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IDEL

Face à un patient en rupture de traitement...

Publié le 19/08/2014
contrariété colère

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Dans un précédent article, Peggy, infirmière libérale, racontait ses débuts au sein d'une famille peu ordinaire . Dans la suite de ses péripéties, elle se trouve face à une patiente en rupture de traitement...

Quand Mlle Peggy fait face à un patient en rupture de traitement...

Plusieurs semaines se sont écoulées depuis le début de cette prise en charge insolite. Je me suis progressivement habituée à l’ambiance qui règne dans cette maison, mais je reste cependant prudente.

Les enfants de Mme Amsterdam m’ont recontactée quelques jours après mon premier passage et ont évoqué à bas mots la schizophrénie d’Ernestine. Ils minimisent les troubles malgré les hospitalisations d’office1 à répétition consécutives à des agressions verbales ou physiques de personnes sur la voie publique.

Un fait grave est survenu quand elle était âgée de vingt ans. Ernestine a poignardé un voyageur dans le métro. Lors du procès, les expertises psychiatriques ont montré une irresponsabilité pénale, elle a donc été hospitalisée plusieurs années dans une unité pour malades difficiles, et elle vit maintenant depuis une quinzaine d’années chez sa mère, avec une surveillance médicale renforcée. Elle doit se présenter régulièrement aux rendez-vous médicaux qui lui sont fixés au centre médico-psychologique dont elle dépend. Aujourd’hui, Ernestine est stabilisée mais réputée dangereuse. Le couple qu’elle forme avec sa mère est pathologique car l’une ne peut vivre sans l’autre mais chacune participe à la destruction de l’autre.

Mes visites ont lieu invariablement à la même heure. Ernestine, une cigarette à la main, s’assoit dans son fauteuil face à la porte d’entrée du salon avec sa bouteille de Coca rouge coincée sous son bras droit, son cendrier posé sur un guéridon placé à gauche. C’est une grande tabagique puisqu'elle fume trois à quatre paquets de cigarettes par jour, sans jamais aérer la pièce où elle se trouve car sa mère n’aime pas les courants d’air. Mon premier geste quand j’arrive est donc d’ouvrir la fenêtre pour ne pas mourir asphyxiée… Chaque jour, à la même heure. Et pour cause… Ernestine a passé la plus grande partie de sa vie hospitalisée dans des services psychiatriques dit fermés. Au sein de ces lieux de soins, la vie des malades est encore plus ritualisée que dans un service de soins généraux. Ils se lèvent, prennent leurs repas et leurs traitements à heures fixes, rencontrent les médecins, la famille dans un cadre prédéfini à l’avance, et il est difficile de déroger aux règles fixées. Elle est donc formatée et le moindre changement dans ses habitudes peut provoquer chez elle de grandes colères. Aujourd’hui, tout ne va pas se passer comme d’habitude.

En effet, ma journée débute par une dizaine de prises de sang à domicile et certains patients s’avèrent difficiles à prélever. Je prends donc progressivement du retard. Plusieurs rendez-vous s’enchaînent au cabinet et deux de mes patients ne se présentent pas à l’heure convenue mais un bon quart d’heure plus tard chacun. Il est donc plus de treize heures lorsque je me présente chez Mme Amsterdam, soit soixante minutes plus tard que mon heure d’arrivée habituelle... Machinalement, je pousse la grille du jardin et je traverse les herbes folles au pas de course. Je frappe à la porte deux fois et, comme il est convenu entre elles et moi, j'entre dans la maison.

Tout est calme. Je préviens de mon arrivée en disant Bonjour d’une voix forte. J’ouvre la porte du salon. Ernestine me fait face dans son fauteuil. Elle me dévisage d’un œil noir. Sa mère est assise dans le canapé situé à la droite de celui de sa fille, et regarde d’anciennes photos qu’elle commente à haute voix comme si nous n’existions pas.

- Bonjour, comment allez-vous ?

Ernestine me répond de sa voix traînante, neuroleptisée

- Bonjour. C’est plutôt moi qui dois prendre de vos nouvelles !

Je m’accroupis face à elle pour prendre appui sur la table basse et je commence à retirer les médicaments un à un de leurs blisters. Sa mère continue à commenter les photos :

- C’était à Knoke, maman ne voulait pas se baigner…

Je commence :

- Oui, il y a eu beaucoup d’imprévus ce matin et...

Brutalement, Ernestine se lève et s’avance vers moi rapidement, en hurlant :

- Arrêtez de mentir !!! Je ne suis pas folle !!!

Surprise par sa réaction, je suis déséquilibrée et tombe sur le côté droit.

Hirsute, elle lève la main vers moi, et me relève d’une poignée franche. Imperturbable sa mère réfléchit à haute voix :

- Knoke, non ce n’était pas Knoke…

Je ne comprends pas ce qui se passe car tout s’est déroulé très vite. Ernestine lâche ma main et se dirige vers l’entrée en vociférant :

- Vous voulez profiter d’une handicapée, c’est ça Maria, ras-le-bol de vos mensonges !!!

Je me retourne et j’aperçois une silhouette dans l’entrée, très certainement la fameuse Maria. Je tente une diversion :

- Dites-moi Ernestine, vous oubliez vos cigarettes !

Elle s’arrête brutalement, se retourne lentement, et me fixe.

- Vous êtes complice ?

- Complice ?

- Vous comprenez parfaitement.

Elle revient vers moi. Le téléphone sonne. Elle s’arrête, et se dirige vers l’appareil :

- Bonjour Claudine, je vais devoir raccrocher l’infirmière est là.

Long silence.

- Je te la passe.

- Bonjour Peggy, je suis désolée j’ai omis de vous dire que ma sœur avait rendez-vous pour son injection retard lundi chez son psychiatre. Elle n’y est pas allée donc se trouve en rupture de traitement depuis 10 jours. Il est possible qu’elle soit quelque peu agressive donc essayez de la convaincre de se rendre au centre medico-psychologique, je vous rappelle demain.

Elle raccroche.

Je me retourne et je la regarde longuement.

- Je crois que vous n’allez pas bien Ernestine…

Silence.

- Je savais que vous étiez complice.

Elle s’assoit et allume une cigarette.

- Je vais appeler les pompiers Ernestine, et tout se passera bien.

Je compose le 18 une fois de plus cette semaine, en espérant que leur intervention se déroule le mieux possible.

Note

  1. L'hospitalisation d'office s'applique aux personnes dont les troubles mentaux compromettent l'ordre public ou la sûreté des personnes. Elle appartient au Préfet ou en cas de péril imminent au Maire de la Commune concernée.

Cette chronique a été publiée le 18 juillet 2014 par Mlle Peggy que nous remercions de cet échange.

Mlle PEGGY  http://mllepeggy.blogspot.frSuivez Mlle Peggy sur sa page facebook


Source : infirmiers.com