions légales actuelles garantissant les droits des personnes en fin de vie d’accéder à des soins palliatifs, à un véritable accompagnement humain et à un soulagement de la douleur et de la souffrance.

… mais aussi de société que chacun doit s'approprier

Reste que la question de la fin de vie ne peut pas être réduite qu’au soin stricto sensu. Sans conteste complexe, elle soulève tout à la fois des questionnements psychique, juridique, éthique, sociologique, ou encore, économique. Les débats et les prises de position concernant les récentes et très médiatiques affaires Lambert et Bonnemaison en témoignent pleinement. Parallèlement, le CCNE observe dans son rapport la persistance de profondes divergences sur les questions de l’assistance au suicide et de l’euthanasie, Tout en invitant chaque concitoyen à ne pas rester ignorant face à cette question complexe de la fin de vie, Tanguy Châtel a conclu son propos en rappelant que personne ne pouvait prétendre avoir des réponses simples à des questions complexes […] et que la fin de vie était une question de civilisation et bel et bien l’affaire de tous.

* Le dernier rapport du CCNE inclut les résultats de la conférence des citoyens et des débats qui sont remontés des espaces éthiques régionaux et un certain nombre de documents.

Valérie HEDEF  Journaliste valerie.hedef@orange.fr

Repères

Malgré un développement significatif des soins palliatifs au cours de ces dernières années en France, « seules 20 % des personnes qui devraient bénéficier des soins palliatifs y ont accès avec en outre de lourdes inégalités territoriales qui existent en ce qui concernent les structures palliatives comme le nombre de lits dédiés en milieu hospitalier. »1

« L’Igas notait en 2009 [que] seules 2,5 % de personnes qui meurent à l’hôpital ont été identifiées dans un groupe homogène de séjour (GHS) correspondant à une prise en charge dans une unité de soins palliatifs. »2

« C’est probablement parce que la possibilité de rédiger des directives anticipées est évoquée trop tard et qu’elles sont dépourvues de valeur contraignante qu’elles ne sont le plus souvent pas formulées. Les directives anticipées sont pourtant un acte de responsabilité et elles méritent plus de considération. »3

Selon une étude de l’Ined publiée en 2012, seules 2,5 % des personnes décédées avaient rédigé des directives anticipées.

« Aujourd’hui en France, on meurt le plus souvent à l’hôpital (58 %), en maison de retraite (11 %), seul, parfois abandonné, en tous cas éloigné de son environnement quotidien et familial. »4

En Ehpad, un quart des résidents en fin de vie sont dans un réel inconfort physique au cours de leur dernière semaine de vie, et 7% ont des douleurs très intenses dans les dernières 24 heures avant leur décès.

Mais seuls 8 % des Ehpad font appel à l’hospitalisation à domicile (HAD) dans les situations de fin de vie alors que celle-ci permet un renforcement important en termes de soins infirmiers et qu’elle offre un accès facilité au matériel médical et paramédical5.

La moitié des patients hospitalisés pour soins palliatifs le sont tardivement, juste avant leur décès. Or, les soins palliatifs ne visent pas à accompagner que la phase terminale de la maladie.

Un tiers des patients décédés à l'hôpital a effectué un séjour comportant des soins palliatifs.

Chaque année, 2/3 des patients qui décèdent à l’hôpital sont hospitalisés pour une pathologie dont la gravité et l’évolution prévisible nécessitent des soins palliatifs. Pourtant, seuls 50 % de ces patients effectuent un séjour comportant des soins palliatifs. Cela représente 119 000 personnes sur les 238 000 qui en auraient besoin.

La proportion de séjours comportant des soins palliatifs est très variable selon les situations. 67 % des séjours des patients souffrant d’un cancer sont identifiés "soins palliatifs", contre 12 % de ceux souffrant d’une maladie cardiovasculaire ou d’une affection grave de l’appareil respiratoire.

Notes

  1. Conférence de citoyens sur la fin de vie.
  2. Rapport de la commission de réflexion sur la fin de vie en France, Penser solidairement la fin de vie, décembre 2012. Le CCNE souligne ici l’inadaptation majeure de la tarification à l’activité (T2A) pour le financement des soins palliatifs.
  3. CCNE, Avis n°121
  4. Conférence de citoyens sur la fin de vie.
  5. Rapport 2013 de l’Observatoire national de la fin de vie.

Source : infirmiers.com