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AU COEUR DU METIER

Face aux soins difficiles, ne pas se consumer...

Publié le 20/01/2014
souvenirs moments de soins mémoire

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femme pensive infirmière

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mémoire moments de soins souvenirs

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Alors qu'un protocole d'accord cadre relatif à la prévention des risques psychosociaux (RPS) dans la fonction publique a été signé en octobre 2013, je soumets à la communauté soignante une grille spécifique d’évaluation de ce que j'appelle le « risque professionnel lié au soin ». La finalité : développer une nouvelle capacité, celle de retravailler, a posteriori, des souvenirs de soins particulièrement lourds afin d'en réduire la charge émotionnelle. Et de créer une onzième compétence que nous pourrions nommer « Se construire dans l’Evénement soignant ». Explications.

Les moments difficiles, chargés émotionnellement, doivent être retravaillés, pour ne pas être délétères...

Rappelons en effet que le protocole d'accord cadre relatif à la prévention des risques psychosociaux (RPS) dans la fonction publique a été signé le 22 octobre 2013 par Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l’état, de la décentralisation et de la fonction publique, avec les représentants des organisations syndicales et des employeurs publics. Cet accord cadre concerne donc aussi la fonction publique hospitalière !

Issu de plusieurs mois de concertation puis de négociations, ce protocole vise à intégrer durablement la prise en compte des RPS au même titre que les autres risques professionnels dans les politiques de prévention. Ce protocole irait à terme vers des mesures plus larges d’amélioration de la qualité de vie au travail (QVT). Il est accompagné de deux annexes portant d’une part sur l’octroi de moyens, en termes de temps et de formation, aux membres des Comités d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) et, d’autre part, sur la médecine de prévention.

Cet accord stipule que :

  • la prévention des RPS nécessite une approche qui prenne en compte le travail réel, s’appuyant sur le vécu des acteurs… ;
  • chaque employeur public devra réaliser au niveau local, un diagnostic partagé des facteurs de RPS qui sera présenté et débattu au sein du CHSCT de l’établissement… ;
  • ces plans d’évaluation et de prévention des RPS devront être initiés en 2014 et achevés en 2015 ;
  • la formation initiale devra intégrer, dans toutes les écoles de service public, ainsi que dans les écoles paramédicales et les écoles de sages-femmes, un module sur la prévention des RPS et la qualité de vie au travail, dès 2015 ;
  • une attention toute particulière doit être apportée au rôle de l’encadrement à tous les niveaux dans les plans de prévention des RPS. La prévention des risques psychosociaux doit conduire à une réflexion sur les rôles, la place, les moyens et l’accompagnement de l’encadrement. C’est une condition nécessaire pour que celui-ci puisse exercer efficacement sa mission de soutien des équipes.

Le collège d’experts (axe 1) a retenu six dimensions de risques à caractère psychosocial :

  • les exigences et l’intensité du travail ;
  • les exigences émotionnelles ;
  • le manque d’autonomie et de marges de manœuvre ;
  • la mauvaise qualité des rapports sociaux et des relations de travail ;
  • les conflits de valeurs ;
  • l’insécurité de la situation de travail.

Mettre en œuvre le Protocole d’accord relatif à la prévention des risques psychosociaux dans la fonction publique hospitalière !

Evaluez votre risque professionnel lié au soin

Les bases du protocole étant posées, je vous propose d’évaluer votre risque professionnel lié au soin. Cela ne vous prendra que quelques secondes.

Je vous invite d’ailleurs à répondre directement à cette enquête en ligne afin que je puisse, ensuite, vous informer des résultats. Je vous en remercie par avance.

Accédez au questionnaire en ligne

Pour celles et ceux qui veulent garder trace du support papier, voire le diffuser, le voici :

Identification (As, IDE, Cadre…)

  • 1. Il semble que certains moments de soins restent gravés dans nos mémoires.
    • a. Prenez votre temps. Est-ce que vous identifiez plusieurs souvenirs ?

      Oui (_)    Non (_)

    • b. Cibler un seul souvenir de votre choix et nommer le (c'est-à-dire : donner lui un titre)

      . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    • c. Maintenant, qualifier ce souvenir à l’aide de la grille ci-dessous

  • 2. Pensez-vous que ces moments de soins « difficiles, douloureux ou pesants… » risquent d’influencer - à terme - votre choix de quitter le métier soignant que vous avez choisi?
    • a. Oui (_)    Non (_)
    • b. Si oui, coter de 1 à 10.

Cet Evénement soignant est tout simplement l’accumulation des innombrables moments de soins difficiles, douloureux, pesants, profonds, stressants… que nous vivons

Quid du Duerp...

Le Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels (Duerp) sert à répertorier tous les risques liés à l'activité professionnelle. Cette évaluation entre dans l'obligation qui incombe aux employeurs de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la protection de la santé de leurs travailleurs (Articles L4121-1 et suivants, article R4121-1 et suivants du Code du Travail. Circulaire DRT n°2002-06 du 12 avril 2002).

Si votre évaluation d’un souvenir de soin est supérieure à 50/100 (cf. 1.c) et/ou si vous avez tout simplement coché « Oui » en 2.a, vous pouvez demander à votre cadre de santé, à votre cadre supérieur ou à votre cadre de pôle, à votre directeur des soins, aux membres du CHSCT, au Directeur des ressources humaines ou au Directeur de l’établissement si le soin - dans le sens production de soins « difficiles… » - est répertorié dans le Duerp. En effet, en référence aux travaux d’Hannah Arendt sur le concept d’Evénement (quelque chose qui est susceptible de changer le cours d’une vie), j’ai défini ainsi l’Evénement soignant : Affrontement, récurrent et continu, de la maladie, de la souffrance et de la mort par malades interposés (Cf. Christine Paillard, Dictionnaire humaniste infirmier , Editions Setes, 2013).

Cet Evénement soignant est tout simplement l’accumulation des innombrables moments de soins difficiles, douloureux, pesants, profonds, stressants… que nous vivons. Je ne nie en rien - à l’opposé - l’existence de moments de soins agréables, constructifs, moteurs, fondateurs… Je dis seulement qu’il existe un risque professionnel lié à l’accumulation de moments de soins durs, difficiles, stressants… Et que ce risque est très largement majoré par des conditions de travail dégradées.

L’étude ORSOSA (Organisation des soins et de la santé des soignants - 2006 à nos jours) a permis d’identifier huit dimensions… sur lesquelles il est possible d’agir localement. Les thèmes sont les suivants :

  • organisation qui permet la communication ;
  • soutien du cadre de santé ;
  • effectif suffisant dans le service ;
  • interruptions dans le travail ;
  • relations au sein de l’équipe soignante et médicale ;
  • partage de Valeurs de travail ;
  • soutien de l’administration ;
  • organisation qui permet le respect des congés.

Tous ces thèmes sont fondamentaux, reconnus par tous. Mais cette étude, si brillante soit-elle, ne traite toujours pas de ce qui est intrinsèque au soin. Ne traite toujours pas de la « charge intrinsèque » du soin, de la charge contenue dans le soin !

Vers un véritable changement de paradigme...

Faire reconnaître la « production de soins difficiles, douloureux, stressants…» en risque professionnel pour le soignant est fondamental. Cet acte de recensement dans le Duerp est un véritable changement de paradigme. Au-delà de leurs multiples compétences, les soignants ont une qualité et une force exceptionnelles : celle de voir le verre à moitié plein. C’est cette conception du « verre à moitié plein » qui « affronte, de façon récurrente et continue, la maladie, la souffrance et la mort, par malades interposés ».
On comprend bien que face à un tel challenge « le verre à moitié plein » se brise de temps en temps.

Je ne dis pas que chacun d’entre nous se « brisera » obligatoirement un jour ou l’autre, je dis simplement que statistiquement, certains d’entre nous se consument dans cet affrontement qui ne cesse qu’en quittant la production directe des soins ! Ces collègues là doivent être reconnus !

L’affrontement, récurrent et continu, de la maladie, de la souffrance et de la mort est un risque professionnel pour le soignant ! Il doit donc être répertorié, en tant que tel, dans le Document unique d’évaluation des risques professionnels.

Dès lors, nous développerons une nouvelle capacité, celle de retravailler, a posteriori, des souvenirs de soins particulièrement « lourds… » pour en diminuer finalement, la charge résiduelle !

Ce combat est notre combat !

Ce combat est notre combat ! Personne ne le livrera à notre place. Toutes les procédures, tous les protocoles, toutes les certifications n’y changeront rien ! La problématique est au-delà. Nous sommes, nous soignants, en première ligne face à ce risque professionnel ! Nous devons donc le faire reconnaître ! Nous méritons qu’il soit reconnu ! Nous le devons à celles et ceux qui sont « tombés » dans le passé !

Lorsque ce risque sera répertorié dans le Duerp, les Institutions seront alors dans l’obligation de mettre en œuvre un dispositif pour prévenir ce risque et accompagner les soignants dans leur capacité à perdurer dans le soin. Dès lors, nous pourrons exiger des temps, des lieux, des formations, des accompagnements pour diminuer à terme la charge psychique liée à ces souvenirs de soins trop difficiles, trop douloureux… Dès lors, nous développerons une nouvelle capacité, celle de retravailler, a posteriori, des souvenirs de soins particulièrement « lourds…» pour en diminuer finalement, la charge résiduelle !

Cette capacité est pour l’instant plutôt personnelle et individuelle. Nous devons la faire évoluer en une compétence professionnelle collective. Pour les infirmières, cette compétence pourrait être une onzième compétence . Nous pourrions la nommer : « Se construire dans l’Evénement soignant ». De plus, cette compétence est transférable vers l’ensemble des métiers de la santé. Ce protocole d’accord est pour les soignants la porte qui s’ouvre vers cette reconnaissance, cette nouvelle compétence professionnelle.

N’hésitez pas à nous tenir informés de vos démarches en la matière, dans vos structures de soins. Merci d'avance de répondre bien évidemment au questionnaire qui vous est proposé et surtout - puisqu'il est encore temps de vous le souhaiter - Bonne Année !

Philippe GAURIER Rédacteur à Infirmiers.com infirmier.philippe@wanadoo.frwww.pepsoignant.com


Source : infirmiers.com