Le "sexisme ordinaire" regroupe l’ensemble des discriminations de genre qui restent dissimulées mais néanmoins toujours bien présentes dans la société française. D’autant plus dans le milieu hospitalier où les propos sexistes demeurent banalisés sous prétexte de "tradition". Un étudiant a interrogé les infirmières exerçant dans la fonction publique afin d’estimer à quel point elles sont exposées aux remarques de ce type et surtout comment elles le vivent. Le moins que l’on puisse dire c’est que les femmes en blouse blanche rient jaune !
Préjugés, stéréotypes de genre, discriminations, le sexisme reste bien présent en France aujourd’hui, au niveau professionnel comme dans la vie de tous les jours. Les mentalités peinent à évoluer sur ce sujet, les femmes demeurent moins bien payées que les hommes à emplois et conditions égales et atteignent moins facilement des postes à responsabilités.
Le milieu hospitalier reste, malheureusement, largement concerné par ce phénomène. Un étudiant en médecine a décidé de faire du sexisme ordinaire subi par les infirmières exerçant dans les hôpitaux du Calvados son sujet de thèse. Principaux enseignements de ces travaux : les soignantes restent fréquemment exposées aux propos déplacés à caractère sexuel, des paroles qui, la plupart du temps, les agacent profondément…
Les infirmières font parties des principales cibles, pour plusieurs raisons…
Les établissement de santé : un lieu propice au sexisme au travail
Selon un rapport du Conseil Supérieur de l’Egalité professionnelle (CSEP), 80% des femmes salariées considèrent que, de manière générale, la gent féminine est régulièrement confrontée à des attitudes sexistes au travail. En outre, si, dans certaines situations, il est facile de voir et condamner ce type de comportements, nombreux sont ceux qui, en réalité, passent inaperçues. On constate une sorte d’acceptation de la part des hommes comme des femmes. Ce sexisme ordinaire est resté inchangé au fil du temps, s’est ancré dans l’inconscient et demeure perçu comme normal aux yeux de tous.
Le monde médical est un milieu privilégié où ce genre de pratiques s’est aisément enraciné
. D’abord parce que les soins impliquent un rapport au corps particulier, la nudité est banalisée, désacralisée
. D’autre part, historiquement, la médecine était à forte prédominance masculine, même si la tendance s’est inversée récemment sur les bancs des facultés. La sexualité est un thème central dans les coutumes carabines, le sexe reste un des principaux moyens pour les médecins d’évacuer les tensions inhérentes à l’exercice de leur métier
, remarque l’auteur. Les mœurs évoluant lentement, cette situation fait que les femmes travaillant à l’hôpital sont davantage exposées au sexisme.
Or, les infirmières sont d’autant plus à risque, et ce, en raison notamment d’un contexte hiérarchique pouvant entraîner un rapport de force défavorable. En effet, le harcélement sexuel implique souvent des différences d’autorités entre le coupable et sa victime. De même, l’infirmière est aussi exposée vis-à-vis des patients et de leurs proches, du fait d’un contact prédominant par rapport au personnel médical mais aussi parce qu’elles ne jouissent pas de la même aura
auprès du grand public. D’où l’intérêt de leur demander leur avis sur cette question de sexisme.
Le sentiment qui domine largement est l’agacement, suivi du choc, de la déstabilisation et de la dévalorisation
Pas sa place dans un hôpital, mais…
En premier lieu, l’étudiant en médecine a demandé aux infirmières de réagir face à quatre phrases exemples, qu’elles ont été susceptibles d’entendre au cours de leur carrière : Bon, la caméra de coelioscopie est bien réglée, mais pas assez pour voir si tu portes une culotte ou un string
, Mais tu as tes règles ou quoi ?
, Avec un aussi joli visage que le tien, je suis certain que le patient va faire de beaux rêves
et Tu viendras chez moi à la fin de la journée pour me montrer comment tu fais pour déstresser les patients ?
.
Sans grande surprise, les infirmières ont déclaré ressentir de l’agacement face à ce genre de remarques, voire être choquées, se sentir déstabilisées ou dévalorisées. La troisième phrase fait toutefois un peu exception, les soignantes étant davantage flattées qu’agacées (mais de peu). Il est vrai que dans cet exemple précis, le compliment est plus explicite et rien n’est à caractère sexuel. Cependant, comme l’ont souligné certaines répondantes, il est difficile de juger l’impact de paroles sorties de leurs contextes. Tout dépend en grande partie de celui qui les prononce, si c’est quelqu’un que l’on apprécie cela change le ressentie.
Quoiqu’il en soit, la grande majorité des répondantes estime que ce genre d’attitudes n’a pas plus sa place à l’hôpital qu’ailleurs, les professionnelles exerçant au sein des blocs opératoires s’avéraient moins sévères que leurs collègues. Elles présentaient une légère tendance à considérer davantage ces comportements comme une tradition
sans risque de dérapage vers du harcèlement sexuel, et ce, bien qu’elles partagent la même mauvaise opinion concernant les phrases types énumérées auparavant. Fait remarquable, une partie des infirmières (tous services confondus) pensaient que ces propos avaient l’intérêt de permettre d’évacuer le stress.
Les médecins le plus souvent à l’origine de propos déplacés, suivis des patients
Si la plupart des IDE préféreraient ne jamais entendre de paroles sexistes, dans leur quotidien au travail il n’en est rien. Les soignantes interrogées sur le sujet sont formelles, seules 42% de celles exerçant en services d’hospitalisations médicales déclarent ne jamais entendre de telles paroles contre 29,6% en chirurgie et moins de 20% au bloc opératoire. Dans ce dernier secteur elles sont même un peu moins d’un quart à en entendre au moins une fois par semaine.
Toutefois, ces données sont à nuancer car si les infirmières les entendent cela ne signifie pas qu’elles en sont la cible. En effet, elles sont un peu plus de la moitié à être directement concernées par ces allégations, car elles ne sont pas la seule catégorie professionnelle à être particulièrement concernée par ce problème, c’est également le cas notamment des aides-soignantes qui mériterait qu’une étude similaire soit réalisée auprès d’elles
, clarifie l’auteur.
Au niveau des personnes à l’origine de ces remarques, les médecins sont les principaux cités (dans 68% des cas), suivis par les patients, puis leurs proches. Cependant, ce chiffre est aussi à prendre avec précaution : ce sont surtout les chirurgiens qui sont mis en cause dans 90% des cas dans les blocs opératoires alors que les patients s’avèrent être les principaux auteurs de propos sexistes dans les secteurs d’hospitalisations
. Des données assez logiques, les patients étant anesthésiés quand ils sont au bloc, il leur est difficile d’émettre des paroles désobligeantes.
Le blocs opératoire : un lieu à part
Par ailleurs, on observe que le bloc opératoire est un secteur à part
. Les interactions entre l’infirmière et le chirurgien sont plus fréquentes qu’entre l’IDE et le médecin dans les autres secteurs. En outre, à la différence des autres services, les infirmiers (et infirmières) arrivent en deuxième position des personnels à l’origine de ce genre de propos. Cela témoigne-t-il d’une ambiance globalement grivoise au sein du bloc opératoire, ou bien d’un mécanisme d’adaptation vis-à-vis des chirurgiens ?
, s’interroge l’étudiant en médecine.
Il est vrai que les données indiquent clairement que les infirmières de blocs sont davantage sujettes aux phrases à connotation sexiste et sont pourtant les plus conciliantes face à ce phénomène. De là à supposer que cette exposition pourrait provoquer une certaine anesthésie émotionnelle
pour se protéger voire à une adaptation vis-à-vis des chirurgiens sur un mode de mimétisme
? On observe d’ailleurs une inadéquation dans les résultats : 17% des infirmières ont admis être elles-mêmes responsables de ce genre de remarques mais, d’après l’ensemble des répondantes, 46,5% des phrases qu’elles ont entendues sortaient de la bouche d’une infirmière. Ainsi, soit certaines soignantes n’assument pas avoir déjà émis des propos sexistes soit elles ne s’en rendent pas compte
, présume l’auteur.
Plus d’un tiers des infirmières de blocs n’objectent pas par craintes de représailles verbales et/ou physiques.
Peu de protestations mais un impact conséquent
Les infirmières ont aussi été interrogées sur le ressenti vis-à-vis de ces remarques. Les résultats sont clairs : elles déclarent un impact négatif sur leur bien-être et/ou sur la qualité du travail dans environ 25% des cas (entre 23,2% et 26% selon les services). Or, si l’étude de l’Ifop retrouvait un taux d’exposition à des blagues sexistes ou sexuelles au travail à hauteur de 45 %, nous remarquons que cette exposition est nettement supérieure en milieu hospitalier
, souligne l’auteur de la thèse.
Face à ce type de situation, apparemment seule la moitié des professionnelles a déjà osé protester. D’autre part, seule une partie a constaté un résultat positif suite à cette plainte. Quant à celles qui se sont tues, c’est parce qu’elles estiment soit ne pas être dérangées
par ces propos soit que de toute façon on ne peut rien y changer
. Néanmoins, un tiers des soignantes n’ont rien dit, car il s’agissait d’un médecin
. Plus d’un tiers des infirmières de blocs n’objectent pas par craintes de représailles verbales et/ou physiques
.
Enfin, le cadre reste et de loin le principal recours en cas de problème mais là encore les taux sont plus faibles au bloc opératoire. L’auteur suppose qu’il est possible que ce soit dû au fait que la proportion d’hommes à ce poste est plus importante que dans les autres secteurs. D’ailleurs, les statistiques montrent que les phrases sexistes sont plus fréquentes lorsque le cadre est de sexe masculin.
Informer le personnel : principal levier pour une prise de conscience collective
Parmi les pistes d’améliorations possibles une campagne d’information sur le sujet parait opportune surtout qu’elle est souhaitée par 90% des répondantes qui se sentent mal informées sur leurs recours possibles dans ce genre de situation. De même, informer les directeurs d’établissements pourrait renforcer la surveillance au sein des services et par ce biais la protection des victimes, en rétablissant le lien de confiance entre les IDE et leur direction
, suggère l’auteur de la thèse. Selon une étude de l’Ifop de 2012, inciter les employeurs à prendre des sanctions disciplinaires contre les auteurs de harcèlement sexuel serait une mesure efficace auprès de 96 % des femmes interrogées. Ce serait également une bonne idée d’obliger les entreprises à communiquer sur la tolérance zéro au sexisme et au harcèlement sexuel
pour 84% d’entre elles.
Si cette étude mériterait d’être répétée à plus grande échelle, elle donne déjà une idée de l’ampleur du sexisme au sein des établissements de santé. Les personnels en sont atteints, ce qui peut par la suite se répercuter sur la qualité des soins. L’auteur conclut donc que : si l’hôpital est une longue chaîne où chaque maillon est essentiel à son bon fonctionnement, et puisqu’il peut être difficile pour les infirmières (et tout le personnel féminin) de protester au sein d’un milieu où la peur – rationnelle – d’être jugées s’impose bien souvent, il appartient à chacun de se sentir responsable de l’initiation d’un mode de pensée nouveau, que l’on soit un homme, une femme ou d’un autre genre, et quel que soit son statut professionnel
.
Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com @roxane0706
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