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ETHIQUE

"De l'acte au Soin : une question de (bon ?) sens"

Publié le 22/04/2009

La mode " projet " est en pleine expansion depuis une dizaine d'année dans les Instituts de Formation en Soins Infirmiers. Lorsqu'une nouveauté se présente, le monde pédagogique ne doit pas être en reste. Il lui faut montrer sa capacité à métaboliser les concepts et à tenir le cap de la modernité. Projet professionnel, projet de vie personnelle, projet de formation - qui est autant la combinaison des deux précédents - projet de service, projet d'établissement, projet de soin évidemment (mais celui-là est déjà ancien) ! Que de réflexions, colloques, séminaires, réunions et objectifs aura produit cette culture du projet, certes, mais pour quelles avancées réelles ?

Cette question mérite d'être posée particulièrement au sein des services de soin hospitaliers, où se combinent des tâches et des activités multiples dont on peut légitimement se demander parfois à quelle finalité elles répondent... Si la question est aisée, la réponse l'est nettement moins. Bien entendu, tout le monde s'accorde à travailler pour le " bien " du malade ! Mais qu'en est-il exactement au-delà de cette nébuleuse évidence ?

Il faut admettre que les multiples tâches et activités qui font le quotidien du personnel soignant, donnent quelquefois le sentiment de faire tourner la machine hospitalière de façon autonome par rapport au malade, pourrait-on aller jusqu'à dire malgré lui ? En effet, comment le projet de vie de la personne soignée est-il pris en compte dans ce foisonnement de ruche où chacun fait de son mieux pour accomplir sa mission, en dépit des restrictions et pénuries de toute sorte ?

Posons la question autrement : une somme d'actes (dits « de soin ») peut-elle effectivement produire du Soin au sens large, c'est à dire multidimensionnel ? Ou bien faut-il quelque chose en plus pour atteindre cette véritable dimension soignante et quoi ? Pour véritablement soigner, c'est un projet centré sur la personne et son projet de vie qu'il faut comme outil pour penser les soins. Pas un projet essentiellement curatif, occupé à réparer les dysfonctionnements organiques et/ou à en faire taire les symptômes, en appliquant des protocoles diagnostiques et thérapeutiques stéréotypés.

Le symptôme est presque toujours un révélateur de la subjectivité propre à un individu, en quelque sorte une quête plus ou moins consciente d'un sens à construire ou à reconstruire. Mais comment la bio-médecine organiciste peut-elle faire place dans son projet à une approche à connotation si ouvertement " psy " ? Comment l'hôpital tout entier centré sur un plateau technique toujours plus performant, peut-il faire place dans son projet curatif à la singularité fragile du sujet malade, à son contexte de vie ? Le projet médical hospitalier est clairement défini et identifiable : produire un diagnostic fiable et mettre en route une thérapeutique adaptée. Qu'en est-il du projet soignant qui doit intégrer la dimension médicale sans se limiter à elle ?

Pour cela, on n'a rien trouvé de mieux que le concept de projet soignant multidimensionnel et personnalisé. Projet normalement mis en oeuvre grâce à un processus situant la personne du patient au centre des préoccupations ; démarche unifiante à connotation éthique, relevant en grande partie de la mission des Soins Infirmiers et incombant de ce fait à l'infirmière. Dans cette logique, les actes médicaux et les actes posés dans le cadre du rôle propre infirmier sont rendus signifiants par le projet de vie du patient qui devient alors LE projet qui sous-tend l'ensemble. Ce qui confère aux actes un supplément d'efficacité porté par une relation réellement soignante puisque soucieuse du sens que le soigné accorde à ce qu'il vit. C'est ainsi que l'acte devient soin.

En effet, le projet de vie du patient, quand il est pris en compte, permet la rencontre. Sinon le soignant reste un expert traitant l'autre comme un objet de soin plus ou moins docile. Et la fameuse méthodologie de la démarche de soin est bien incapable de faire en sorte qu'il en soit autrement. Car rencontrer le patient revient à être en pays inconnu il faut renoncer à ses propres repères, langage et modèles. Il faut se laisser guider et admettre que l'on ne sait et ne peut pas tout. C'est accepter de reconnaître au patient le pouvoir de guérir ou d'affronter la mort, de savoir ce qui est important et significatif pour lui. Il faut toutefois noter que certains patients demandent essentiellement une prise en charge médicale curative et n'ont pas d'autre attente vis-à-vis de l'hôpital. Le problème n'est pas là : il est dans le fait que la Médecine hospitalière a trop encore le réflexe de l'attitude paternaliste, sans se soucier suffisamment de ce que souhaitent les personnes soignées et/ou leurs proches. Comme si le patient appartenait soudain à ceux qui le soignent I Comme si le modèle bio-médical ne pouvait faire une place à la personne dans sa façon de traiter.

La toilette, le repas, l'aide à la marche, la dispensation des médicaments : voilà un exemple de tâches courantes à l'hôpital, pour certaines dites " soins de base ". Mais base de quoi au juste, de quel édifice ? La stricte réponse aux besoins {l'hygiène, les normes diététiques. les normes de mobilisation) et l'application de la prescription médicale sont-elles la seule finalité des actes évoqués ci-dessus ? Si oui, on comprend de suite que ces actes s'inscrivent dans un vide existentiel, un non sens pour le patient et pour le soignant : ils ne peuvent donc pas être porteurs de Force de Vie. Ils ne peuvent donc pas être véritablement soignants.

Beaucoup de projets mis en avant ces dernières années ont pour objectif évident de conduire à la maîtrise des dépenses de Santé. C'est sans doute une nécessité. Mais que d'économies (financières et humaines) seraient réalisées si un projet soignant multidimensionnel et personnalisé - discuté avec la personne soignée - était réellement mis en oeuvre par les équipes qui trouveraient ainsi tout naturellement à fédérer leurs actions et leurs énergies.

Ce serait aussi sans doute faire oeuvre d'action de Santé Publique au cœur même de la mission curative de l'hôpital, que de resituer - grâce à un tel projet - l'individu dans le tissu symbolique et social qui donne sens à sa vie, Car sans articulation au sens de la Vie que chaque personne (soignée) donne à la sienne {sous-estimation chronique de la spiritualité dans le processus de Santé), il est à craindre que les actes de soin, aussi nombreux et parfaitement réalisés soient-ils, ne pourront pas véhiculer ce supplément d'efficacité qui tient non pas à leur technicité, mais à leur humanité éclairée.

C'est pourquoi malgré les nombreux actes médicaux qui leur sont prodigués, nombre de personnes âgées se dégradent inexorablement lors de leur passage à l'hôpital et ne retrouvent jamais leur état initial, avec des ressources qui existaient pourtant à leur entrée. Le projet hospitalier surtout centré sur l'obtention du diagnostic médical, sur la réparation organique et l'atténuation des symptômes, passe à côté de la cible : soigner une personne, c'est à dire comprendre le sens qu'elle (et/ou son entourage) donne à ce qui lui arrive ; prendre en compte toutes ses dimensions, ses besoins et ses aspirations du moment pour produire du sens au soin - direction et signification des actes posés. C'est là toute l'utilité du projet soignant multidimensionnel et personnalisé.

Un exemple récent peut servir de démonstration. Une dame de 82 ans atteinte d'une démence vasculaire depuis 7 ans est retrouvée - dans la maison de retraite médicalisée où elle vit depuis 3 ans - allongée au pied de son lit, inconsciente apparemment. Craignant une chute et un malaise, avec risque de blessures inapparentes, le personnel présent la fait conduire de suite (à 22 heures) aux urgences médicales d'un grand hôpital distant d'une vingtaine de kms. La famille (la fille sur place) est prévenue aussitôt. Celle-ci se rend immédiatement dans le service d'urgences : elle y arrive vers 23 h 30. Elle constate alors l'agitation angoissée de sa mère qui ne comprend absolument pas ce qui lui arrive, d'autant qu'une perfusion lui a été posée et pour qu'elle ne l'arrache pas, des attaches de poignet lui ont été mises. La fille constate alors un énorme hématome, sans doute douloureux, sur la main gauche de sa mère : un essai malheureux pour poser le cathéter...

Une protection a été aussi installée alors que cette dame est parfaitement continente et consciente de son besoin d'éliminer. L'arrivée de la fille - enfin une tête connue - calme la patiente qui, une fois apaisée, semble vouloir dormir et commence en effet à somnoler. La fille avec mille précautions quitte la chambre doucement pour ne pas perturber le repos de sa mère, Au même moment arrive l'infirmière qui allume la lumière en grand pour un « soin » (comprenez un acte prescrit). La vieille dame est immédiatement à nouveau agitée et paniquée, Les attaches seront-elles resserrées ?

Un ECG a été pratiqué à l'arrivée et montre des troubles du rythme importants aux dires du médecin (arythmie), mais par contre il n'y a aucune autre lésion due à la chute, Le médecin profite de la présence de la famille pour se renseigner sur les antécédents de cette patiente. Il laisse entendre qu'il faudra faire un bilan approfondi pour avoir un diagnostic complet, que le service ne pouvant bloquer longtemps ses lits, la patiente sera mutée ailleurs le lendemain pour réaliser les examens nécessaires. La fille signale sa crainte de voir sa mère gravement régresser, alors qu'il a fallu 3 ans de soins personnalisés en maison de retraite médicalisée pour qu'elle retrouve plaisir à vivre malgré sa démence et qu'elle participe avec joie à des activités variées. Le médecin reste très évasif sur ce point et insiste sur le fait qu'il faut savoir l'origine des troubles cardiaques pour instaurer une thérapeutique.

Renseignement pris le lendemain - par l'autre fille vivant à 500 Kms de là - la mutation est effectivement organisée pour l'après-midi même, pour un hôpital gériatrique à 70 Kms du lieu de résidence de la fille proche et de la maison de retraite où réside la patiente ! Il s'avère que la fille en question n'a pas été consultée par téléphone pour savoir si elle voulait bien que sa mère soit ainsi éloignée d'elle qui va la voir régulièrement !

Le médecin urgentiste interpellé sur cette question et sur les risques d'aggravation de l'état général que représentent pour une patiente démente deux déracinements coup sur coup + l'éloignement de sa fille, la seule personne qu'elle reconnaît vraiment, dit ne pas comprendre la question. Il insiste sur l'aspect médical du problème et refuse vivement de considérer que le bénéfice d'avoir un diagnostic médical précis risque de se faire au détriment du confort-qualité de vie de cette patiente qui peut se grabatiser en quelques jours.

Cet exemple, qui est malheureusement un cas assez fréquent, montre bien que trop souvent encore à l'hôpital, hors la dimension curative du soin rien d'autre n'est pris en compte et discuté avec les proches. Dans l'exemple ci-dessus, il faut savoir que la responsable de la maison de retraite médicalisée a pris spontanément des nouvelles de cette vieille dame - juste après l'appel de la fille éloignée - et s'est opposée fermement à son transfert à 70 kms. Elle a aussi confirmé au médecin que cette patiente n'avait jamais manifesté en 3 ans le moindre trouble cardiaque. Un ECG fait à 23 heures chez une personne démente complètement désorientée et affolée peut en effet montrer une traduction cardiaque de l'effet de panique provoqué par une hospitalisation d'urgence et de surcroît la nuit !

La patiente est retournée à son domicile - la maison de retraite médicalisée - au bout de moins de 48 heures d'hospitalisation, au lieu d'être mutée au diable vauvert et pour un temps indéterminé. A ce jour elle se porte bien, est toujours continente et a le cœur d'une vieille dame de 82 ans… Mais que se serait-il passé si la famille et la responsable de la maison de retraite médicalisée ne s'étaient pas mobilisées ? Sans doute un nouveau succès d'une forme condamnable de bio-médecine automatique et sans âme un diagnostic médical impeccable (traquer les forces de mort) mais au risque de la grabatisation d'une vieille dame (négliger les forces de vie) qui ne demandait qu'à finir sa vie sans heurt dans son milieu habituel !

Il est temps qu'une prise de conscience s'opère en profondeur pour que la médecine moderne soit réellement au service du projet de vie des personnes et non pas l'inverse... Cela devient une telle nécessité que la loi s'est emparée de la question, puisque la raison ne suffisait pas pour aller dans le sens souhaité. La loi dite " Kouchner " du 04 Mars 2002 va en effet totalement dans le sens d'une mise en balance entre ce que peut offrir la Médecine actuelle et ce que le patient souhaite pour lui-même, Une loi pour équilibrer l'équation " principe d'autonomie - principe de bénéficience ". Une loi pour articuler définitivement projet bio-médical et projet de vie du patient...

Si les actes prennent sens grâce au projet dans lequel ils s'inscrivent, il est temps en effet que ce ne soit plus exclusivement le projet bio-médical qui prévale au nom du principe de bénéficience. Celui-ci d'ailleurs ne finit-il pas par se renier lui-même en ignorant l'ensemble des enjeux d'une situation, impliquant autant la psycho-médecine et la socio-médecine que la bio-médecine ? On est loin d'une approche pluri et Inter-Disciplinaire qui seule pourrait garantir une prise en charge réellement soignante. La dimension éthique du soin implique humilité et prudence au sens aristotélicien du terme. Il est toujours utile de s'en souvenir et tant pis s'il faut une loi pour en garantir la concrétisation.

Des exemples comme celui de cette vieille dame, permettent de nous interroger sur la finalité de notre mission de soignant, finalité souvent difficile à retrouver du fait du morcellement des activités et de la vision toujours bio-organiciste de la Médecine hospitalière. Sans un projet soignant multidimensionnel et personnalisé - structuré avec le patient et/ou ses proches, clair pour tous les soignants qui s'en occupent- les actes posés risquent de manquer cruellement d'un sens porteur de Vie. Ce qui peut avoir pour effet paradoxal de miser encore davantage sur la dimension bio-médico-techno-scientifique qui, on l'aura compris, est loin de pouvoir trouver réponse à tout...

Danielle MOREAU
Rédactrice infirmiers.com

 


Source : infirmiers.com