Il y a quelques jours, une photo représentant deux enfants qui marchent main dans la main dans les couloirs de ce qui semble être un hôpital a fait monter une levée de boucliers sur Twitter. Cette photo, devenue virale, a été partagée par @TheMedicalShots. Elle est accompagnée du commentaire suivant : "c'est mignon, n'est-ce pas !" Cela n'a pas été du goût de tout le monde et chacun y est allé de son commentaire faisant partir le sujet dans tous les sens... Sexisme, stigmatisation, représentations abusives, théories du genre... Tentons de revenir calmement sur l'affaire de la semaine et d'y porter un regard éclairé...
Là où certains n'ont vu que deux pitchouns trop choubidous qui s'aiment d'amour...
Il y a quelques jours, une photo représentant deux enfants qui marchent main dans la main dans les couloirs de ce qui semble être un hôpital a fait monter une levée de boucliers sur Twitter. Cette photo, devenue virale, a été partagée par @TheMedicalShots. Elle est accompagnée du commentaire suivant : c'est mignon, n'est-ce pas !
Là où certains n'ont vu que deux pitchouns trop choubidous qui s'aiment d'amour, d'autres n'ont pas manqué de s'interroger sur le caractère sexiste d'une photo où la petite fille porte une tenue rose d'infirmière en formation
et le petit garçon, une tenue verte de médecin en formation
...
Les tweets y sont allés bon train. La petite fille est peut-être un petit garçon !
, a argumenté untel... Le petit garçon est une fille !
, a affirmé unetelle sûre d'elle. Il n'y a pas de honte à revêtir une tenue d'infirmière pour une petite fille, y voir un quelconque problème ne fait pas honneur à la profession !
, a renchéri une autre. Pourquoi chercher à faire des polémiques là où il n'y en a pas ?
se sont demandés certains... Pourquoi la petite fille ne porte pas la tenue de médecin et pourquoi le petit garçon ne porte pas une tenue rose
s'est exclamé celui-là ? Il ne faut pas voir le mal partout
a tapoté fiévreusement celle-ci sur son clavier...
Les avis sur le sujet semblaient donc très partagés et porteurs de moultes réflexions sur la représentation de la femme, l'égalité entre les sexes et la théorie du genre. Aussi me suis-je mise en quête d'infos sur une question qui, à n'en point douter, fera encore débat très longtemps.
La Vie en Rose ?
Attaquons-nous tout d'abord au choix des couleurs, en l'occurence le vert et le rose pour ce qui nous intéresse. En communication visuelle, le vert représente la couleur de l'espérance, il invite au calme et au repos. Il est symbole de croissance, de santé, de fraîcheur et de nature. Il représente la stabilité et l’équilibre. Ah le vert, une valeur sûre, une épaule sur laquelle s'appuyer, du solide, du costaud qui donne confiance, nom de Diou !
Le rose, quant à lui, est synonyme de tendresse, de douceur et de bonheur. C’est la couleur du romantisme, de la féminité et de la compassion. On l’associe également à l’enfance. Ah le rose, les émotions à gogo, le fantasme de la femme-enfant, le côté fleur bleue ou rose, je ne sais plus, des kilomètres de guimauve et les kleenex qui vont avec !
Il s'avère que le rose ne serait pas une couleur anodine puisque son choix serait influencé par des normes culturelles : aux garçons le bleu et aux filles le rose ! Une étude américaine de Caroline Smith and Barbara Lloyd parue en 1978 a d'ailleurs démontré que les femmes se comportent de manière différente selon que leur enfant porte du bleu ou du rose. Les vêtements bleus laissant entendre qu'il s'agit d'un garçon, leurs mères opteraient donc plus facilement pour des activités physiques avec lui alors qu'avec un bébé habillé en rose, elles privilégieraient des jeux plus calmes. On s'interroge encore aujourd'hui sur le devenir des enfants de mères daltoniennes...
Une autre étude datant de 2011 (parue dans le The British Journal of developmental psychology) liée au développement précoce des préférences de couleurs stéréotypées a montré qu'après l'âge de deux ans, les filles commencent à préférer le rose tandis qu'à quatre ans, les garçons tendent à le rejeter.
En juin 2012, l’Inspection Générale des Affaires Sociales rend un rapport sur la socialisation des petites filles et des petits garçons dans le secteur de la petite enfance, dans l’objectif de renforcer, dès le plus jeune âge, l’éducation à l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes.
Ce document est sans équivoque : les systèmes de représentations qui assignent hommes et femmes à des comportements sexués sont un obstacle majeur à la promotion de l'égalité. A titre d'exemple, la posture du personnel dans les crèches qui parait, le plus souvent, extrêmement normée. Lors des activités, les petites filles sont directement expédiées dans le rayon balai, aspirateur, poupée et dinette tandis que les garçons se voient proposer des jeux comme les courses de voitures, la mécanique, les légos ou vis-ma-vie de super héros entre deux siestes. On constate alors également que ce sont des personnages masculins qui figurent sur 78% des couvertures de livres pour enfants.
Selon Catherine Vidal, neurobiologiste, C’est l’interaction avec l’environnement qui va orienter les goûts, aptitudes et contribuer à forger les traits de la personnalité en fonction des modèles du masculin et du féminin donnés par la société
.
Le Mythe du Stétho !
En 2015, Kelley Johnson, infirmière élue Miss Colorado et candidate à l'élection de miss América
fait un discours intitulé just a nurse
dans lequel elle met en lumière l'immense travail effectué chaque jour par tous les membres de sa profession. Devant un public conquis, elle se présente non pas en bikini ou en robe à frou-frou mais simplement vêtue de sa tenue d'infirmière avec pour seul accessoire un stéthoscope autour de son cou.
Quelques heures après son discours, les animateurs de l'émission matinale de grande écoute The view
ne manquent pas de faire polémique autour du costume
de Kelley et de son stéthoscope de médecin
indignant ainsi des milliers d'infirmières américaines. Les organisations infirmières n'ont d'ailleurs pas tardé à riposter en utilisant le hashtag #JustANurse
sur les médias sociaux pour exprimer leur colère face à ces conceptions archaïques de la profession.
Nous sommes les soignants de première ligne, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, nous sommes auprès de vous de votre naissance jusqu'à la fin de votre vie. Nous prenons soin des patients, de leurs familles et de leurs communautés
, a déclaré Pamela F. Cipriano, présidente de l'American Nurses Association. Les infirmières ne portent pas de costumes ; elles sauvent des vies.
a-t-elle ajouté...
Sandy Summers, titulaire d'une maîtrise en sciences infirmières et en santé publique de l'Université Johns Hopkins (2002), directrice exécutive du groupe de défense des soins infirmiers Truth About Nursing
et défenseuse des soins infirmiers aux États-Unis, a déclaré que les infirmières ne pouvaient remplir correctement leurs trois missions principales - soins cliniques, éducation des patients et défense des patients - car elles étaient mal comprises et sous-estimées.
Elle a ajouté que les infirmières devaient parler de leur importance, dénoncer les représentations actuelles et nouer des alliances avec d’autres infirmières, médecins et journalistes afin de favoriser une meilleure compréhension de la profession. Changer la façon dont les médias présentent les infirmières pourrait changer les points de vue de la société, améliorer la sécurité des patients, réduire le roulement du personnel infirmier et améliorer la santé publique.
Le Monde selon Angel Fernando !
Je ne sais pas qui est Angel Fernando, auteur de ce tweet-riposte et de ce montage photo, mais tout ce que je sais, c'est qu'il ou elle a d'emblée trouvé le chemin de l'égalité en remplaçant simplement les mots doctor
et nurse
par health professionnal
sur cette photo.
Le quotidien nous rappelle chaque jour que la partie est loin d'être gagnée en terme de parité homme/femme. Le sexisme a encore de beaux jours devant lui et il est évident que le travail est loin d'être accompli dans ce domaine.
Rappelons qu'en 2013, en Australie, les infirmiers de sexe masculin avaient des salaires 10 % plus élevés que leurs homologues féminins. Une autre étude réalisée aux États-Unis en mars 2015 révélait que les infirmiers gagnaient plus que les infirmières.
Selon une étude datant de 2017, basée sur un questionnaire réalisée par l'Intersyndicale nationale des internes, 86 % des internes en médecine estiment subir du sexisme ou en être directement victimes.
Alors, mignon ou pas mignon ?
Hâtez-vous lentement et, sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage.
(Nicolas Boileau - De L'Art poétique - Chant I )
Webographie
- 'The sexism on their backs is NOT cute': Seemingly-innocent image of a little boy and girl in medical outfits sparks a firestorm on Twitter
- This "Sexist" Image of a Young Boy and Girl Started a Huge Twitter Debate
- La signification cachée des couleurs en communication visuelle
- Pourquoi les petites filles préfèrent-elles le rose ?
- Rapport sur l’égalité entre les filles et les garçons dans les modes d’accueil de la petite enfance
- Les filles, les garçons et les théories du genre
- Nurses Portrayed In The Media
- Changing how the world thinks about nursing
- Male nurses earn more than female nurses
La Seringue Atomique
Cet article a été publié le 19 mars 2019 par l'infirmière blogueuse La Seringue Atomique que nous remercions de son talent d'écriture et de sa générosité à nous offrir le partage de ses chroniques.
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