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Ehpad : le mot qui fait tâche...

Publié le 30/01/2018
ehpad, grève, janvier 2018

ehpad, grève, janvier 2018

grève Ehpad 2018

grève Ehpad 2018

Depuis plusieurs années, l'insuffisance des effectifs et des moyens en Ehpad s'exprimait à plus ou moins bas bruit, responsable de deshumanisation et de "maltraitance ordinaire" des résidents. Aujourd'hui, la colère explose, les langues se délient et la France connait une mobilisation de très grande envergure où soignants, soignés, administrateurs, familles s'expriment d'une seule voix pour exiger une prise en charge des aînés digne de ce nom.

Manque de temps, surcharge de travail, burn-out, mauvais accueil du résident... soignants, soignés, familles... quand le secteur des Ehpad craque pour de bon.

Mise à jour du 8 février 2018- Suite à plusieurs mobilisations de personnels d’établissements, dénonçant des conditions de travail et de rémunération préjudiciables la commission des affaires sociales et son rapporteur médico-social, M. Bernard Bonne (Les Républicains – Loire) ouvrent un cycle d’auditions sur la prise en charge en Ehpad. Le Gouvernement réserve pour l’heure ses réponses au rendu des conclusions d’un groupe de travail ministériel sur la qualité de vie au travail dans les maisons de retraite.

EHPAD... en cette journée nationale de grève et de mobilisation, le mot a envahi l'espace public et les médias. Tous en grève pour l'augmentation des effectifs gage de l'amélioration de la prise en charge des résidents, tel était le mot d'ordre des sept organisations syndicales appelant les salariés des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ainsi que ceux des soins à domicile à se mettre en grève et à manifester. Le mouvement a vite fait tâche d'huile, soutenu par l'association des directeurs de services à domicile et d'établissements pour personnes âgées. De leur côté, neuf associations et unions confédérales de retraités apportent également leur soutien à cette initiative d'ampleur nationale tout comme l'association France Alzheimer.

Aujourd'hui, je n'y placerai pas mes parents"...
- une directrice d'EHPAD

La parole des soignants s'est libérée, inondant les médias ainsi que les réseaux sociaux. La violence des mots heurte les valeurs humaines et soignantes et il faut les faire entendre -enfin- aux pouvoirs publics. Comme le dénonce une fois encore Nathalie Depoire, présidente de la Coordination infirmière (CNI), souffrances physiques et psychologiques, le malaise des soignants dans les EHPAD met en lumière, par la même occasion, celui des résidents. Travailler auprès de personnes âgées sans moyen n’a plus de sens pour un personnel littéralement abandonné. Le slogan arrive très vite Ils se sont battus pour nos droits, à nous de défendre les leurs. Devant cette énorme fronde, la ministre des Affaires sociales et de la Santé a certes réagi, défendant un plan ambitieux pour les Ehpad et un budget de quelques 150 millions d'euros . Mais il y urgence vitale et le secteur ne peut attendre. Pour les organisations syndicales, les mesures annoncées sont "un pansement sur une jambe de bois". Pour cette infirmière, les traitements sont indignes pour les malades et les agents souffrent. Les conditions de sécurité ne sont pas respectées. Si les personnels subissent un épuisement, trop de rappels sur repos, des plannings non respectés... les familles subissent aussi l'état de fait. Un avis partagé par cette autre soignante  je vois mes collègues pleurer chaque jour, le personnel est à bout. Quand on passe dans les chambres de nos résidents et qu'on les trouve qui baignent dans l'urine, c'est dramatique.

L'Etat qui finance la partie soins médicaux des EHPAD, a prévu 100 Millions d'euros supplémentaires pour 2018, j'ai rajouté 50 Millions ! C'est déjà énormément d'argent !

La France, en ce 30 janvier 2018, a donc connu un embrasement social inédit résumé par Pascal Champvert, président de l'AD-PA : autant de cynisme à l'égard des personnes âgées est insupportable. Le constat que nous faisons tous, personnes âgées, familles, professionnels, directeurs, c’est celui d’un pays qui accompagne mal les personnes âgées que ce soit à domicile ou en établissement. L’enjeu est économique : il faut créer des centaines de milliers d’emplois. Il est aussi sociétal : comment nos personnes âgées vivent-elles dans notre société ? Enfin, il est éthique : comment l’âgisme est devenu une discrimination dans notre société.

"Seule la conscience professionnelle me pousse à continuer..."

Dans cet Ehpad de Seine-Saint-Denis, en région parisienne, la mobilisation a bien eu lieu. En ce jour de grève nationale, ils ont tenu a manifester leur désarroi face à des conditions de travail de plus en plus tendues. Nous manquons de moyens c'est évident et hélas récurrent, nous explique Simona, infirmière et déléguée du personnel. Accidents de travail, arrêts maladie, vacances... personne n'est remplacé... comment faire alors pour travailler correctement, pour soigner au mieux nos résidents. Nos conditions de travail sont vraiment dégradées, pas le temps de faire du lien social, si indispensable auprès de nos aînés. C'est l'usine et on se pose des questions indécentes : qui va manger en premier ? quel patient va avoir sa toilette ? et quel autre ne l'aura pas par manque de temps ? On nous oppose en permanence la question du budget, insuffisant, pour répondre à nos besoins et surtout à ceux des résidents. Joseph, le cuisinier de l'établissement, ne dit pas autre chose, impossible de recruter, je passe mon temps à revenir sur mes jours de repos, seule la conscience professionnelle me pousse à continuer car il est hors de question d'abandonner les résidents.

Des mots qui nous font mal et qui font mal à nos aînés

Nous avons choisi de relever parmi les très nombreux témoignages entendus en ce jour de colère - et de ceux qui les ont précédé- les plus significatifs illustrant cette crise en Ehpad. Certains d'entre eux nous révoltent, nous jettant brutalement dans la réalité du terrain où deshumanisation et maltraitance ont pris le relais de la bienveillance et du respect de la dignité de nos aînés. Ces mots nous malmènent car ils nous projettent dans un avenir angoissant, celui de notre propre finitude.

Paroles d'infirmières

  • Et ça me brise le coeur d'avoir des choses à raconter... douche une fois par mois, résidents levés un jour sur deux, repas donnés en moins de 10 min, toilettes express... j'aimerais que les dirigeants subissent ça une fois dans leur vie...
  • Voir que nos aînés sont maltraités, ça m'a empêchée de travailler. La façon dont les cadences sont augmentés... C'est comme un ordre de maltraiter.
  • Une usine d'abattage qui broie l'humanité des vies qu'elle abrite en pyjama ou en blouse blanche. On rentre chez soi parfois la larme à l'oeil. Le lendemain matin, on n'a pas envie d'y aller et pourtant on y retourne, parce qu'on a des gens envers qui on a presque de la tendresse

Paroles d'aides-soignants

  • Plutôt que de les aider à aller aux toilettes, on leur met des protections. Plutôt que de les aider à manger, on leur donne une alimentation mixée car c’est plus rapide à avaler et on peut donner la cuillère à deux personnes en même temps !
  • Il faut nommer les choses, le matin, c'est du nettoyage à la chaîne et le soir c'est du jeté de vieux ! En journée, c'est de « l'auto-tamponneuse de fauteuils roulants », des queues d'attente devant l’ascenseur. Le stress nous dévore, ainsi que la culpabilité d'avoir choisi des métiers humains qui n'en ont plus le visage. La réalité, c’est qu’à tous les niveaux, soignants, cadres, direction nous perdons pied.
  • C’est à celle qui s’en fout le plus, et quand on s’en fout pas, on devient fou.
  • Les valeurs de mon métier se dégradent et finissent par se perdre. Au final, ça me dégoûte de faire ce que je fais.
  • Je me bats avec moi-même pour aller plus vite tous les jours. (...) On nous impose des règles, mais c’est pas possible de les respecter. Si on veut respecter les personnes, on peut pas respecter le planning. Si on veut respecter le planning, c’est qu’on ne respecte pas la personne.
  • Ils sont très vieux, ils ont un rythme de vie ralenti du fait de leur âge et nous on leur demande d’aller plus vite, ce n’est pas du tout normal ! Et comme tout est accéléré, même le rythme normal qu’on vit à la maison n’est plus respecté. Le soir, on est obligé de les coucher tôt avant le relais de l’équipe de nuit. Ce qui fait que si le dernier repas est pris à 19h et le petit-déjeuner pas avant 8h, ça leur fait subir un jeûne nocturne énorme.

Paroles de directeurs d'établissements

Les gens ne peuvent pas prendre leur repos ni leurs congés. On a vu des burn-out, des tentatives de suicide… Une fille s’était cachée au sous-sol parce qu’elle voulait se foutre en l’air, elle en avait marre de ne pas pouvoir s’occuper de ses papys et de ses mamies.

Paroles de familles

  • Nos anciens sont laissés-pour-compte dans ces maisons de retraite. Ils n'ont droit qu'à une douche par mois, la kiné c'est en pointillé et il faut parfois attendre un an pour que la pédicure passe pour leur couper les ongles.
  • A trois-quatre repises, je me suis plainte de la situation de ma mère et depuis, alors qu'elle était en unité ouverte, a été placée en unité protégée. Tout cela parce que je suis allée me plaindre.
  • Elle adorait manger... depuis qu'elle est en EHPAD, elle a perdu 20 kilos.
  • On voit des changes souillés qui traînent par terre.
  • Quand on rentre, on voit des personnes qui sont là et qui attendent la mort. Elles regardent la baie vitrée qui donne sur une impasse, où il ne se passe rien et où il n'y a rien a voir. Ça fait mouroir.
  • Le jour où ma mère [aveugle] a demandé à ce qu'on lui coupe sa viande, on lui a répondu : 'On s'en fout.'

 Travailler avec des personnes âgées, c’est un métier qu’on ne peut pas faire en regardant sa montre

Réactions d'internautes

  • Voilà des décennies que la gériatrie est reléguée aux oubliettes. Des mesurettes et des promesses non-tenues, l'hypocrisie est à son paroxysme. Il ne s'agit pas de dignité à défendre, mais de rappeler que l'âge ne nous disqualifie pas de la notion de sujet et de citoyen.
  • Les maisons de retraite sont très chères et dans certaines il est demandé aux familles de fournir les produits d'hygiène car l'établissment n'en a pas les moyens.
  • Il faudrait peut-être regarder du côté des grands groupes financiers gérants d'EHPAD...
  • A notre époque, et surtout en France, il vaut mieux être en prison qu'en maison de retraite, on est mieux traité.

Cette journée de mobilisation nationale, très suivie partout en France, a été marquée par des débrayages, des rassemblements avec la population devant
les établissements, des délégations auprès des Préfets et des ARS et une manifestation devant le ministère des Solidarités et de la Santé où une délégation de l'intersyndicale était reçue en début d'après-midi. Tous les moyens doivent être donnés immédiatement pour retrouver une prise en charge décente dans le respect de la dignité humaine. Il faut combattre tant que nous en avons l’énergie...Souhaitons-nous être les maltraités de demain ?interroge la coordination nationale infirmière. Selon l'AFP, la délégation des manifestants est ressortie déçue de l'entrevue, disant n'avoir obtenu que des non réponses, précise l'AFP.

Selon un communiqué publié en fin de journée par la Direction de la cohésion sociale dépendant du ministère de la santé, dans l’ensemble des Ehpad, tous secteurs confondus, le taux de participation (nombre de grévistes déclarés) de l’ensemble des personnels est de 10,3 % et le taux de mobilisation (nombre de grévistes déclarés et de personnels assignés) est de 31,8 %.

Encore faut-il que cette colère exprimée unaniment en ce jour ne soit pas rapidement chassée, disparaissant de l'éclairage des médias car substituée par d'autres actualités, d'autres drames, d'autres colères... et que cette lutte pour plus d'humanité ne redevienne souterraine...

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com