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ETHIQUE

Et si tout le monde apportait sa pierre à l'éthique ?

Publié le 27/04/2018
Etats généraux éthique et soins

Etats généraux éthique et soins

Actuellement se déroulent les états généraux de bioéthique afin de réviser les lois en vigueur sur le sujet. Mais qu'est-ce que la bioéthique ? Qu'est-ce que ce terme englobe ? Alors que la médecine devient de plus en performante et technicisée, le cadre législatif doit lui aussi évoluer et l'encadrer au plus juste. Benjamin Becker, cadre de Santé et doctorant en philosophie, nous fait part de ses réflexions et espère que ces débats engendreront « des discussions qui pourraient conduire à mettre plus d’« humanitude » dans l’humanité ». Merci à lui de nous faire partager cet article.

Les états généraux de la bioéthique ou réfléchir à comment la société veut évoluer dans l'avenir.

Ce qui attend les hommes après la mort, ce n’est ni ce qu’ils espèrent ni ce qu’ils croient. Héraclite d’Éphèse dans le centre de l’actuelle Turquie ne se trompait pas lorsqu’il soutenait sa thèse de philosophie régulièrement débattue : l’après fait peur, parce qu’il est inconnu. Le philosophe Jankélévitch l’exprime très bien dans son ouvrage La mort (2008). Alors on cherche toujours plus à dépasser l’indépassable, à atteindre l’inatteignable et l’on tente sciemment de rendre possible l’impossible. Pour ce faire, l’Homme a investigué toujours plus, a rusé d’énergie et a investi un temps considérable dans la recherche scientifique et l’évolution des techniques jusqu’aux confins les plus intimes de la vie, jusqu’aux bornes les plus inavouables de l’existence (Sicard, 2017). Des techniques invasives toujours plus aiguës et une connaissance médicale qui permettraient aujourd’hui de maintenir ad vitaem des malades dans des comas artificiels, sédatés certes, mais en vie.

Et eu égard à ce développement effréné du siècle dernier d’une « médecine technicisée » (Canguilhem, 2010), processus inhérent aux trois grands conflits mondiaux, le législateur a souhaité faire évoluer de concert le cadre législatif entourant la recherche médicale, qu’il a nommé sous la terminologie des lois de bioéthique. Du procès de Nuremberg du 20 novembre 1945 condamnant des médecins Nazis pour leurs expérimentations sur des personnes d’obédience juive (Cymes, 2015) aux premières lois de bioéthique du 01 juillet 1994, la loi et le droit français ont été contraints d’évoluer afin de répondre au plus près, ou en tout cas au plus juste aux attentes et espoirs de la société. Ce qui sous-tend un intérêt conséquent qui leur est porté par les citoyens dans leur ensemble, et l’existence et la tenue aujourd’hui d’États généraux de la bioéthique. Ils consistent alors en de vastes débats sociétaux auxquels chacun peut prétendre, dans l’idée de porter une visibilité sociale aux projets en devenir et d’établir un état des lieux des politiques publiques menées en regard. Mais par lois de bioéthique, de quoi parle-t-on exactement ?

L’objectif collégial étant d’aboutir à la solution pour le patient qui soit non pas la meilleure possible, mais probablement la moins pire.

Des lois pour mieux protéger « l'objet précieux » de nos soins

Nous nous proposons ici de revenir sur le terme de « bioéthique », forgé pour la première fois par Potter Van Rensselaer en 1971, dans son ouvrage Bioethics: Bridge to the Futur. Par ce terme, il faut comprendre l’éthique qui se rapporte au vivant, c’est-à-dire à tout ce qui paraît bon pour l’Homme, de nos regards à nos actions citoyennes et soignantes. Puis, par extension, pour le monde vivant en général. De cette idée fondamentale, Beauchamp et Childress en ont dégagé 4 principes fondamentaux, base incontournable aujourd’hui à toute réflexion éthique et philosophique pour le soin : l’autonomie, la bienfaisance, la non-malfaisance et la justice (Beauchamp et Childress, 2008). Constamment en tension au cœur même de nos décisions et regards de soignants, ils mettent en exergue la nécessaire priorisation de ces derniers, qui réponde d’un ensemble de valeurs et d’intentions différent d’un individu à l’autre. L’objectif collégial étant in fine et avant tout d’aboutir à la solution pour le patient qui soit non pas la meilleure possible, mais probablement et en toute modestie la moins pire.

Et c’est afin de mieux encadrer la recherche médicale, nos pratiques soignantes et ses décisions itératives, et de protéger le « précieux objet »  de nos soins (Hesbeen, 2017) que les premières lois de bioéthique furent votées le 1 et le 29 juillet 1994. Elles visaient tout d’abord à borner le traitement des données personnelles des usagers qui se prêtaient à une recherche médicale dans l’objectif de les protéger. La loi du 29 juillet insistant particulièrement sur l’inviolabilité du corps humain et l’interdiction de marchandage de ses différents éléments. Elle précise entre autre le consentement éclairé à la recherche avec possibilité de le révoquer à tout moment. Egalement, elle encadre l’anonymat et la gratuité du don sur personne vivante comme défunte (sauf dans le cas de la sphère familiale).

La deuxième loi de 2004 crée l’Agence de la Biomédecine (ABM) et pose une législation indispensable à la thérapie cellulaire alors en pleine évolution et mutation. Ainsi, elle interdit par exemple le clonage reproductif ou à visée thérapeutique, et elle « crée » le crime contre l’humanité. Elle inscrit également dans sa construction la clause de révision de ces lois tous les 7 ans, portant la troisième révision à 2011. Cette dernière autorise le don croisé d’organes intervenant en cas d’incompatibilité entre proches et se propose de définir les techniques d’assistance médicale à la procréation et d’encadrer leur amélioration. La loi du 6 août 2013 modifie quant à elle la loi de bioéthique de 2011 : le texte prévoit ainsi de passer du régime d’interdiction de la recherche sur l’embryon avec dérogation à une autorisation encadrée. Les recherches peuvent dorénavant être menées à partir d’embryons surnuméraires conçus dans le cadre d’une procréation médicalement assistée (fécondation in vitro).

La création des états généraux de bioéthiques

D'autre part, la loi de 2011 prévoit que « tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux ». L’ensemble de ces différentes lois sont disponibles sur le site du Gouvernement. Ces débats sont organisés à l’initiative du Comité Consultatif National d’Éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT). Le Comité Consultatif National d’Éthique est créé par un décret du Président François Mitterand le 23 février 1983 et est présidé depuis le 14 décembre 2016 par le Professeur Jean-François Delfraissy, médecin immunologiste. Sa vocation première est d’émettre des avis concernant certaines situations médicales qui soulèvent des questionnements et mettent en lumière des impasses éthiques. Ces avis « consultatifs » (avec absence par définition d’un caractère contraignant au sens juridique du terme) ont alors l’ambition de participer également aux différentes orientations prises par le Gouvernement concernant les différentes lois de santé.

Considérer l’autre, c’est lui accorder la possibilité de prononcer deux tout petits mots : Ma Vie !

Impliquer le grand public aux débats éthiques

Cette année, une nouvelle révision est organisée, et pour laquelle le législateur souhaite renforcer la participation citoyenne. Elle se centre autour de notions phare, replaçant constamment au cœur de nos interrogations la relation des usagers du système de santé à son architecture même. Des murs fondateurs qui en font sa force, mais aussi parfois sa grande faiblesse, adjoints à notre puissance technologique médicale moderne. Elles se proposeront cette année d’aborder les principales notions suivantes : les techniques de séquençage et d’ingénierie génique, les dons et transplantations d’organes, les données de santé numériques et l’intelligence artificielle, les neurosciences, la procréation et la fin de vie. Le tournant majeur de ces nouvelles réflexion et révision bioéthiques consiste en ce qu’elles s’universalisent - qu’elles se popularisent, ouvrant dorénavant la possibilité aux citoyens de se prononcer et de réfléchir à un futur, à cet avenir qui les concerne (Héritier et al., 2013).

Les différents Espaces de Réflexion Éthique régionaux organisent donc régulièrement des rencontres lors de séminaires ou de soirées et cafés autour de ces différents thèmes, qui permettent une certaine liberté dans le débat. Une liberté de pensées, de paroles, d’expression… Des rencontres humaines durant lesquelles chacun est l’égal de l’autre, Homme ou Femme, mais Humain avant tout. Et d’aucuns est alors libre d’espérer participer aux changements de nos lois et de notre société, soutenant des discussions qui pourraient conduire à mettre plus d’« humanitude » dans l’humanité (Gineste et Pellissier, 2009), plus de justice et de considération dans les relations humaines. Et Considérer l’autre, c’est lui accorder la possibilité de prononcer deux tout petits mots : Ma Vie !, précisait Gabriel Marcel (1953).

Le politologue y verra là une volonté affirmée de porter la force publique et la construction des politiques à la hauteur de chaque citoyen. Le sociologue, quant à lui, y distinguera une capacité offerte à la société de faire corps, de s’allier pour transformer favorablement et durablement une vieille institution étatique française pluriséculaire. Vieille parce qu’affublée d’un carcan administratif si bien décrit par Crozier et Friedberg qui empêche toute émancipation démocratique et sociale (Bernoux, 2014). De ces rencontres humaines et éthiques riches, le philosophe alors, et pour sa part, y verra la possibilité transcendantale et métaphysique de rendre plus beau, plus congruent et plus sûr le monde de demain. Celui qu’on fera le choix de léguer malade ou en bonne santé aux générations qui nous succéderont…   

Et vous soignants, vous y verrez quoi ? Un moyen de mieux faire entendre votre voix, de vous rapprocher de vos patients ou encore de bénéficier de cette reconnaissance à laquelle vous avez droit ?

Références bibliographiques

  • Beauchamp T. et Childress J., Les principes de l’éthique biomédicale, 2008, Paris, éd. Belles Lettres, coll. Médecine et Sciences humaines BERNOUX Philippe, La sociologie des organisations, 2014, Paris, éd. Points, 480 pages, coll. Points Essais  
  • Canguilhem Georges, Le normal et le pathologique, 2010, Paris, éd. PUF, 120 pages, coll. Quadrige
  • Cymes Michel, Hippocrate aux enfers, 2015, Paris, éd. Stock, 216 pages, coll. Essais
  • Gineste Y. et Pellissier J., Humanitude, 2009, Paris, éd. Armand Colin
  • Héritier F. et al., La bioéthique, pour quoi faire ?, 2013, Paris, éd. PUF, 352 pages, coll. Hors collection
  • Hesbeen Walter, De la qualité du soin infirmier. De la réflexion éthique à une pratique de qualité, 2017, Issy-les-Moulineaux, éd. Elsevier Masson, 161 pages, coll. Hors collection
  • Jankélévitch Vladimir, La Mort, 2008, Paris, éd. Flammarion, coll. Champs essais
  • Marcel Gabriel, Le mystère de l’être, 1953, Sheffield, éd. Gifford Lectures
  • Sicard Didier, L’éthique médicale et la bioéthique, 2017, Paris, éd. PUF, 120 pages, coll. Que sais-je ?
  • Van Resselaer Potter, Bioethics : Bridge to the Futur, 1971, Londres, éd. First Printing, coll. Biological Science  

Benjamin BeckerCadre de Santé- Pôle chirurgieGroupe Hospitalier Mutualiste de GrenobleDoctorant en philosophie moraleEcole Normale Supérieure de Lyon


Source : infirmiers.com