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Edito - Rire de son cancer et faire rire

Publié le 16/12/2016
le cander en bd

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Le cancer en bd

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Le cancer en bd

Le cancer en bd

Le cancer en bd

Le dessin comme exutoire. La bande-dessinée pour exprimer, exorciser la maladie cancéreuse qui les a touchés dans leur chair ou dans celle d'un être cher. Prendre le crayon, mettre de la couleur pour raconter le pire. Rire de soi, de ses expériences douloureuses, les mettre en bulles, en cases, pour mieux se mettre en boîte ! Résister. Auteurs de BD, jeunes et bourrés de talents, ils nous offrent « leur histoire d'en rire » avec le cancer et dessinent le crabe, sans concession. Une lecture réjouissante qui parle à chacun avec une leçon à retenir : « on a déjà un truc grave à gérer alors le mieux, c'est d'en rire ! » Ce rire - franc ou jaune - , on l'a partagé avec eux, le 15 décembre au soir, à l'Institut Curie lors de la conférence « Dessine-moi un cancer ». Respect.

Le cancer en BD : pour mieux traverser la maladie... Une illustration de Lili Sohn.

Peut-on rire de tout et avec tout le monde ? Ces jeunes auteurs de bande-dessinée nous ont prouvé que oui et que juxtaposer les mots « rire » et « cancer » était possible. Ce n'est bien entendu pas donné à tout le monde. Il faut autant de talent que d'intelligence et un esprit singulier qui a le don de croquer les scènes les plus tragiques pour en faire ressortir le côté incongru et drôle ; et ensuite avoir le courage de le partager… Ils ont donc mis en scène leur cancer, cet invité surprise qui est venu les cueillir, sans crier gare, dans l'insouciance de leur jeunesse, mettant autant d'entraves, de doutes et de douleur dans une vie jusque là sereine.

La conférence « Dessine-moi un cancer » , à l'initiative de l'Institut Curie le 15 décembre au soir nous invitait à converser avec ces auteurs autour du cancer et de son vécu à travers le dessin.

  • Lili Sohn1, auteure de BD et illustratrice, au travers de son blog « Tchao Günther » et de ses trois albums « La guerre des tétons » nous a raconté son cancer du sein.
  • Alice Baguet2, graphiste illustratrice, a dessiné, à distance de son lymphome (lorsqu'elle avait 19 ans), le récit de son expérience dans « L'année du crabe ».
  • Benoît Desprez3, dessinateur, a lui aussi mis en bulles le cancer du sein de sa compagne au travers de l'album « Chauve(s) ».

Lilly a baptisé son cancer « Günther », Alice a préféré l'appeler « Jean-Pierre »… Autant être familier avec son ennemi intime…

Fabien Reyal, chirurgien (Département de chirurgie oncologique, Institut Curie), avait imaginé cette rencontre. En découvrant ces BD, on perçoit la capacité de leurs auteurs à raconter de façon très personnelle leur cancer. En usant de l'humour, la vie « réelle » avec le cancer, bien que très dure, se voit quelque peu dédramatisée. Cela peut être aidant pour tous ceux qui vivent cette expérience de vie qui met à l'épreuve mais aider également les praticiens, les soignants en découvrant tout ce que l'on ne perçoit pas -et qui est pourtant si important- le temps d'une consultation ou d'une hospitalisation a t-il expliqué. Inutile de le rappeler, l'arrivée du cancer est un choc. Le moment de l'annonce du diagnostic change immédiatemment le statut de la personne qui devient alors « malade ». Alice Baguet l'a très bien exprimée : la deuxième épreuve est ensuite de l'annoncer aux autres. Pour moi, dans l'insouciance de ma jeunesse, je ne comprenais pas les larmes dans les yeux de mes proches, ni les sanglots dans la voix. J'avais une maladie et j'allais en guérir, c'était sûr. Très vite, je disais donc au téléphone, sans m'encombrer de mots inutiles : allo, ben j'ai un cancer !. Lilly Sohn, de son côté, n'a pas vécu les choses de la même façon : au début, j'avais honte, honte d'avoir un cancer. J'étais seule, désemparée et puis, je me suis lancée, j'ai ouvert un blog, anonymement d'abord, pour raconter. Je me suis vite rendue compte qu'une communauté autour du cancer existait, qu'il y avait d'autres blogs, des forums, des associations… Bref, la solitude était rompue, d'autres jeunes femmes vivaient la même chose que moi. Le dessin est alors vite devenu un exutoire.

On peut pas dire que ç'a été le coup de foudre tout de suite (ce n'était donc pas un cancer foudroyant). Mais on a appris à se connaître et au final, cette année-là, avec Jean-Pierre, on s'est bien marré. »
Alice Baguet

Benoît Desprez, pour sa part, a vu son couple chamboulé par l'arrivée de la maladie et pour lui aussi mettre le cancer à distance grâce au dessin s'est avéré salutaire. Je vivais le cancer par procuration, en quelque sorte, mais traverser l'épreuve à deux nous a permis de la vivre plus intensément encore et d'en rire, même dans les moments les plus durs. Un combat surmontée par la compagne de Benoît la tête haute mais surtout, la tête nue. Ce qui a valu à ce désormais « couple de chauves », de vivre moultes anecdotes propices à l’autodérision… Une sorte de « Chauve(s) qui peut ! »

User d'un humour à la fois tendre et mordant pour encaisser le séisme créé par la maladie cancéreuse »
Benoît Desprez

Elles et ils ont donc choisi de tout raconter, ne rien cacher : les traitements, la chirurgie, le bistouri ravageur, la chimiothérapie, la vie hospitalière, ses contraintes, ses incongruités, l'attente, les examens, les effets secondaires, les cheveux qui tombent, la libido qui s'envole, la fatigue qui plombe, l'estime de soi en partance, les nausées, les vomissements, les doutes, les angoisses, la peur de l'avenir, le regard des autres et soi au milieu de tout ça… Pour Lili, s'autoriser à être drôle est une nécessité, d'autant que le cancer, on ne le choisit pas. On peut donc choisir d'en parler comme on veut et d'en rire ! De plus, pendant qu'on dessine, qu'on imagine comment raconter la réalité de ce que l'on vit, on est pas - ou moins - malade, on est dans un dynamisme de création et cela fait du bien. On vit l'épreuve de la maladie avec ce que l'on est vraiment, on ne se cache pas. Alice rappelle qu'elle n' a pas produit son album lors de sa maladie. J'avais plutôt bien vécu cette expérience, je n'avais pas de séquelles psychologiques. A grande distance de cet évévement de vie, j'ai raconté le pire et le meilleur avec l'humour qui est dans ma nature. Le cancer n’est pas forcément un combat, triste et dramatique, ça peut, quand les conditions sont réunies, engendrer des trucs cools. Et même que le mien, c'était super drôle souvent. Cet album ne fut donc pas un exorcisme, ni même une thérapie, mon désir était de partager avec d'autres mon vécu, en montrant que si chaque cancer est différent, de nombreux « détails » sont communs à tous… Se sentir moins seul dans l'épreuve, ça aide, forcément.

Le cancer m'a désinhibée… Je n'ai plus peur d'être moi-même… »
Lili Sohn

Invité également de ces conversations autour du cancer, l'artiste Pozla (4). Atteint d'une maladie incurable des intestins - une maladie de Crohn - son album « Carnet de santé foireuse », pourtant très personnel, a eu une portée universelle, traitant de la maladie au quotidien, des attentes et des espoirs. Citant Georges Braque, il a souligné combien « l'art est une blessure qui devient lumière ». Oui, tous ces artistes atteints dans leur chair nous éclairent de leurs expériences, nous invitent à nous plonger dans le témoignage brut d'une épreuve de vie. Pour eux, le dessin s'avère être un puissant analgésique, et le discours qu'il propose dépasse tout ce que l'on pourrait en dire. Chacun peut ainsi retrouver ou entrevoir l'impact de la maladie sur le corps, la psyché, la vie. Nous ne pouvons que les en remercier, faire connaître leurs œuvres et les transmettre à autrui. Le pire peut parfois engendrer le meilleur.

Notes

  1. Lili Sohn, Tchao Günther, blog tchaogunther.com/ et collection La guerre des tétons (3 ouvrages : Invasion, 2015 ; Extermination, 2015 ; Mutation, 2016), Michel Lafon, http://tchaogunther.com/publications.
  2. Alice Baguet, L'année du crabe, 100 p, Editions Wraoum  mai 2015.
  3. Benoît Desprez, Chauve(s), La Boîte à Bulles, 2015
  4. Pozla, Carnet de santé foireuse , Delcourt, 2015

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com