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Fin de vie : ils affrontent la mort en écrivant leur biographie

Publié le 15/07/2015
fleur livre crédit photo

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Valeria Milewski

Valeria Milewski

« Le livre de la vie est le livre suprême qu'on ne peut ni fermer, ni rouvrir à son choix. Le passage attachant ne s'y lit pas deux fois, mais le feuillet fatal se tourne de lui-même » (Alphonse De Lamartine). Pour les patients du CH de Chartres, ce livre prend vie grâce au talent d'une femme, une écrivaine, une biographe. Au service de ceux qui souhaitent laisser une trace de leur passage, page après page,  elle tisse avec eux leur histoire avant que le livre ne se referme...

Huit années se sont écoulées pour Valéria Milewski depuis le début de son activité emprunte d'originalité. Dans le service oncologique de l'hôpital Louis Pasteur de Chartres, elle a décidé de mettre son talent d'écriture au service des patients en fin de vie. Séance après séance, elle les accompagne et aide à affronter l'inévitable de façon profonde, noble, altruiste… J'ai eu cette intuition : se raconter, se déposer, se ressaisir par l'écriture pouvait alléger les derniers moments, et permettre aux personnes de ne pas perdre le fil de leur humanité, relate celle qui a fait de la biographie hospitalière son métier. Une idée qui lui est venue en 2004. Trois ans plus tard, elle intègre ce service de cancérologie afin d'écrire le récit des patients gravement malades. Ce sera en tout une centaine de personnes qui partagera avec Valéria l'histoire de leur vie…

Huguette, l'infirmière dévouée...

Huguette, 76 ans, a toujours regretté de connaître si peu de l'histoire de ses parents. Ils sont partis sans que je sache grand-chose d'eux. Elle souhaite à son tour partir mais en laissant derrière elle, à ses proches, une partie d'elle-même... Des histoires. Son histoire. Celle d'une d'infirmière pleine d'humanité et d'empathie, qui aujourd'hui a besoin à son tour d'être accompagnée... J'ai eu une belle vie. Ce qui m'effraie le plus, c'est la déchéance, de devenir complètement dépendante.  Celle qui a soutenu tant d'âmes fatiguées durant des années aura à ses côtés Valéria pour l'ultime étape de sa vie. A chaque séance, Huguette raconte ses mémoires à son auditrice attentive. Il n'est alors plus question ni de soins techniques, ni de protocoles. Seule reste la transmission d'un vécu riche en relations authentiques et humaines. J'ai l'impression d'avoir bien conduit ma vie, j'aimerais bien conduire ma mort. Ici, c'est pas la science pour la science, il y a un lien de confiance, confie la soignante condamnée.

J'ai l'impression d'avoir bien conduit ma vie, j'aimerais bien conduire ma mort.

Valéria Milewski, biographe hospitalière au CH de Chartres

Raconter son histoire pour mieux comprendre sa vie

Des « Huguette », il y en a eu beaucoup. Valéria se souvient notamment d'un père de famille qui s'empressait de se rendre à ses séances et qui a laissé à sa fille de 6 ans le livre de sa vie. « Je vous aime » furent les derniers mots qu'il pu graver à jamais dans le cœur de ses proches avant de partir. Il y eut aussi cette femme rassurée de pouvoir avancer avec audace : Valéria, je ne mourrai jamais! Mais non, il y a mon livre!. Enfin, cet homme condamné qui s'était présenté aux urgences avec son livre alors que sa vie lui échappait… Il arrive parfois que les personnes n'aient pas le temps de relire leur récit avant leur mort. Valéria se retrouve alors avec l'immense responsabilité de transmettre une parole posthume. J'avais mis un point final à son histoire. J'ai eu envie de tout arrêter. Finalement, on a décidé de rajouter des pages blanches à la fin du livre, se souvient-elle. La vie continue, ce n'est pas à nous de dire quand elle s'arrête. D'ailleurs, mieux vaut ne pas parler de « fin de vie » devant Valéria Milewski. On est tous en fin de vie, je peux sortir dehors et me faire écraser!, réagit-elle avec philosophie. Mais la seule différence c'est que certains voient s'approcher cette échéance et décident d'utiliser l'infime temps qu'il leur reste à bon escient. « Qu'ai-je fait de ma vie?» se demande souvent la personne au seuil de la mort. La maladie grave disloque, déchire, explose la personne dans sa chair et dans son esprit. Par son récit, la personne malade peut donner de l'unité, du sens et de la cohérence à sa vie, explique la biographe.

La vie continue, ce n'est pas à nous de dire quand elle s'arrête.

Un moyen de soigner l'envie de mourir des patients et la tristesse des proches

Bien qu'autrefois auteure de pièces de théâtre, écrire la biographie de personnes condamnées n'est pas chose facile. Ne pas employer ses propres mots, rester en retrait, utiliser une écriture qui «rende la personne», être à l'écoute, retranscrire fidèlement, reformuler sans trahir, conduire sans influencer… Un art que Valéria doit manier avec révérence, aussi bien pour les patients qui lui accordent leur confiance que pour leurs proches. En effet, la biographie aide ceux qui partent et ceux qui restent. Il y a deux ans et demi, Marie-France a quitté son fils Cédric, lui laissant un livre avec à la fin quelques pages blanches. Le jeune homme a alors compris. Et la suite ? La suite, c'est nous, conclut-il. Un dernier message qu'il retient de sa défunte mère.  Grâce à cette démarche, il peut désormais se réjouir car  le patient n'est plus un numéro, une maladie, mais redevient une personne.

Aujourd'hui,  Valéria forme d'autres biographes avec son association « Passeur de mots ». Elle donne également des conférences internationales afin de faire connaître la méthode Milewski. Celle-ci est de plus en plus reconnue, en tout premier lieu par l'équipe soignante de son hôpital qui la considère comme un soin thérapeutique. Le propre du cancer, c'est que non seulement il tue, mais il donne envie de mourir. Nous sommes là aussi pour guérir cette envie, explique le docteur Frédéric Duriez. On se pose la question de savoir si oui ou non il faut répondre au désir de mourir. Sans jamais se demander pourquoi les gens le ressentent. Qu'est-ce qui fait que la société laisse des gens avoir cette envie-là ? La morphine ne soigne pas le sentiment d'abandon. La morphine non, mais la méthode Milewski semble y parvenir. En effet, beaucoup de patients, qui souhaitaient en finir, ont renoncé à l'envie de mourir après avoir commencé à rédiger leur  biographie. Sentiment d'une tâche inachevée, désir de mieux comprendre le mystère de la vie avant de s'en aller, un dernier projet auquel s'accrocher… ? Toujours est-il que ces patients ont encore beaucoup à écrire avant de refermer leur livre à jamais...

Qu'est-ce qui fait que la société laisse des gens avoir cette envie-là ? La morphine ne soigne pas le sentiment d'abandon.

•  Texte réalisé à partir de l'article d'Eugénie Bastié « Gravement malades, ils écrivent leur vie pour affronter la mort » publié par le Figaro.fr le 10 juillet 2015.

Gwen HIGHT  Journaliste Infirmiers.comgwenaelle.hight@infirmiers.com@gwenhight


Source : infirmiers.com