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AU COEUR DU METIER

Edito - Qu’est-ce qui nous fait tenir ?

Publié le 01/12/2017
infirmière sourire

infirmière sourire

A l’heure où les étudiants en soins infirmiers tentent de faire entendre leur souffrance, à l’heure où des infirmiers se suicident, à l’heure où j’explique aux étudiants que j’accompagne qu’il faut entrer en résistance et crier haut et fort que le patient doit être notre seule préoccupation, à cette heure-ci, je me demande : mais qu’est-ce qui m’a fait tenir ? Qu’est-ce qui nous fait tenir ? Comment fait-on pour tenir au milieu de cette maltraitance au travail qu’on dit ordinaire ? Quel étrange oxymore que maltraitance ordinaire ! Et je me souviens.

Se souvenir des belles choses mais aussi des plus douloureuses, reconnaître les difficultés, les incohérences, les paradoxes mais simplement trouver de quoi alimenter sa force, son énergie pour se battre pour continuer à soigner.

Je me souviens que je suis là pour le patient. Je me souviens que sourire n’a jamais fait perdre de temps. Je me souviens qu’une main posée sur l’épaule, ça ne coûte rien, ça ne fait même pas perdre de temps mais qu’est-ce que ça réconforte, le soigné comme le soignant.

Je me souviens avoir fait la grève du papier pour tenir la main à une vieille femme en fin de vie, avoir été vertement sermonnée et avoir demandé très en colère - parce que j’estimais avoir fait mon boulot -  qu’on me flanque un avertissement que je n’ai jamais eu…

Je me souviens d’Anna qui m’a donné la force de devenir infirmière, vraiment, auprès de qui j’ai compris ce que prendre soin voulait dire et qui m’a ouvert les yeux1, 2

Je me souviens de la maquette de bateau que m’ont offert des parents dont le petit garçon de onze ans venait de décéder en salle d’opération, maquette qu’ils m’offraient parce que leur fils construisait cette maquette pour moi.

Je me souviens d’avoir pleuré avec des enfants qui venaient de perdre leur maman, et d’avoir pleuré avec leur papa qui venait de perdre sa « princesse ». Je me souviens m’être excusée de m’être laisser aller à ces larmes . Je me souviens de cet homme qui m’a pris dans ses bras me disant à quel point cela lui faisait du bien de savoir qu’un soignant était un être humain pétri d’émotions.

Je me souviens d’avoir ri, beaucoup ri, souvent ri avec des patients, avec des enfants malades, avec des familles, avec mes collègues.

Je me souviens avoir réconforté des patients, des enfants, des familles, des collègues et l’avoir été par les mêmes.

Je me souviens de cette jeune femme qui sortait de l’enfer héroïnomane à qui j’avais tenu la main une partie de la nuit pour l’apaiser qui m’avait dit : « merci, juste merci ».

Je me souviens de cette fin de nuit et de cette vieille dame qui s’étonne de me voir à cinq heures dans sa chambre, à qui j’explique que je ne dors pas la nuit puisque je travaille et qui s’indigne, qui s’offusque même, trouvant inhumain qu’on m’empêche de dormir. Elle me touche par sa naïveté, sa gentillesse et son indignation tellement spontanée. Elle illumine ma fin de nuit que je termine guillerette.

Je me souviens de cet enfant de dix-huit mois à qui j’ai fait mal, que j’ai perfusé, repiqué, à qui j’ai posé une sonde naso-oeso-gastrique, à qui j’ai enlevé des drains et qui me tend les bras et qui me fait un câlin, un vrai gros câlin pour me dire au revoir et de sa maman qui me plante deux bises sonores sur les joues en me remerciant d’avoir été douce et compréhensive. Mais surtout de toujours lui avoir expliqué à elle et à son fils ce que je faisais et de ne jamais les avoir exclus des soins. C’est ça le secret ! Toujours expliquer, ne jamais exclure. Prendre le temps même quand on pense ne pas l’avoir car ainsi, non seulement on n’en perd pas du temps mais en plus, on s’assure bien plus facilement la coopération des enfants et de leurs parents.

Je me souviens de cette petite fille de huit ans, opérée de l’appendicite, que personne ne vient voir et qui met ses chaussons sous le sapin de Noël, le 24 décembre en fin d’après-midi. Je me souviens du branle-bas de combat qui a suivi, du temps passé à voir qui, où, comment on allait faire pour mettre des cadeaux sous le sapin. Et, il y en avait des paquets sous le sapin le 25 au matin. Je me souviens de la fille d’une patiente qui avait vu cette petite fille mettre ses chaussons sous le sapin, qui était venue nous voir. Et cette petite fille a passé son Noël bichonnée par une vieille dame et ses enfants. Et je me souviens du sourire de cette petite fille qui le 25 au soir alors que je l’aidais à se mettre en pyjama me dit avec un immense sourire : « Ca y est, je n’ai plus mal ! »

Je me souviens qu’une équipe, une vraie équipe qui œuvre pour le bien-être des personnes qu’elle accompagne, c’est formidable.

Je me souviens de ce petit garçon qui me remercie de l’avoir perfusé du premier coup parce que comme ça, sa maman n’a pas pleuré et son papa ne s’est pas énervé.

Je me souviens d’Antoine. Je travaille de nuit. C’est l’été, celui de la canicule...  Il fait chaud, il fait beau. J’arrive dans le service très tendue, anxieuse, à reculons. En effet, la veille, un jeune patient, Antoine, quatorze ans, opéré d’une appendicite aiguë, perforée, avait mal et allait mal, très mal. J’arrive dans l’office où autour d’un café, d’une tisane, l’équipe de jour transmet à l’équipe de nuit. Mes collègues sont détendues, souriantes. Et m’apprennent qu’Antoine « va bien, super bien. Il a été réopéré, un volvulus du grêle. » Je me souviens de mon soulagement, de mon envie de rire, de chanter, de danser et d’aller prendre une douche parce qu’il fait vraiment très chaud. Une fois les transmissions faites, je file voir Antoine avant de faire quoi que ce soit d’autre. Et là, Antoine me sourit et me dit : « J’ai une surprise pour toi ! Quand je sonne, tu reviens. ». Je me sens immensément soulagée de le voir facétieux. Quand je reviens, sa maman est là. Elle arrive de la Martinique et m’offre des épices. Je suis émue aux larmes. Ce n’est pas le cadeau mais l’attention qui me touche, les remerciements. Et, je me souviens m’être senti à ma place, intensément à ma place.

Les difficultés du métier s’estompent, s’effacent dans ces moments de relation si particuliers et essentiels. Tous ces souvenirs sont forts et vivaces, et il y en a d’autres. Ils ont contribué à forger mon identité professionnelle mais surtout ils m’ont aidé à tenir. A tenir, parce je me savais à ma place, à ma juste place et il n’est pas question de la sacro-sainte bonne distance, distance professionnelle mais juste de sa place, sa juste place.

Il ne s’agit pas d’être naïf et de ne pas reconnaître les difficultés, les incohérences, les paradoxes mais simplement de trouver de quoi alimenter sa force, son énergie pour se battre pour continuer à soigner, à prendre soin, à bout de bras, à bout de souffle, à bout de cœur mais soigner, parce que c’est pour cela qu’on devient infirmier : pour prendre soin de ses semblables.

Nous accueillerons avec intérêt vos « Je me souviens », si le coeur vous en dit, si vous souhaitez, vous aussi les partager avec la communauté infirmière, laissez-vous aller à nous livrer vos émotions, et à nous les raconter. L'identité professionnelle infirmière n'en sera qu'enrichie.

Notes

  1. Concepts de soin - Le respect
  2. Concepts de soin - La tempérance

Sylvie ROBILLARDInfirmière, formatriceMembre du comité de rédaction Infirmiers.com slr1@orange.fr


Source : infirmiers.com