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AU COEUR DU METIER

De l'importance du jugement clinique infirmier

Publié le 29/11/2017
dossier médical patient

dossier médical patient

L’examen clinique infirmier est un élément incontournable dans notre pratique soignante et pourtant il peut prendre des formes différentes d’un professionnel à l’autre. Parfois vu comme un outil, d’autre fois comme une philosophie de soin, il semble avant tout représenter les valeurs soignantes qui bordent notre profession. Pour certains d'entre nous, il permet d’orienter le médecin alors que pour d’autres il est garant de notre autonomie professionnelle. Tentative de décryptage de l'examen clinique infirmier dont la finalité est d'objectiver au plus juste les besoins de la personne malade.

L’évaluation clinique infirmière va déterminer la capacité d’adaptation et de prise en charge du patient face à un projet de soins.

Selon Odette Doyon1, l'examen clinique est effectué auprès de la personne et comprend l'histoire de santé ou entretien clinique et l'examen physique. L'objectif étant de rechercher l’anamnèse des problèmes. L’entretien clinique2 est la capacité de s’adresser à l’autre en tant que sujet et non comme un objet d’étude ou une simple pathologie. C’est un processus social s’intégrant dans une prise en charge spécifique lié aux soins. La clinique va s’assurer de dimensionner l’entretien à l’être humain en tant que sujet en interaction avec un environnement social. Cet entretien est défini dans un objectif de prise en charge où la place de chaque interlocuteur doit être déterminée. C’est un échange structuré qui s’intègre à part entière dans le raisonnement clinique. Une troisième dimension peut compléter la collecte des données en incluant les examens complémentaires. Si l'infirmier à une obligation de moyens, d'un professionnel à l'autre nous pouvons spécifier des symptômes différents. Dans un objectif de recueillir un maximum de données, l'infirmier va collecter des informations subjectives, les symptômes, et des informations objectives, les signes cliniques. Ces derniers permettront d’objectiver la prise en charge d'un soignant à l'autre car le langage commun est la pierre angulaire de cette collecte de données. L'objectif étant d'évaluer l'état de santé de la personne ainsi que son adaptation à cette situation en recueillant des données subjectives et objectives.

La question de la collecte des données

La grande majorité des études s’intéressent aux techniques et méthodes d’examen physique de la personne sans détailler les mécanismes qui interagissent dans la collecte des données initiales. Cette étape est pourtant indispensable car l’approche holistique du métier d’infirmier va permettre de considérer le sujet dans l’ensemble des paradigmes facilitant la construction d’un raisonnement clinique complexe mais exhaustif. Cette étape est déterminante et influencera la construction de l’examen clinique infirmier. L’approche holistique déclinée par les infirmiers permet de prendre en compte les attentes des patients et de leur famille. Une quatrième dimension vient compléter cette collecte des données en intégrant la famille ou les aidants naturels.

L’ENA (Emergency Nurses Association, 1999) et l’ANA (American Nurses Association, 1998), définissent les normes cliniques et établissent des indicateurs de compétences. Une norme clinique est un énoncé mesurable qualitativement ou quantitativement. Les normes n’ont pas pour objectif d’être opposables mais permettent de mieux cerner les attentes en formation. On retrouve ainsi la norme clinique « collecte des données » où le processus est déterminé comme suivant :

  • les types de collecte des données ;
  • les sources et les types de collectes de données ;
  • la perspective adoptée par l’infirmière dans la réalisation de la collecte de données ;
  • la nature des données recueillies ;
  • la documentation et la communication des résultats de la collecte des données.

Conjuguer approches cliniques médicales et infirmières

L’activité d’évaluation clinique va être axée sur les dimensions physique, sociale, culturelle et spirituelle. L’évaluation clinique infirmière se distingue de l’évaluation médicale. En effet, tandis que l’évaluation médicale, axée sur l’effet physiologique de la maladie et des traitements médicaux, vise à établir un diagnostic médical, l’évaluation infirmière va déterminer la capacité d’adaptation et de prise en charge du patient face à un projet de soins. L’évaluation de la compréhension de la situation du patient face à ses problèmes de santé, réel et potentiel, seront importants dans la construction du parcours de soins. Les deux approches cliniques - médicale et infirmière - sont complémentaires et vont se nourrir mutuellement pour répondre aux mieux aux attentes du patient. Il faut ainsi développer le jugement clinique. Les grilles d'évaluation n'ont d'intérêt que pour appuyer le jugement clinique du professionnel. La systématisation de l'utilisation d'une échelle reconnue risque de faire perdre la démarche clinique du professionnel de santé au profit d'une protocolisation du soin. Nous pouvons dailleurs donner comme exemple l’évaluation de la douleur, propre à chacun. Une entorse de cheville et une fracture du fémur peuvent avoir la même cotation de douleur. Un protocole de soins d’urgence déterminera ainsi la même prise en charge pour des situations vraisemblablement différentes alors que le jugement clinique du professionnel de santé pourrait permettre d’adapter la prise en soins de façon individualisée.

Nous pouvons d'ailleurs retrouver l'acronyme PQRST qui est largement utilisé dans l'examen clinique infirmier avec des versions qui peuvent diverger comme le PQRSTU. Selon Bates3, l'enjeu n'est pas de démontrer quel outil est le plus performant mais d'assurer la recherche de 7 attributs :

  • localisation ;
  • qualité ;
  • quantité ou sévérité ;
  • délai, fréquence, durée ;
  • setting ;
  • facteurs de gravité ou qui réveille les symptômes ;
  • manifestations associées.

Quid du jugement clinique infirmier

L’entretien clinique doit s’adapter aux particularités physiques, psychologiques, sociales et culturelles de la personne ainsi qu’à son stade de développement. Le biais retrouvé dans la littérature est l’approche par système qui ressemble plus à un entretien médical ciblé sur la pathologie. L’état mental du patient est peu évalué et l’histoire de santé est incomplète. Un deuxième biais retrouvé dans la littérature est de considérer l’examen clinique infirmier comme une aide diagnostique aux médecins avant d’être une étape essentielle pour construire le projet de soins du patient. La collecte des données est avant tout faite pour construire l’intervention des infirmiers auprès de la personne soignée. Le jugement clinique favorise la qualité et sécurité des soins en déterminant les besoins de santé, en priorisant les actions de soins et en individualisant les parcours. Selon Lillibridge et Wilson (1999)4, l’adoption d’une perspective biomédicale axée sur la pathologie et les traitements n’est pas compatible avec le rôle proactif et plus holistique de prévention et de promotion de la santé de l’infirmière. De plus, cette vision perpétue la croyance que la pratique infirmière découle de la pratique médicale (Lillibridge, Wilson, 1999).

Objectifs du jugement médicalObjectifs du jugement infirmier

Le jugement médical conduit à :

• Identifier la maladie
• élaborer un traitement 
approprié 

• Guérir les symptômes 

• Éviter les complications 

• Empêcher les récidives 

• Minimiser les séquelles 
de la maladie

Le jugement infirmier conduit à :

• Identifier les symptômes qui produisent une 
difficulté chez la personne pendant sa période de 
maladie, à en donner une interprétation logique 

• Planifier les soins et alléger les inconvénients de la maladie et prévenir les complications et les 
rechutes 

• Suppléer à ce que la personne ferait si elle en 
avait la force physique, les connaissances 
nécessaires et la force psychologique voulue 

• Aider à satisfaire ses besoins physiques, psychologiques, sociaux et spirituels pendant ce 
temps 

• Si nécessaire, à l’aider à mourir dans la dignité 


Comparaison des finalités du jugement clinique infirmier et médical selon Phaneuf (2008) dans Dall’Ava-Santucci, Delmas, & Cloutier, 20105.

Construire notre clinique infirmière dans un jugement responsable

Il est nécessaire de développer la compétence infirmière au travers d'un bilan initial de la personne soignée et ensuite dans la surveillance de cette clinique. La réflexion dans l'action permet de réfléchir consciemment dans les actes réalisés. L'utilisation de la clinique infirmière permet de développer un savoir tacite de la compétence « collecte de données » qui se transforme en un fondement comportemental. La réforme de 2009 6 a donné naissance à un référentiel d'activités qui, finalement, détermine les actes qu'un infirmier doit savoir réaliser. On retrouve ensuite la déclinaison des compétences. La première étape devrait définir le champ de compétence des infirmiers, notamment dans la collecte de données. Il faut sortir d'un jugement clinique élémentaire et construire notre clinique infirmière dans un jugement responsable. C'est savoir interpréter dans un contexte déterminé. La vision scientifique, avec cette idée de s'appuyer sur des données probantes, ne doit pas relayer au second plan notre vision humaniste dans la prise en soin d'un patient. Il faut passer d'une vision hypotético-déductive, en entonnoir, à une vision holistique intégrant les savoirs cliniques qui sont tacites. L’examen clinique devrait comprendre quatre dimensions essentielles : l’entretien clinique de la personne soignée, l’examen physique, les examens complémentaires et l’entretien clinique avec les aidants naturels. C’est l’approche systémique qui doit être privilégiée.

Notes

  1. Première partie de la grande conférence d'Odette Doyon, inf., Ph. D., professeure au département des sciences infirmières de l'Université du Québec à Trois-Rivières, intitulée : Le développement de la compétence infirmière en surveillance clinique : un nouvel éclairage! Présentée dans le cadre du congrès annuel 2009 de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec.
  2. Miriam Tessier, Mémoires : « Perceptions infirmières quant à la réalisation de la collecte des données auprès de la clientèle à l'urgence, étape préalable à la formulation du jugement clinique infirmier », 2011.
  3. Philippe Voyer, Conférence Web, Examen clinique infirmier, 2014.
  4. Lillibridge, J., & Wilson, M. (1999). Registered nurses’ descriptions of their health assessment practices? International Journal of Nursing Practice, 5(1), 29–37.
  5. « L’examen physique dans la pratique infirmière, quels bénéfices ? », Stéphanie Reis da Silva Audrey Pouvrasseau Julia Z’Rotz, juillet 2016.
  6. Arrêté de formation du 31 juillet 2009 relatif au D.E.I. – Annexe 1 – Compétence 1 - Activité 1 – 4 – 5.

Fabien MARSAC  Cadre de santémarsac.fabien@wanadoo.fr


Source : infirmiers.com