Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

AU COEUR DU METIER

Déprescription, vous avez dit déprescription ?

Publié le 19/02/2018
qu

qu

infirmière libérale médicaments

infirmière libérale médicaments

Les ordonnances à rallonge, vous connaissez, d'autant chez les personnes vieillissantes qui cumulent moult traitements pour mille et un maux qui ne le méritent parfois pas… Alors une question se pose, d'autant à l'heure où les économies de santé sont au programme de nos décideurs, chacun des médicaments prescrits est-il utile ? Evalué en termes d'effets secondaires ? Quant aux interactions qui nécessitent parfois des hospitalisations ne sont-elles pas évitables ? … Le médecin traitant doit y veiller, la parole des patients doit être écoutée en la matière et l'infirmier(e) a toute sa place dans ce registre… La déprescription s'impose parfois. Explications.

« En tant qu’éducatrice de santé l’infirmière doit éclairer l’ensemble des patients sur l’importance de prendre en main leur traitement. » souligne Thierry Amouroux, infirmier.

Il est bon de le rappeler, la prise de médicaments ne doit pas se faire à la légère. La pharmacovigilance s'impose donc chez les professionnels de santé et plus précisément encore chez les prescripteurs. En effet, presque tous les médicaments entraînent des effets secondaires indésirables parmi lesquels figure une augmentation du risque de chute, notamment chez les plus de 60 ans. Alors si prescrire est dans la grande majorité des cas salutaire pour le patient, les praticiens doivent également penser à « déprescrire ». La déprescription signifie réduire ou arrêter les médicaments qui n’ont plus d’effets bénéfiques ou qui peuvent être nuisibles. Encadré par un médecin, le but de la déprescription est de maintenir ou d'améliorer la qualité de vie du patient.

La déprescription est un élément essentiel d’un bon processus de prescription – en effet, il faut savoir faire marche arrière quand on s’aperçoit que les doses sont trop fortes, ou même arrêter la prise de médicaments qui ne sont plus nécessaires.

Le médecin encore « tout puissant »  face aux âgés

La vigilance des patients - information oblige notamment via les forums et autres réseaux sociaux - est aujourd'hui de plus en plus importante sur le volet des prescriptions médicamenteuses. La plupart d'entre eux sont « éclairés », pro-actifs et peuvent interroger le médecin sur l'intérêt de telle ou telle médication. Cependant, les personnes âgées ont encore tendance à considérer le médecin comme « tout puissant ». De fait, remettre en cause ou discuter une prescription, ne correspond pas à leur état d'esprit. Autre problématique, quand les patients sont vieillissants, isolés et souffrant parfois de troubles cognitifs, il est alors difficile de recueillir leur parole afin d'évaluer le bénéfice/risque de leurs traitements.. Somnifères, anxiolytiques, antidépresseurs, anti-inflammatoires, vaso-dilatateurs, inhibiteurs de la pompe à pro-tons… la liste des médicaments prescrits peut s'avérer interminable…

Les infirmiers ont un rôle essentiel à jouer dans la démarche

Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI CFE-CGC), le rappelle : dans le cadre de son Code de Déontologie, l’infirmière à un rôle de médiateur entre le médecin et le patient âgé polymédiqué, avec son rôle autonome, en tant que praticienne, elle a une responsabilité dans le cadre d’une prescription médicale. En effet, l’article R 4312-42 du Code de la Santé Publique stipule que Si l’infirmier a un doute sur la prescription, il la vérifie auprès de son auteur ou, en cas d’impossibilité, auprès d’un autre membre de la profession concernée. En cas d’impossibilité de vérification et de risques manifestes et imminents pour la santé du patient, il adopte, en vertu de ses compétences propres, l’attitude qui permet de préserver au mieux la santé du patient, et ne fait prendre à ce dernier aucun risque injustifié.

Dans une publication d’octobre 2015 intitulée Mesurer la polymédication chez les personnes âgées : impact de la méthode sur la prévalence et les classes thérapeutiques, l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) soulignait que l’intérêt de prendre en compte tous les médicaments administrés est surtout lié à l’évitement d’interactions médicamenteuses ou d’accumulations d’effets indésirables potentiellement délétères pour le patient. Les chercheurs explicitaient le fait que les patients âgés polymédiqués (prenant 10 médicaments et plus par jour) résidaient davantage dans le nord de la France et dans quelques départements du Centre plutôt qu’à Paris. Cette disparité territoriale montre que le niveau d’implication du patient joue un rôle en la matière, or en tant qu’éducatrice de santé l’infirmière doit éclairer l’ensemble des patients sur l’importance de prendre en main leur traitement souligne Thierry Amouroux.

La mesure de la polymédication chez les personnes âgées est un enjeu majeur pour l’évaluation des politiques de santé publique visant à la réduire.

Prévenir et intercepter les erreurs médicamenteuses s'avère donc être une démarche de santé publique très importante. Véritable « conciliation médicamenteuse », elle repose néanmoins sur la transmission et le partage d’informations complètes et exactes entre les membres de l’équipe de soins et le patient tout au long de son parcours. La Haute autorité de santé (HAS)  a publié un guide pour faciliter le déploiement de cette démarche en établissement de santé, en lien avec les professionnels de ville. Les premiers bénéfices sont liés à la continuité et à la qualité des traitements. Ainsi, les traitements ne seront pas interrompus ou modifiés de manière inappropriée au cours de la prise en charge du patient. Et de rappeler qu'en France, les problèmes liés à la thérapeutique médicamenteuse sont à l’origine de 21,7 % des hospitalisations des personnes âgées, constituant aussi le premier motif des réhospitalisations.

Principales erreurs médicamenteuses répertoriées (selon la nature de l’erreur)

Sept natures d’erreur sont répertoriées :

  • l’erreur de patient ;
  • l’erreur par omission ;
  • l’erreur de médicament ;
  • l’erreur de dose avec surdose ou sous dose ;
  • l’erreur de modalité d’administration ;
  • l’erreur de moment d’administration ;
  • l’erreur de durée d’administration.

L'erreur principalement évitée grâce à la conciliation est l’omission d’un médicament, suivie des erreurs de dose.Les médicaments cardiovasculaires et les agents antithrombotiques sont les médicaments les plus souvent impliqués dans les erreurs interceptées.

Source – HAS

Une démarche relativement « neuve »

Le terme desprescription - et la démarche qui l'accompagne - est encore peu usité ici en France, même si le voit apparaître dans l'objet de certaines thèses en médecine comme dans celle d'Amandine Parney en 2015 et dont la conclusion dit ceci : Les différentes étapes du processus de déprescription nécessiteraient le développement des compétences essentielles en médecine générale. Ainsi, les voies d'amélioration de la déprescription consisteraient à : éduquer le patient à mieux connaître ses médicaments, parler de réévaluation d'ordonnance, éviter l'expression "médicament à vie", favoriser la non prescription, et les thérapeutiques non médicamenteuses, adopter une approche centrée sur le patient avec le recueil de ses attentes et la recherche d'une concordance, déprescrire progressivement avec un suivi et une notification dans le dossier et aux autres professionnels de santé, se responsabiliser et développer une réflexivité sur ses pratiques avec une prise de conscience de ses croyances erronées "défensives", gages de professionnalisme

Du côté nord-américain, des chercheurs du Réseau canadien pour la déprescription sont particulièrement actifs. C'est un groupe de leaders dans les soins de santé, de cliniciens, de décideurs, de chercheurs académiques et de défenseurs des droits des patients qui travaillent ensemble pour mobiliser les connaissances et promouvoir la déprescription des médicaments qui ne sont plus bénéfiques ou qui peuvent être nuisibles. Le Réseau édite des brochures d’information ciblées sur les risques de certaines classes de médicaments (antipsychotiques, antidiabétiques, somnifères…) afin d'informer les usagers et les rendre pro-actifs sur leur médication. L’Institut pour la sécurité des médicaments aux patients du Canada suggère également aux patients cinq questions à poser à propos de ses médicaments lors d’une consultation avec un médecin, une infirmière ou un pharmacien, particulièrement s'ils en prennent plusieurs quotidiennement :

  • Est-ce que des médicaments ont été ajoutés, supprimés ou changés et pourquoi ?
  • Quels médicaments ois-je continuer à prendre et pourquoi ?
  • Comment dois-je prendre mes médicaments et pour combien de temps ?
  • Comment vais-je savoir si mes médicaments agissent et quels effets secondaires faut-il surveiller ?
  • Aurais-je besoin de tests et quand dois-je prendre mon prochain rendez-vous ?

Autant de questions qui nécessite de la part du professionnel de santé de « passer en revue » l'ordonnance dans son entier afin de voir s’il faut arrêter ou réduire l’un ou plusieurs de ces médicaments. Une très belle démarche de santé publique, responsabilisante pour tous et qui devrait, espérons-le, faire école ici et ailleurs.

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com