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EDITO - Suicide des enfants : tenter de comprendre l'impensable...

Publié le 30/09/2011

« Pendant des jours et des jours, nous avons essayé de nous persuader, à tout prix, qu'il s'agissait d'un accident. L'idée même qu'il puisse s'agir d'un suicide chez un enfant de 11 ans n'était tout simplement pas envisageable... ». Ce témoignage d'un père dont l'enfant a mis brutalement fin à ses jours illustre combien cet événement de vie tragique est tout simplement impensable. Un enfant ne peut en effet se donner la mort... et pourtant.

Le 29 septembre 2011, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik a rendu à Jeannette Bougrab, secrétaire d’État chargée de la Jeunesse, un rapport sur le sujet intitulé « Quand un enfant se donne la mort » et la réalité mise en exergue dans cette analyse lève un tabou sociétal qu'il faut avoir aujourd'hui le courage d'affronter. Oui, de jeunes enfants peuvent se « suicider », mettre fin à leurs jours, attenter à leur vie. Plusieurs cas (défenestration, pendaison...) se sont d'ailleurs produits ces derniers mois, provoquant émoi, incompréhension et incrédulité. Les statistiques indiquent pourtant que le suicide, deuxième cause de décès chez les adolescents, concerne entre 30 à 100 enfants de moins de 15 ans chaque année.

Pour Boris Cyrulnik, ce chiffre est sous-évalué car « la force du tabou conduit à interpréter un certain nombre de passages à l’acte et de conduites à risque comme des « accidents ». « L'accident n'est pas accidentel lorsqu'une conduite le rend probable. Se pencher par la fenêtre, traverser la rue en courant, sauter d'un autobus en marche, plonger dans le tourbillon d'un courant... » sont autant de signaux pour Boris Cyrulnik de mise en danger vues, à tort, comme de l'inconscience. A travers ces conduites à risque, les enfants d'aujourd'hui expriment quelque chose de « concret » qu'il ne faut pas négliger...

Le neuropsychiatre souligne qu'« un enfant qui se tue ne se donne pas forcément la mort » et cette phrase est en soi paradoxale dans notre monde où le rationnel domine. En effet, pour un jeune enfant, la notion de mort diffère de celle d'un adulte, il s'agit d'une simple « absence », provisoire, réversible et la pulsion qui l'anime est plus de l'ordre d'une « impulsion » plutôt que d'une « réflexion ». Cette phrase d'une jeune enfant citée dans le rapport l'illustre et pourrait même nous faire sourire de par sa naïveté : « Je me suiciderais bien, mais j'ai peur de le regretter... ». Un autre témoignage apporte un éclairage différent sur les raisons qui peuvent conduire l'enfant à l'irréparable : « Je voulais que ma vie change, je ne voulais pas qu'elle s'arrête ». Lorsque l'enfant se suicide, il semble donc bien que ce qu'il désire ce n'est pas la mort, mais la solution à son problème. Dans un monde ou immédiateté et impulsivité sont les maître-mots, le passage à l'acte peut donc être une solution. Seuls 20 % des suicides d'enfants semblent en effet « prémédités ». Boris Cyrulnik rappelle que les enfants commencent à comprendre ce qu'est la mort entre 6 et 9 ans. Ainsi, une phrase blessante, une mauvaise note, un conflit avec un camarade, ces petits riens du quotidien peuvent être vécues comme de véritables « déflagrations » qui, non exprimées, peuvent conduire l'enfant au pire, c'est-à-dire à l'acte mortel. De plus, si l'enfant ne rencontre pas, dès son plus jeune âge, un univers sécurisant chez lui, qu'il se sent « isolé », « incompris », « dans la peur de l'abandon », qu'il est confronté à la violence conjugale, à un deuil précoce, à des maltraitances, même minimes, toute « alerte » lui est insupportable.

En France, les garçons seraient plus touchés que les filles car ces dernières se développent plus vite, ont plus de contrôle sur ce qui les entoure et donc plus d'attaches avec la réalité. Il semble que le profil de ces enfants suicidaires soit fortement marqué d'émotivité. « Presque tous les pré-ados qui expriment une idée suicidaire appartiennent au groupe des borderline, ces personnalités qui ont du mal à se construire » souligne encore le neuropsychiatre qui avance prudemment « la génétique du suicide » par une carence décelée en, post mortem, de sérotonine, hormone du bien-être, dans la zone du cortex préfrontal.

L'entourage est, selon Boris Cyrulnik, le meilleur moyen pour lutter contre les tendances suicidaires d'un enfant. Plus ses attachements sont ancrés et solides, moins l'enfant aura l'idée « de se faire du mal »
Il insiste également sur une indispensable politique de prévention aussi bien « autour de la naissance », notamment en donnant « une cohérence aux métiers de la petite enfance » via une « université de la petite enfance » ou en formant les médecins, les infirmières1, les éducateurs et enseignants à cette problématique. A l'école, il prône d'ailleurs « une adaptation des rythmes scolaires, une notation plus tardive, une lutte contre le harcèlement... ».

Plus globalement, « l'enfant ne se sent plus seul au monde quand il y a un lien pour s'exprimer et une personne familière pour l'écouter ». Tendre l'oreille, être attentif aux petits signes, même les plus discrets, susciter le dialogue, toujours, pour le défenseur de la résilience, il suffit « d'une seule relation structurante avec un parent, un ami, une rencontre avec un adulte signifiant » pour sauver un enfant suicidaire. Jeannette Bougrab, de son côté, à la lecture de ce rapport courageux souhaite lancer au plus vite une campagne interministérielle de prévention sur le suicide des enfants et expliquer au grand public qu'il ne s'agit pas d'une fatalité. Pour ce faire, le rapport sera publié aux éditions Odile Jacob .« Il nous semblait important que ce travail serve à tous ceux qui entourent les enfants - les familles, les équipes éducatives et même les associations, souligne la secrétaire d’État. Il faut absolument oser aborder ce sujet, sans culpabiliser les proches. Aujourd’hui, si on ne fait rien, on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas ».




Remise du rapport " Quand un enfant se donne la mort ... par jeunesse-vie-associative

Note

1. Le SNIES UNSA Education partage l'avis de Boris Cyrulnik. Syndicat du personnel infirmier scolaire, il tient à rappeler, dans un communiqué du 30 septembre 2011 " que beaucoup d’enfants sont déjà accueillis en consultation infirmière dans les écoles. Ils y reçoivent une écoute attentive de leurs besoins. Les maux peuvent s’exprimer en mots. Le personnel infirmier est un des « traits d’union » entre les enseignants et les familles, participe à des groupes de parole lors de situation difficiles, lutte contre le harcèlement, offre un soutien aux parents en difficulté, en coordination avec l’équipe éducative. Cette mission éducative et de prévention n’est pas reconnue par le ministère de l’Education nationale. Le SNIES UNSA Education déplore le manque d’attractivité de l’exercice de cette profession en milieu scolaire qui est toujours en attente d’une juste reconnaissance catégorielle du diplôme grade licence par la Fonction publique.  
Il serait dommage de se priver de ce personnel dans la mise en œuvre de cette prévention, en raison de difficultés de recrutement." http://snies.unsa-education.org


Bernadette FABREGAS
rédactrice en chef IZEOS
bernadette.fabregas@izeos.com


Source : infirmiers.com