Suivre son diabète, qu’il soit de type 1 ou de type 2, impose aux 422 millions de personnes qui sont atteintes aujourd’hui par cette maladie dans le monde de suivre une routine quotidienne : évaluer régulièrement sa glycémie, prendre ses traitements, adapter son alimentation et son mode de vie. L’avènement du numérique fournit aujourd’hui une opportunité pour insérer dans cette routine des solutions connectées, afin de suivre plus efficacement différents paramètres clés.
Aujourd’hui déjà, les personnes vivant avec un diabète sont des patients beaucoup plus connectés
que les autres malades chroniques. Ils génèrent par conséquent plus de données, en moyenne, que n’importe quels autres patients. Néanmoins, paradoxalement, ces données sont encore sous-exploitées pour améliorer le suivi médical et faire avancer la recherche.
Après le génome ou le microbiome, voici l’ère du digitosome
L’étude du génome (le matériel génétique d’un organisme), et, plus récemment, de l’épigénome (ensemble des marques apposées sur le génome, et qui régulent l’expression des gènes) ou du microbiome (ensemble des génomes des bactéries colonisant un organisme) ont produit ces dernières décennies de grandes quantités de données. De la même façon, les données générées en ligne par un individu, tout au long de sa vie, constituent un riche patrimoine pour la recherche.
C’est la raison pour laquelle notre équipe de recherche s’implique particulièrement dans le développement du concept de digitosome
à des fins de recherche médicale. Ce terme recouvre l’ensemble des données produites sur un individu. Elles proviennent des réseaux sociaux, des smartphones, de ses objets ou dispositifs médicaux connectés, etc.
Objets connectés et traqueurs d’activité améliorent les comportements
Les objets connectés tels que les traqueurs d’activité ou montres connectées, ainsi que les applications smartphones, ont fait preuve de leur utilité en prévention primaire du diabète de type 2 : ils favorisent l’adoption de comportements de santé visant à éviter l’apparition de la maladie. Ces objets incitent les individus à risque à faire plus d’activité physique, à adopter un régime alimentaire plus sain, les aident à améliorer la qualité de leur sommeil, etc.
Il est toutefois important de garder à l’esprit que ces outils sont seulement des facilitateurs et non des moteurs d’adoption de comportements plus sains. D’autres leviers d’action au changement doivent également exister, et prendre le relais au long cours, afin de maintenir les bénéfices. Il peut s’agir de développer les aspects ludiques (gamification), d’améliorer l’ergonomie ou l’expérience utilisateur, de renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté…
On observe également des bénéfices liés à l’utilisation d’outils connectés ou d’applications mobiles pour les personnes ayant déjà un diabète de type 2. Ces outils facilitent en effet le suivi au quotidien. Les patients qui les utilisent voient leur équilibre glycémique s’améliorer de façon significative par rapport à des personnes qui n’y ont pas recours.
Une mine de données à exploiter
La quantité de données sur le mode de vie des personnes diabétiques générées par ces dispositifs constitue une véritable mine d’or pour les chercheurs. En les analysant, ils peuvent mieux comprendre l’influence de facteurs modifiables, liés au mode de vie (alimentation, surpoids…), dans la survenue d’un diabète de type 2, ou des complications liées au diabète (maladies cardiovasculaires ou rétinopathies, des lésions de la rétine pouvant aboutir à la cécité). Des algorithmes d’intelligence artificielle (IA) utilisent déjà ce type de données afin de prédire la réponse glycémique d’un individu suite à l’ingestion d’un repas. L’ère de la nutrition personnalisée débute…
Aux objets connectés grand public s’ajoutent également de nombreux autres dispositifs médicaux connectés, spécifiques du diabète de type 1 ou de type 2, qui permettent de radicalement changer la façon de suivre la maladie. L’exemple le plus marquant récemment est celui du Freestyle Libre, un lecteur de glycémie flash qui permet par un simple scan (et bientôt simplement via Bluetooth) d’obtenir son niveau de glycémie, la tendance (augmentation, diminution) et l’historique sur les 14 derniers jours. On sait maintenant que les utilisateurs de tels dispositifs ont par exemple des risques plus faibles de développer une maladie cardiovasculaire que ceux qui suivent leur glycémie de façon traditionnelle
. Ceci s’explique notamment par le fait que la variabilité glycémique et la fréquence des hypoglycémies sont réduites. Le temps passé dans la cible
, c’est-à-dire avec des niveaux de glycémie optimaux, définis avec le diabétologue, est augmenté.
Là encore, la quantité de données générées par ces dispositifs ouvre de nombreuses perspectives en termes de recherche. Elle a d’ores et déjà permis d’identifier de nouvelles métriques à suivre pour les patients et les professionnels de santé, en complément des simples mesures de glycémie et hémoglobine glyquée (HbA1c), qui ne reflètent que trop imparfaitement la réalité de la maladie.
Les méthodes d’intelligence artificielle et la diabétologie
Si l’intelligence artificielle était une voiture, les données seraient le carburant. Les méthodes d’IA ont déjà largement pénétré le champ de la recherche médicale et la diabétologie ne fait pas exception. Les méthodes de deep learning
sont particulièrement bien adaptées aux données d’imagerie, et des algorithmes permettent déjà, à partir de fonds d’œil, de diagnostiquer et grader des rétinopathies diabétiques avec une fiabilité supérieure à un consensus d’experts.
Des développements en cours permettent également d’envisager, d’ici quelques années, la mise au point d’un pancréas artificiel performant, qui pourra prédire avec précision l’évolution de la glycémie en quasi-continu, et ainsi adapter instantanément la réponse en insuline nécessaire afin de soulager le quotidien des personnes diabétiques sous insulinothérapie.
Enfin, des algorithmes alimentés par de grandes bases de données de dossiers médicaux informatisés permettent de prédire le traitement optimal pour un nouveau patient dans un état clinique et symptomatique donné. Même si nous n’en sommes qu’au balbutiement, ces différentes avancées laissent entrevoir comment la pratique médicale va changer, avec l’adjonction d’assistants automatisés capables d’accomplir de nombreuses tâches – sans toutefois que ne se produise un remplacement complet par des machines.
Aujourd’hui, le grand défi est de parvenir à développer des algorithmes s’appuyant simultanément sur différentes sources de données (cliniques, génétiques, dispositifs connectés, smartphones, réseaux sociaux, dossiers médicaux, etc.) interopérables.
Intégrer les émotions des patients grâce au numérique
En complément de la pratique d’essais cliniques randomisés contrôlés, l’avènement des données en vie réelle
et du numérique a également permis le développement d’une nouvelle forme d’épidémiologie, à la frontière avec l’informatique médicale et la sciences des données.
De grandes études de cohorte, comme l’étude E4N, ont déjà fait le choix d’une collecte multisource (questionnaires en ligne, SMS, objets connectés, prélèvements de matériels biologiques). Demain en France, le Health Data Hub permettra également l’agrégation à l’échelle nationale de diverses sources de données pour optimiser l’utilisation des données médicales françaises. Mais un des enjeux actuels majeurs est d’intégrer le ressenti des participants et des patients dans ce type d’études.
En effet, les études actuelles sont plutôt performantes pour évaluer le mode de vie, les facteurs socio-économiques, les traitements et l’état de santé des participants, etc. Elles le sont moins pour prendre en compte les émotions et les facteurs psychologiques. Or on sait par exemple que les patients diabétiques qui vivent mal leur maladie et présentent un niveau élevé de détresse courent un risque plus grand de subir des complications et d’avoir une qualité de vie dégradée.
C’est la raison pour laquelle des projets hybrides voient le jour, comme le World Diabetes Distress Study. Celui-ci consiste en un suivi en ligne de cohorte de patients diabétiques combiné à une analyse automatisée des contenus partagés par les communautés mondiales de patients diabétiques sur les réseaux sociaux tels que Twitter. Cette approche permet de corréler les émotions des patients avec des critères biologiques ou cliniques plus objectifs. En France, les patients diabétiques peuvent devenir acteurs de recherche en participant à de nouvelles initiatives, par exemple l’étude ComPaRe ou encore le Diabète Lab.
Et demain ?
Nous entrons dans une ère où les patients diabétiques ne sont plus simplement caractérisés par une ou deux mesures récentes de glycémie ou d’hémoglobine glyquée, mais bien, potentiellement, par des milliers de valeurs de paramètres clés, qu’ils soient cliniques, biologiques, génétiques, émotionnels ou environnementaux. Générées par le numérique, ces données et les méthodes d’IA qui permettent de les analyser vont remettre en question la manière de concevoir les différentes formes de diabète et leurs prises en charge.
Ces nouvelles opportunités sont prometteuses, mais s’accompagnent également de leur lot de défis à ne pas négliger. Outre les enjeux technologiques, cette évolution doit surtout se faire systématiquement à la faveur du patient qui, grâce aux outils numériques, doit plus que jamais influer sur le suivi de sa propre maladie et des décisions qui y ont trait.
Limiter les inégalités sociales liées au numérique, garantir une approche éthique de l’analyse de ces grandes masses de données, améliorer la formation des professionnels de santé et des chercheurs, et faciliter l’appropriation de ces développement par les patients, font partie des grands enjeux d’aujourd’hui et de demain.
Enfin, l’arrêt de la recherche en silo
, le financement de projets de grande envergure et le développement de l’Open Data/Open Source en recherche médicale permettront d’accélérer les découvertes scientifiques qui auront un réel impact sur la vie des personnes vivant avec un diabète.
Cet article est adapté de la revue de littérature Digital diabetes : perspectives for diabetes prevention, management and research
publiée par Guy Fagherazzi et Philippe Ravaud dans Diabetes & Metabolism
.
Guy FagherazziChercheur en épidémiologie du diabète, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay
Déclaration d’intérêts : Guy Fagherazzi reçoit un financement de la Fondation MSDAvenir pour le projet World Diabetes Distress Study.
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