Comme cela a été rappelé précédemment , l’hypnose, étant classée dans les méthodes psychocorporelles, s’inscrit naturellement dans le champ de compétence propre de l’infirmière, et ce après avoir suivi une formation adaptée. Voici donc, en toute logique, une vignette clinique qui va mettre en évidence son apport dans la prise en charge des nausées dans le cadre d’un traitement de chimiothérapie.
C’est lors d’une visite en fin de journée, pendant un soin technique (branchement de l’alimentation parentérale), que je vais engager la conversation vers une approche de l’hypnose. Depuis quelques jours, alors que les traitements sont prescrits et administrés, Henri est au plus mal, les nausées sont fortes, l’hypersalivation l’empêche même de parler. Il garde en effet dans la bouche une salive importante et crache régulièrement…Une nouvelle fois, il me dit que les traitements ne servent à rien, ils ne sont pas efficaces, existe-t-il seulement quelque chose qui pourrait le soulager… quelque chose d’efficace ? Je lui demande alors s’il a déjà envisagé un traitement, autre que médicamenteux, qui pourrait, peut-être, lui apporter un répit nauséeux et par là même un peu de repos.
Si vous avez une solution miracle, je veux bien !
Non, la solution miracle je ne l’ai pas. Cependant, je peux vous proposer une séance d’hypnose qui pourrait vous permettre de réduire vos nausées et sans doute vous apporter un mieux-être.
Pas de réponse du patient. Je poursuis mon soin, termine et prend congé, à demain bonne nuit…
. Le lendemain, alors que je suis en repos, Henri me téléphone et me dit qu’il a discuté avec sa femme et sa fille de la possibilité de faire une séance d’hypnose… je veux bien essayer
, mais pour l’instant, il se concentre sur sa quatrième cure qui arrive dans quelques jours, il prendra un rendez-vous plus tard. Ce rendez-vous est effectivement programmé une semaine plus tard (J+7 de la quatrième séance de chimiothérapie) »
Henri et son état nauséeux qui ne cède pas…
Henri est un homme de 68 ans, marié. Il a une fille de 40 ans et deux petits-enfants. A la retraite depuis quelques années d’une carrière de militaire (marine), il a occupé son temps libre en restant actif et en faisant de petits boulots aussi divers que variés. C’est ainsi que je passais mon temps pour ne pas m’ennuyer
dit-il. Sa femme est à la retraite également. Ils vivent dans leur maison à la campagne. Nous intervenons (mon associé et moi-même) chez ce patient depuis deux mois dans le cadre d’un suivi de renutrition par voie parentérale à la suite d’une perte de poids importante après les trois premières cures de chimiothérapie qu’il a débuté suite à un cancer du pancréas diagnostiqué au printemps.
Malgré les thérapeutiques prescrites, Henri présente un état nauséeux quasi permanent, il vomit plusieurs fois par jour. Il souhaite que son état de mal-être soit amélioré. Henri est un patient que j’ai pris en charge, en exercice libéral, dans le cadre d’une prescription médicale de perfusion parentérale et administration des thérapeutiques antiémétiques. C’est au cours d’un bilan d’évaluation et devant l’insatisfaction du patient quant à l’efficacité des traitements que la conversation s’oriente vers d’autres possibles, je lui demande s’il avait déjà envisagé une autre approche non médicamenteuse.
Malgré les thérapeutiques prescrites, Henri présente un état nauséeux quasi permanent, il vomit plusieurs fois par jour. Il souhaite que son état de mal-être soit amélioré.
"Étant classée dans les méthodes psychocorporelles, l’hypnose s’inscrit naturellement dans le champ de compétence propre de l’infirmière, en complémentarité parfois d’une pratique médicale".
Olivier Vasseur, Infirmier libéral, Hypno praticien, a présenté une conférence sur la pratique infirmière et l'hypnose lors de l'édition des JNIL 2019, les 23 et 24 septembre, à La Villette (Paris). IL est revenu sur les fondamentaux pour se poser une question : pourquoi l’hypnose somatique fait partie intégrante du soin infirmier ? En effet, pour lui, la pratique infirmière est une pratique qui utilise des informations, issues de la recherche en soins infirmiers et d’études systématiques, permettant d’identifier les déterminants et facteurs qui influencent les besoins de santé et de soins ainsi que des interventions qui s’avèrent les plus efficaces pour y remédier dans un contexte et un ensemble des patients donnés. Dans la pratique quotidienne, les infirmiers s’appuient sur l’éthique du soin en questionnant les choix thérapeutiques raisonnés et personnalisés. Le raisonnement clinique infirmier est la clé de toute prise en charge, de la douleur à une prise en charge plus globale, somatique.
Le débat engagé actuellement autour de la compétence infirmière en hypnose, ne devrait servir que les patients qui sont de plus en plus nombreux à rechercher une autre voie au soin classique. Étant classée dans les méthodes psychocorporelles, l’hypnose s’inscrit naturellement dans le champ de compétence propre de l’infirmière, en complémentarité parfois d’une pratique médicale. Une formation solide, adaptée aux compétences infirmières et reconnue par les instances concernées par le sujet devrait pouvoir entériner une discussion stérile. Plusieurs textes ainsi que des associations de praticiens en hypnose sont en train de s’organiser en ce sens. Espérons que ce soit pour le bien des patients au risque de laisser se développer une activité non maitrisée organisée par des non professionnels de santé.
Recueil de données
Voici le recueil de données effectué pour étayer le raisonnement clinique.
Etat de santé actuel : Henri dit être cancéreux. Ils m’ont découvert un cancer du pancréas, il y a quelques mois
.
Traitement et soins actuels : Je suis sous chimiothérapie, c’est ma 3ème cure
. Il dit ne prendre aucun traitement autre car il ne supporte pas
et que ça ne lui fait rien
, ce n’est pas efficace pour ce qu’il a
… Pour autant, Henri bénéficie de prescriptions médicamenteuses en vue d’atténuer les effets indésirables de la chimiothérapie.
Vécu de l’état de santé, habitudes de vie : l’annonce de sa maladie a été pour lui un instant qu’il n’a toujours pas accepté. La parole est rare, reste difficile, il faut lui arracher les mots
pour essayer de maintenir un certain niveau de communication dans le cadre de la relation de soin. Depuis qu’ils m’ont découvert mon cancer, j’ai la nausée en permanence. C’est pire les jours de la chimiothérapie
. Henri dit qu’il n’a aucun répit dans les nausées
. Quoiqu’il fasse il a la nausée, il a perdu plus de 5 kg dernièrement, il ne peut rien mettre à la bouche, tout l’écœure
. De plus les nausées l’empêchent de dormir
, il dit être fatigué
.
Environnement humain : Henri vit avec sa femme dans une petite maison en milieu rural. Sa femme est très présente et aux petits soins pour son mari. Fumeurs tous les deux, l’atmosphère est marquée par un voile jaunâtre qui s’est déposé dans toute leur maison. Henri reste chez lui toute la journée. Il n’a pas de loisir particulier, pas d’envie. Quand j’arrive chez lui le soir, il est assis dans le fauteuil, un seau près de lui, la nausée présente et le vomissement à portée… A ma question Comment s’est passée votre journée
, il me répond toujours à peine…, comme d’habitude, j’ai des nausées
.
Dépendance, Devenir (projet de soins) : en terminer avec ça, de toute façon ça ne marche pas
, dit-il en jouant sur son téléphone mobile à Candy Crush1. J’aimerai bien ne plus avoir cet état de nausée mais rien de marche.
Evaluation de l'état nauséeux
Provocation du symptôme : à la question, qu’est ce qui, selon lui, provoque cet état, Henri dit que c’est la maladie, son cancer du pancréas.
Quantité : quelque chose de fort, permanent.
Région : zone abdominale et arrière gorge…comme un aller-retour.
Sévérité du symptôme : ces nausées m’empêchent…, je ne peux rien faire, rien manger, rien boire, je suis paralysé, fatigué.
Temps : pas de moment précis de la journée, cette sensation peut arriver…j’attends !
Diagnostics infirmiers2
Nausées
Caractéristiques : aversion pour la nourriture solide et liquide, hypersalivation, goût aigre dans la bouche, augmentation des mouvements de déglutition ;
Facteurs favorisants : liés au traitement : effets de la chimiothérapie et liés au contexte : anxiété
Objectifs de la séance d’hypnose
Permettre à Henri de réduire ou éliminer les stimulus nuisibles pour retrouver un état de mieux-être et qu’il puisse trouver des moments de repos au cours de la journée
La séance d'hypnose
Suggestion Safe-place et métaphore
. Henri me reçoit chez lui, en dehors d’un soin programmé. Il propose que nous fassions la séance dans la chambre d’ami, j’approuve son choix.
Observation : la chambre d’ami est une pièce neutre
, cela permet déjà de changer de lieu, de quitter le fauteuil du salon ou le lit de sa chambre à coucher beaucoup trop imprégnés de l’état de mal-être de Henri. Je lui demande de repréciser ses attentes quant à cette séance d’hypnose. Il souhaite réduire les nausées pour lui permettre de trouver un peu de repos
. Henri est maintenant assis sur un canapé, je suis assis sur une chaise, face à lui. Après avoir confirmé son désir de faire une séance d’hypnose, je demande à Henri de s’installer le plus confortablement et de fixer un point fixe (induction indirecte) et au rythme de sa respiration, de continuer à fixer ce point qui devient de plus en plus flou.
Observation : les haut-le-cœur sont très présents, à tel point qu’il n’arrive pas à se concentrer sur un point fixe. Je décide donc d’abandonner cette technique et opte pour une induction plus rapide (induction flash/directive)3. Toujours confortablement installé, je lui propose de fixer un point sur ma main et …plus vous fixez ma main et plus vos paupières sont lourdes et fatiguées… plus ma main s’approchera de votre visage et plus vous aurez des sensations hypnotiques…vos yeux suivent le point à l’intérieur de ma main…vos yeux continuent de suivre et de fixer le point que vous avez choisi à l’intérieur de ma main…vos paupières sont de plus en plus lourdes et fatiguées, votre vue se trouble d’avantage… et encore d’avantage… plus j’approche ma main et plus vous sentez votre corps entrer en trans hypnotique… je vais compter jusqu’à 3 et vos yeux vont se fermer
.
Observation : visiblement, cette technique est plus pertinente au regard de la situation douloureuse. Henri a fini par fermer les yeux, ses épaules se relâchent, il commence à se détendre. Voilà, c’est bien, c’est très bien… (pause), et comme vous devez sans doute le ressentir, ce calme qui vous gagne…progressivement…calmement…
(pause).
Observation : profitant de ce moment de répit, j'enchaîne rapidement pour amener Henri à chercher ou à se créer un lieu de sécurité (safe-place) afin de le reconnecter à un sentiment de sécurité intérieure.
Vous pouvez laisser vagabonder votre esprit… vers un lieu où vous pouvez vous sentir bien… un lieu qui existe… ou que vous inventez… un lieu qui est parfait à vos yeux… avec une lumière particulière… une couleur…
. Tout en gardant les yeux fermés, Henri me signale qu’il ne voit rien, Ok très bien… mais peut être que dans ce rien, vous pouvez percevoir quelque chose… une couleur…
C’est tout noir
répond Henri.
Très bien… très très bien… peut-être que votre esprit inconscient préfère travailler dans le noir… à l’abri des regards… secrètement… c’est un peu comme au théâtre… tout ne se joue pas sur la scène, en pleine lumière… bien au contraire… derrière les décors, il y a les coulisses, plus sombres, presque noire et il y a beaucoup d’activité dans ce noir… un peu comme votre inconscient… qui travaille en arrière-plan, dans le noir…
(pause).
Observation : Henri semble plus serein, il ne présente plus de haut-le-cœur, son visage est moins crispé, les traits sont apaisés, détendu … et je ne sais pas si vous vous êtes rendu compte que depuis un certain temps… au fur et à mesure que je vous parle… que vous m’écoutez ou non…vous êtes plus détendu… plus calme… au fur et à mesure que vous installez dans ce noir si reposant… ma voix vous accompagne… dans cette tranquillité… calmement… très calmement… et que vous avez enfin atteint cette tranquillité que vous attendiez depuis des mois… (pause) Je vous laisse vous imprégner de cette sensation…
(pause).
Je vous propose maintenant d’associer un geste à votre état de bien-être. Par exemple, faire se rejoindre votre pouce et votre index, comme pour former un anneau…comme un anneau de bateau, vous savez… et justement ce geste s’appelle un ancrage… comme l’ancre d’un bateau… vous connaissez cela… ce bateau qui a tant navigué… qui a peut être connu des mers avec une succession de hauts et de creux de vagues… ce bateau qui a peut-être… sans doute… essuyé des tempêtes et qui maintenant se retrouve dans les eaux limpides… transparentes… calme… ce bateau que l’on veut maintenir en position… au calme… cette ancre que l’on jette à la mer… nécessaire pour que l’équipage puisse prendre un peu de repos bien mérité…
(pause).
Observation : Henri fait le geste, son visage est toujours détendu, il ne présente pas de nausées.
Et à chaque fois que vous ferez ce geste, vous pourrez retrouver ce moment de tranquillité… de quiétude… de calme… de bien-être… que vous éprouvez en ce moment… comme ce bateau qui a enfin trouvé son port d’ancrage…
(pause).
Retour : Et tout doucement…, à votre rythme, je vous propose maintenant de reprendre contact avec votre corps, dans cette pièce, sur ce canapé, dans cette chambre, les pieds bien au sol, vous pouvez sentir votre corps au contact des coussins de votre canapé, entendre de nouveau les bruits alentours… et progressivement venir me rejoindre en conservant avec vous cet état de bien-être… ou le conserver secrètement comme vous le souhaitez… et revenir encore… ici et maintenant…jusqu’au point de réouvrir vos yeux et d’être bien là.
Feed-back : alors qu'Henri reprend doucement contact avec son corps, je constate qu’il est toujours détendu et qu’il ne présente plus de signes de nausées. Nous sortons de la pièce pour aller à la rencontre de son épouse qui est restée dans le salon. Alors ?
demande-t-elle à son mari. Ça marche pas sur moi, j’ai toujours la nausée…
. Surpris par la différence entre les propos d'Henri et son nouvel état, je constate en effet que les nausées réapparaissent. Je lui propose alors de refaire une induction en présence de sa femme. Il accepte, ferme les yeux et malgré ses dires, joint spontanément le pouce et l’index pour retrouver son ancrage, replonge instantanément dans ce noir qui lui avait procuré le répit recherché. Ses traits se détendent, les nausées disparaissent de nouveau. Je le laisse profiter de cet instant et l’invite à bien constater l’état dans lequel il se trouve à ce moment précis. A peine sorti de sa transe hypnotique, Henri dit : Eh bien vous voyez, ça marche pas sur moi !
. Son épouse, surprise, me regarde, interrogative. J’explique à Henri qu’il est compliqué pour le cerveau de prendre conscience d’un nouvel état surtout lorsque l’état de mal-être perdure depuis si longtemps4. Pour autant, je lui remarquer qu’il arrive très bien à réduire ses nausées (objectif initial atteint), et ce de façon autonome. Sa femme lui confirme, ce qu’elle a pu observer. De nouveau, j’insiste pour qu’il reproduise cet état de bien-être autant de fois que nécessaire. C’est par la répétition des transes hypnotiques qu’il arrivera à trouver le répit qu’il recherche, tout comme un sportif de haut niveau qui n’obtient de résultat qu’à force d’entraînements. Pendant ce discours, Henri m’a fixé du regard, hochant parfois très légèrement la tête. Je lui demande s’il est prêt à faire ce que je lui propose. Il me répond par l’affirmative. En prenant congé d'Henri, je m’aperçois qu’il a gardé son ancrage, le pouce et l’index sont joints.
C’est par la répétition des transes hypnotiques qu’il arrivera à trouver le répit qu’il recherche, tout comme un sportif de haut niveau qui n’obtient de résultat qu’à force d’entraînements.
Notes
- Candy Crush, jeux de tableau
casse-tête
, développé et adapté pour les systèmes d’exploitation téléphone mobiles, 2010. - Lynda Juall Carpenito. Manuel de diagnostics infirmiers. 14 e éd. Canada : Elsevier Masson ; 2016.
- Induction rapide de Gaston Brosseau.
- Peplau, H., Relations interpersonnelles en soins infirmiers (traduction de l'édition américaine de 1988 par Anne Pietrasik), InterEditions, Paris, France, 1995
En savoir plus sur l'hynose
- Intérêt de l'hypnose dans la pratique infirmière
- Aide-mémoire - Hypnose en soins infirmiers
- L'hypnose fait ses preuves en matière de cardiologie interventionnelle
- L’hypnose et la fibromyalgie : le rôle clé de l’infirmière
- Hypnose aux urgences : "moins de chimie, un gain de temps"
- L’hypnose, une science exacte ?
- « Avec l'hypnose, on est pas dans la psychothérapie...»
- L’hypnose, rempart contre la douleur à l’hôpital
- L'hypnose conversationnelle, ça vous parle ?
Pascal VASSEURInfirmier libéral, La Crau (83) pascalvasseur1@free.fr
Olivier SERANTONIInfirmier libéral, La Crau (83) cabinetinfirmierserantoni@gmail.com
XX
IDEL
Vidéo - "Avec un enfant, il faut savoir être enveloppant"
INTERNATIONAL
Infirmiers, infirmières : appel à candidatures pour les prix "Reconnaissance" 2025 du SIDIIEF
HOSPITALISATION A DOMICILE
Un flash sécurité patient sur les évènements indésirables associés aux soins en HAD
THÉRAPIES COMPLÉMENTAIRES
Hypnose, méditation : la révolution silencieuse