Le nouveau référentiel de formation « doit permettre aux personnes formées d’acquérir et de développer des compétences ». Vaste programme ! qui demande aux équipes pédagogiques de revoir leur ingénierie de formation et de redéfinir leurs stratégies d’apprentissage.
La validation des U.E. (unités d’enseignement) et des U.I. (unités d’intégration) engage chaque acteur dans une dynamique de complémentarité. En effet, l’étudiant en soins infirmiers va devoir relier la théorie avec la pratique afin de « montrer » qu’il a atteint une compétence au regard d’une situation professionnelle.
Le formateur va devoir miser sur l’apprentissage par situations emblématiques puis par situations-clés pour permettre à l’apprenant d’abord de comprendre et ensuite d’agir avec des compétences professionnelles (une situation clé est une situation emblématique compliquée permettant de valider une compétence)
1. La formation théorique
1.1. Des unités d’enseignement aux unités d’intégration
Au niveau de la formation théorique, le référentiel de formation propose 4 types d’unités d’enseignement appelées U.E. :
- des unités d’enseignement de savoirs constitutifs des compétences infirmières,
- des unités d’enseignement dont les savoirs sont dits « contributifs » aux savoirs infirmiers,
- des unités de méthodologie et de savoirs transversaux.
- des unités d’intégration des différents savoirs et leur mobilisation en situation,
Prenons un exemple
Pour la validation de la compétence 3, accompagnement de la personne dans la réalisation de ses soins quotidiens, au premier semestre l’étudiant va avoir en termes de contenu :
Unité d’enseignement | Types d’unité d’enseignement |
---|---|
U.E.1.3. Législation, éthique, déontologie | U.E. de type « contributive » |
U.E.2.10. Infectiologie, hygiène U.E.4.1. Soins de confort et de bien-être |
U.E. de type savoirs constitutifs des compétences infirmières |
U.E. 5.1. Accompagnement de la personne dans la réalisation de ses soins quotidiens | U.I. de type intégrative des savoirs et posture professionnelle infirmière |
U.E. 6.1. Méthodes de travail | U.E. de type méthodologie et de savoirs transversaux |
Au fur et à mesure du déroulement de sa scolarité, l’étudiant en soins infirmier valide les dix compétences quand il valide les UE de type unités d’intégration (U.I).
Nous obtenons le lien suivant :
Semestre | Unité d’intégration | Compétence |
---|---|---|
S1 | U.E. 5.1. Accompagnement de la personne dans la réalisation de ses soins quotidiens | Compétence 3 |
S2 | U.E.5.2. Evaluation d’une situation clinique | Compétence 1 |
S3 | U.E.5.3. Communication et conduite de projet | Compétence 2 et 6 |
S4 | U.E. 5.4. Soins éducatifs et formation des professionnels et des stagiaires | Compétences 5 et 10 |
S5 | U.E.5.5. Mise en œuvre des thérapeutiques et coordination des soins | Compétences 4 et 9 |
S6 | U.E.5.6. Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles | Compétences 7 et 8 |
Les compétences 1 à 5 sont dites des compétences cœur de métier et les compétences 6 à 1O sont dites des compétences transversales.
Bien entendu, l’étudiant valide des compétences qui sont celles d’un débutant dans le métier et non d’un expert.
1.2. Le mot compétence
Arrêtons-nous quelques instants sur le mot compétence.
Qui dit compétence dit forcément la prise en compte de trois paramètres :
- un individu
- une situation professionnelle
- une action dans un contexte précis
Ainsi comme le propose Bellier : « la compétence permet d’agir et/ou de résoudre des problèmes professionnels de manière satisfaisante dans un contexte particulier en mobilisant diverses capacités de manière intégrée ».
Donc parler de compétence demande de mettre en dialogue la connaissance avec l’expérience. Pour cela, il est indispensable de travailler à partir de situations professionnelles afin de mettre des mots sur les activités réaliséesx. Ceci permettra de décoder les attendus du métier.
Pour établir un lien entre la théorie et la pratique, l’approche par situation est idéale.
2. Une situation professionnelle
2.1. Les différents types de situations
Il existe différents types et formes de situations professionnelles. Le formateur va concevoir son apprentissage par palier de situations afin de permettre à l’apprenant de puiser dans ses ressources pour répondre individuellement ou en groupe à une problématique posée.
L’étudiant doit impérativement se trouver en position d’agir. Donc en posture de questionnement et de recherche. Pour cela il est primordial que le formateur :
- lui laisse sa place,
- se retire,
- le laisse errer, chercher et trouver son propre chemin.
Trois grandes familles de situations se dégagent :
- des situations pour comprendre : qui vont mobiliser chez l’apprenant :
- son expérience antérieure,
- son vécu,
- son sens de l’observation,
- son questionnement par rapport à ses représentations….
C’est la phase de questionnement, d’interrogation.
- des situations pour acquérir : qui vont mobiliser chez l’apprenant :
- l’action,
- la pratique,
- le mettre dans le faire,
- enrichir son expérience…
C’est la phase de l’expérimentation, de la théorisation.
- des situations pour transférer : qui vont mobiliser chez l’apprenant :
- ses connaissances en action,
- ses capacités à décoder le contexte de travail,
- ses capacités à décoder les particularités de la situation
- son agir professionnel
C’est la phase qui confère la compétence.
Il ne faut pas entendre le mot « situation » dans le seul sens d’une histoire d’un patient racontée à l’étudiant et pour laquelle le formateur lui demande d’énoncer ses actions de soins infirmiers consécutives à son analyse. Il faut le comprendre comme la mise en œuvre de toutes les formes pédagogiques qui vont provoquer un questionnement chez l’apprenant, le poussant à réaliser une recherche pour trouver un sens à son activité professionnelle.
La créativité du formateur est en marche. « Finie » la reproduction de contenu que chacun peut trouver ailleurs et place à une autre forme d’apprentissage ! Mais n’est-ce pas là un des principaux rôles du formateur ?
Ainsi dans les différents instituts de formation en soins infirmiers, les équipes pédagogiques élaborent de nouveaux outils pédagogiques afin de faciliter l’apprentissage dans la logique d’acquisition de compétences, avec par exemple, la mise en place de la démarche réflexive.
Le formateur va choisir dans les trois niveaux de situations (comprendre – acquérir – transférer) celles qui correspondent le mieux au stade d’apprentissage de l’étudiant. Pour cela il lui est nécessaire de faire un petit détour par les composantes d’une situation. En effet, le formateur puis l’étudiant vont identifier les éléments qui sont incontournables pour valider la compétence ciblée.
2.2. Les composantes d’une situation
Lorsque nous observons un professionnel compétent travailler, tout semble « couler de source». Ses réactions prennent en compte le contexte de travail, elles sont adaptées à un patient donné, elles respectent l’organisation définie du service ; bref ! il est dans un agir professionnel dont il possède l’ensemble des clés.
Pour l’apprenant, la donne est différente. Il ne possède pas les codes de lecture de la situation qu’il observe. Alors comment l’accompagner, le guider dans l’agir d’une situation ?
Il me semble important de préciser au départ que chaque situation se déroule dans un cadre institutionnel, dans lequel interagissent différents acteurs ( par exemple, un apprenant, un formateur, un soignant).
Dans chaque situation deux paramètres centraux sont à décrypter :
- des éléments constants, qui sont :
- toujours présents dans une famille de situations,
- faciles à repérer,
- un gage de qualité des pratiques soignantes,
- retranscris dans les protocoles de soins ou les fiches techniques par exemple
- un code de lecture
- un guide pour les professionnels
- des paramètres pour l’évaluation d’un soin
Nous les appellerons les INVARIANTS d’une situation.
Par exemple, ce sont l’hygiène, la sécurité, la communication, l’ergonomie...
Ainsi comme l’écrit Vergnaud, l’apprenant doit « identifier l’organisation invariante de l’activité pour une classe de situations donnée » afin d’orienter et de guider son action de soin. Cela va lui permettre de « poser un premier diagnostic de la situation » et de « prélever l’information pertinente » pour réaliser une action adaptée au contexte de travail (Pastre).
- des éléments imprévisibles, qui sont :
- propres au contexte,
- imprévus,
- singuliers,
- non identifiables à l’avance
- nécessitent des codes de lecture
- demandent un décodage
Nous les appellerons les ALÉAS d’une situation.
Par exemple : Comme tous les matins, vous allez faire la toilette de Monsieur X, qui est toujours d’humeur joyeuse et vous le trouver prostré et en pleurs dans son lit.
C’est grâce à la prise en compte des invariants et des aléas d’une situation que le professionnel va développer son action dans un agir professionnel et donc témoigner de sa compétence.
Essayons de prendre un exemple :
Lorsque nous lisons un protocole de soins, aucun obstacle ne vient s’interposer. Il y a une absence totale d’aléas. Les invariants sont identifiés et transcrits sur le document final. Mais sa mise en pratique au lit d’un patient demande une adaptation tout en respectant la procédure établie. Le protocole devient alors un guide et demande une transposition dans la pratique soignante. Le soignant doit s’adapter au patient en respectant les règles établies, donc prendre en compte les aléas.
En action de travail, le professionnel compétent prend deux positions successives. Dans un premier temps :
- il se positionne dans un contexte donné,
- il utilise sa carte mentale pour lire la situation qui se présente à lui
- il identifie les invariants
- il réalise une analyse professionnelle.
Dans un second temps :
- il prend une position distanciée pour identifier la spécificité de cette situation.
- il établit une relation entre ses savoirs et l’activité
- il mobilise les données de sa mémoire pour transférer des informations utiles ayant servis dans une situation analogue
- il prend du recul
- il agit en professionnel
L’étudiant, lui, n’a pas ces codes de lecture. Le formateur va donc devoir lui apprendre à lire « la carte soins » et surtout à identifier les éléments immuables d’une situation (les invariants). Il sera assez tôt de le sensibiliser aux aléas dans un second temps.
La méthode pédagogique de prédilection pour prendre de la hauteur par rapport à une situation est la pratique réflexive. C’est à ce prix que pour avoir une pratique efficiente et efficace, l’apprenant pourra prendre en compte les aléas après avoir décodé les invariants.
2.3. Construire des situations d’apprentissage
Le formateur va ainsi construire des situations d’apprentissage. Nous pouvons faire un parallèle avec un photographe qui pour immortaliser un instant va saisir une posture, une mimique, bref ! un instant unique. Ainsi, chaque situation doit s’apparenter à un cliché unique dans un domaine donné, par exemple, le champ de la toilette ou de la réalisation de l’accueil d’un patient.
N’oublions pas que :
UNE SITUATION = UNE PHOTO = UNE COMPETENCE
Si nous revenons au référentiel de formation, dix compétences à valider, donc dix situations clés au minimum à élaborer pour l’étudiant.
Pour ouvrir le chemin de la compétence à l’étudiant, il est indispensable de mettre en place dans chaque unité d’enseignement des paliers d’apprentissage en lien avec les unités d’intégration. Concrètement, l’apprenant s’exerce sur des situations emblématiques de plus en plus complexes pour ensuite transférer ses connaissances dans une situation clé.
Une situation clé est une situation emblématique compliquée qui permet de valider une compétence.
Les équipes pédagogiques vont :
- faire le choix d’une compétence,
- établir une situation clé (au minimum),
- élaborer des situations emblématiques en lien avec les unités d’enseignement pour guider l’apprenant à repérer les éléments indispensables pour valider la compétence ciblée.
Ce travail de fond est passionnant et demande d’identifier les situations de soins les plus représentatives de l’activité soignante. Il faut donc que les formateurs travaillent avec les équipes soignantes pour inscrire les problématiques dans le contexte professionnel actuel.
2.4. Le travail en réflexivité
Le formateur va élaborer une situation obligeant l’apprenant à se questionner parce qu’elle lui pose un problème. La réponse n’est pas immédiatement lisible.
Le formateur impulse, fixe les règles puis « s’efface pour laisser l’apprenant chercher » (De Vechi).
Dans un premier temps, l’étudiant se questionne par rapport à la situation. Il essaie :
- d’identifier les invariants,
- de relier la théorie (ses connaissances) avec la situation
- de trier puis de choisir dans ses connaissances ce qui est en lien avec cette situation,
- de faire des liens entre la théorie et la pratique,
- de bouger ses représentations,
- de conceptualiser et théoriser.
A ce niveau, sa démarche correspond aux situations emblématiques en lien avec les unités d’enseignement propre à la compétence à valider.
Puis progressivement, l’étudiant se distancie, c'est-à-dire « établit une distance entre soi et son activité. Le sujet n’est plus immergé dans un problème mais se positionne face à un problème » (Leboterf).
Dans un second temps, l’étudiant est confronté à une situation plus complexe :
- il mobilise sa réflexion et ses acquis antérieurs pour construire de nouvelles intentions
- il transfère ses acquis à cette nouvelle situation.
C’est le but recherché dans la validation des unités d’intégration : il montre « qu’il sait y faire » dans une situation donnée en mobilisant une compétence appropriée.
Pour conclure, je vous propose de réaliser un petit test auprès des étudiants. A l’issue, du module uro-néphro par exemple, demandez leur de donner par écrit la position du rein dans l’organisme. Ils doivent à ce stade vous retranscrire la définition formulée lors du cours d’anatomie physiologie. Puis à tour de rôle et en individuel, demandez leur de vous montrer sur eux la localisation de leurs reins, et là les surprises commencent !
Sur le plan théorique, peu d’erreur. Ils ont appris par cœur leur cours. Mais savent-ils transposer l’apport théorique à une situation pratique ? La réponse est majoritairement non. Alors que vont-ils répondre à un patient qui les interrogera ?
Par cet exemple, je veux juste témoigner que la connaissance est indispensable mais que pour l’intégrer et la mettre en action, des étapes supplémentaires dans l’apprentissage sont indispensables. C’est pourquoi les étudiants doivent changer leur système de représentation : passer par l’expérience et non rester dans un « gavage » de connaissances. Le référentiel de formation engage chacun dans l’action des situations. Un virage qu’il ne faut pas manquer pour former des professionnels compétents.
Bibliographie
- De Vecchi. G, Un projet : enseigner par situations-problèmes – Paris- Ed. Delagrave, 2007
- Le Boterf G ., Construire les compétences individuelles et collectives : Agir et réussir avec compétences – Ed. Organisation
- Pastre P., Recherche en didactique professionnelle – Ed. Octarès
- Pastre P. et Rabandel P., apprendre pa la simulation : de l’analyse du travail aux apprentissages professionnels – collectif- Ed. Octarès
- Perrenoud. P, Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant – Paris – Ed. ESF, 5ème édition 2010
- Perrenoud. P, Construire des compétences dès l’école – Coll. Pratiques et enjeux pédagogiques, 1997
- Schon D.a., Le praticien réflexif. A la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Ed. Logiques, 1992
- Tardif J., Le transfert des apprentissages – Montréal – Ed. Logiques – 222 p., 1999
- Zarifian P. , Le modèle de la compétence – Ed . Liaisons
Isabelle BAYLECadre de santé formateur, Master 2 en ingénierie de la formation et des compétencesRédactrice infirmiers.comisabelle.bayle@ch-saverne.fr
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