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Deux femmes, deux victimes, deux souffrances… une incompréhension

Publié le 06/10/2017
isolement

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Une altercation violente entre deux femmes à propos de maltraitance sexuelle pourrait se résumer à la simple idée qu’une personne agressée, jadis, devienne odieuse face à une consœur éclairant, à son tour, un parcours tout aussi douloureux… C’est bien sûr plus complexe que cela mais c’est surtout dommage car nous nous sommes éloignés du vrai débat, celui de la souffrance intérieure d’une personne vulnérable abusée. Prendre du recul eut été nécessaire pour construire un échange vers un processus qui restera, du coup, fidèle à son principe de destruction.

Tirer sur l'ambulance quand on est soi-même blessée… une attitude qui interroge les soignants que nous sommes.

Cela s'est passé dans l'émission « On n'est pas couché » diffusée sur France 2 le samedi 30 septembre dernier en deuxième partie de soirée. Sandrine Rousseau, Présidente de l'association Parler, association d'aide aux victimes de violences sexuelles, venait présenter son livre éponyme, racontant son vécu de victime de harcèlement sexuel alors qu'elle était secrétaire nationale adjointe du parti Europe Écologie Les Verts. Face à elle, deux chroniqueurs et écrivains : Christine Angot et Yann Moix

L'entretien croisé tourne très vite à l’altercation violente, entre Christine Angot, elle-même « survivante de l‘inceste » et Sandrine Rousseau, en larmes à l'issue de la séquence qui dure plusieurs dizaine de minutes.

Des points communs inconciliables…

A regarder pleurer Sandrine Rousseau, éprouvée par des épreuves récentes, j’ai réalisé combien la terminologie soignante aidait à comprendre les visions antagonistes de ces deux femmes en souffrance : l’une manquait certainement d’empathie, l’autre s’est défendue seule face un manque de sensibilité installé sur le plateau... Remettre en perspective ce débat opposant deux personnalités, deux époques différentes (Christine est née en 1959, Sandrine en 1972) m’a semblé incontournable pour évoquer la maltraitance sexuelle dite aussi abus sexuel qui n’a pas de frontière, pas de limite, pas d’âge, pas de genre, pas de fin.

« Je vous interdis de dire cela… » « Mais alors comment fait-on ? » « On se débrouille ! »

Ces deux femmes ont des points communs. Elles sont engagées sur le terrain social, politique chez l’une et littéraire chez l’autre. Elles utilisent toutes les deux la plume, ou le clavier, dans un style particulier et pour un public différent. Il y a aussi des traits opposants, comme leur personnalité, mais leur démarche touche un problème important et commun à toutes les femmes, celui de la souffrance intime, du respect de soi, du corps de la femme qui n’appartient plus juridiquement à l’homme. Je ne suis pas certaine que toutes les femmes soient au courant…

Une fin de non recevoir de la part d'une femme qui a souffert et qui n'écoute pas, qui ne reçoit pas la souffrance de l'autre…

Les souffrances ne doivent pas s'opposer...

Lors de leur échange, j’ai vu une femme plus âgée qui s’est construite dans un contexte où parler de l’inceste a été douloureux. Christine a été abusée dans son enfance où tout se faisait sous silence. A cette époque, la femme, la mère devenait même complice, obligée souvent de s'effacer, d'encaisser, ce fut le temps où rien ne pouvait se dire. Tu n’es pas contente? Tu n’as qu’à partir ; Il t’a touché ? Tu l’as cherché ! menteuse !; Tu as été abusée ? Woua, la honte et tu oses en parler ? Je ne vais pas retracer la chronologie des dates marquantes de l'histoire des droits des femmes mais nous venons de loin, de très loin, et nous savons toutes qu’il y a encore du chemin à faire, dans les familles, au travail, dans toutes les sphères de la société, à tous les âges et visiblement, à la télévision. Christine a souffert, à sa manière, Sandrine a le droit, elle aussi, de souffrir, et accueillir sa souffrance semble être la moindre des choses.

Lors de cette altercation, Christine a évoqué les clichés à la télévision, dans les documentaires, en refusant d'y participer - le paradoxe est qu'elle les alimente malgré elle  par sa présence sur un plateau de télévision -  mais néanmoins, et même si elle s'en défend, sa souffrance « est à vif », déchaînant la violence de ses propos… Elle est touchée, malgré elle ! Rappelons qu'en 1999, Christine Angot publiait « L'inceste », un livre qui n'a pas toujours été bien accueilli d'une part (une « auto-fiction » où les voix du personnage, du narrateur et de l'auteur s'imbriquent…) mais a aussi conduit à la publication de nombreux autres livres sur ce thème. Elle a donc contribué à délier les langues, à denoncer, à son corps défendant, ces violences sexuelles. Sandrine ne venait pas dans une démarche déballage de sa vie intime mais pour parler et partager son expérience et surtout inciter les femmes victimes de violences sexuelles à s'exprimer, à briser le silence ; une cause qui lui semble juste.

Même si elle s'en défend, la souffrance de Christine « est à vif », déchaînant la violence de ses propos…. Elle est touchée, malgré elle !

Définir l’invraisemblable

Dans la littérature professionnelle, universitaire, la maltraitance sexuelle concernait essentiellement  les enfants mais c’était faire abstraction de bien d’autres formes rendues visibles (verbales, physiques, sexuelles, psychologiques et institutionnelles…). L'Office québécois de la langue française a modifié sa fiche en 2016 pour renforcer ces dernières caractéristiques sans aucune hiérarchie :

  • l'abus sexuel fait référence à tout geste ou toute pratique de nature sexuelle d'une personne en autorité ou en ascendant à l'encontre d'un enfant ou d'une personne mineure ;
  • l'agression sexuelle se définit comme une infraction sexuelle grave, commise avec violence, contrainte ou menace ;
  • la maltraitance sexuelle se caractérise par les abus sur des adultes vulnérables comme les personnes âgées ou handicapées.

La maltraitance désigne généralement « tout acte accompli, ou à l’opposé non réalisé par des individus, des institutions ou la société dans son ensemble, et tout état qui découle de ces actes ou de leur absence et privent les enfants de leurs libertés ou de leurs droits et/ou entravent leur développement constituent par définition de mauvais traitements » (Gil, 1970). Pour André Ciavaldini et Marie Choquet, la maltraitance devient  un objet d’étude en France depuis la création en 1990 de l’ODAS : Office Décentralisé de l’Action Sociale. En 1993 cette dernière définissait l’enfant maltraité « comme celui qui est victime de violences physiques, cruauté mentale, abus sexuels, négligence lourde ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique ».

Les soignants, sans être des psychologues, savent ce que signifie l’expression « accueillir la parole de l’autre »

Un acte manqué qui interroge…

Je n’ai jamais milité pour les droits de la femme, mais j’en ai toujours profité, je peux donc remercier ces femmes qui se sont battues pour notre liberté et remercier ces femmes qui parlent, disent et pleurent tout haut ce que d’autres subissent loin des caméras. Les soignants, sans être des psychologues, savent ce que signifie l’expression « accueillir la parole de l’autre » l’écoute active, l’empathie, le non-jugement.

Cette terminologie, propre à la relation d'aide propose des outils pédagogiques mettant une personne vulnérable suffisamment en confiance pour évacuer, transformer, reconstruire son vécu. Tout le monde n’est pas soignant, mais si nous sommes submergés par nos émotions, par des affects, ce qui peut être naturel, nous devenons responsables de ce que nous en faisons.

La juste distance relève du langage du « prendre soin », comme la bientraitance, la bienveillance, encore faut-il être formé à cela…

Nous sommes nombreux à souffrir, d’une manière ou d’une autre, avec des blessures qui reviennent quand on voudrait les enfouir, avec nos peurs, tout ceci pourrait nous conduire à véhiculer de la haine. Existe-il une souffrance plus noble qu’une autre pour justifier un tel comportement agressif ? Les rouages du rapport dominant-dominé sont  interrogés, jouant ici de la forme pour s’extraire du fond. La juste distance relève du langage du « prendre soin », comme la bientraitance, la bienveillance, encore faut-il être formé à cela… Arriver à faire ce que nous disons et dire ce que nous sommes incapables de faire est un éternel décalage qui ne résiste pas aux tensions humaines, ce qui a néanmoins pour effet positif de révéler ce qui est caché. Lors de cet échange houleux, il eut été intéressant de discuter des femmes meurtries autour de la violence sexuelle pour argumenter véritablement, mais ce n’était sans doute pas l’objectif de l’exercice. Un acte manqué qui ne peut que nous interroger.

Christine PAILLARD   Ingénieur pédagogique Rédactrice Infirmiers.com  christinepaillard@gmail.com Auteur du Dictionnaires des concepts en soins infirmierswww.editions-setes.com


Source : infirmiers.com