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ESI

D’aide-soignante à étudiante en soins infirmiers : l’histoire d’une douloureuse mutation

Publié le 28/05/2019

Réflexion étayée d’un changement de statut : comment quitte-t-on sa posture de professionnelle du soin, d’aide-soignante compétente et autonome, pour endosser le nouveau statut d’apprenante en tant qu'étudiante en soins infirmiers ? Céline, l’a vécu et nous le raconte avec ses mots d’une rare pertinence.  

« Dès les premiers jours, j’éprouve des difficultés à m’immerger dans ce nouveau fonctionnement : un nouveau lieu, une nouvelle équipe, un rythme adapté aux besoins des enfants présents au sein du secteur, une population auprès de laquelle je n’ai pas d’expérience, professionnellement parlant… »

J’effectue ce premier stage en tant qu’étudiante en soins infirmiers, au sein d’une crèche municipale accueillant du lundi au vendredi 72 enfants en quatre secteurs distincts . L’encadrement des enfants est assuré par des professionnelles de la petite enfance - éducatrices de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture, agents d’accueil titulaire du CAP petite enfance...- et  s’appuie au minimum sur une professionnelle pour cinq enfants ne marchant pas et une pour huit enfants marchant. Chacune d’elle assure l’accueil quotidien des enfants, favorise leur éveil et leur développement, répondant à leurs besoins et demandes. Elles assurent leur surveillance et les soins sous la responsabilité des infirmières puéricultrices. La direction de la structure est assurée par deux infirmières puéricultrices qui ont pour missions de gérer et d’organiser la structure, mais également d’accompagner les parents. Elles font ainsi le lien entre la famille et la vie de l’enfant au sein de la crèche.

Le secteur R dans lequel j’évolue au cours de ces cinq semaines repose sur un accueil en âges mélangés de cinq à trente-six mois. Cette « cohabitation » est une source de stimulation pour chacun et vecteur de valeurs telles que le partage et l’entraide. Pour cette analyse de ma pratique professionnelle, j’ai pris le parti de porter ma réflexion sur un ressenti tout personnel qui s’est avéré déstabilisant et m’a empêché de profiter pleinement de cette période de stage.

Avant même de débuter ce stage, je savais que le fait de revenir à ce statut de stagiaire ne serait pas chose aisée, notamment après un certains nombres d’années passées en tant que professionnelle du soin...

Faire preuve d’initiative, oui mais à quel moment et est-ce pertinent ?

Dès les premiers jours, j’éprouve des difficultés à m’immerger dans ce nouveau fonctionnement : un nouveau lieu, une nouvelle équipe, un rythme adapté aux besoins des enfants présents au sein du secteur, une population auprès de laquelle je n’ai pas d’expérience, professionnellement parlant… Et malgré l’accueil de l’équipe et le fait que les enfants aient rapidement accepté ma présence et viennent à moi naturellement, je ressens un réel inconfort qui se traduit notamment par une attitude hésitante et timide. A quel moment je peux accompagner les professionnelles dans leurs soins ? Ne vais-je pas les déranger ? Que puis-je faire pour les aider ? Quand puis-je les solliciter afin de répondre à mes questionnements et leur montrer mes travaux de recherche et de réflexion ? Faire preuve d’initiative, oui mais à quel moment et est-ce pertinent ?

De fait, cette précarité se traduit au quotidien dans mes attitudes, mes gestes et mes observations et notamment lors des soins d’hygiène et de confort que je réalise accompagnée d’une professionnelle, et au cours desquels, je me montre désorganisée et pleine de doutes. L’hygiène et le confort qui sont pourtant des invariants du soin et qui se pratiquent selon les mêmes préceptes quelle que soit la population rencontrée… Ces savoir-faire et savoir-être qui étaient pourtant au coeur de mes missions en tant qu’aide-soignante et que je mettais en oeuvre rigoureusement pour chaque personne qui m’était donnée d’accompagner. Ces situations sont reprises avec ma tutrice de stage mais le sentiment d’échec et de régression qui en découlent n’arrangent en rien le manque de confiance que je peux avoir en moi.

Avant même de débuter ce stage, je savais que le fait de revenir à ce statut de stagiaire ne serait pas chose aisée, notamment après un certain nombres d’années passées en tant que professionnelle du soin, et paradoxalement après avoir été, moi-même, amenée à encadrer des stagiaires.

Ces situations sont reprises avec ma tutrice de stage mais le sentiment d’échec et de régression qui en découlent n’arrangent en rien le manque de confiance que je peux avoir en moi...

"Je ne reconnais plus mon monde"

La source de mes difficultés est-elle issue de la transition entre mon statut professionnel en tant qu’aide soignante et mon rôle actuel d’étudiante en soins infirmiers, et de stagiaire ?  En effet, il y a à peine quatre mois, j’étais une professionnelle du soin quasi autonome, puisque travaillant sous la responsabilité et en collaboration avec des infirmières et dépendante d’une organisation institutionnelle, mais responsable de mes actes et de mes décisions. Mes diverses expériences m’ont permis d’acquérir une certaine expertise dans la mise en oeuvre de soins visant au bien-être de la personne. Associé à mes qualités individuelles - empathie, attention à l’autre, patience, rigueur, souci du détail – cela me permettait, au quotidien, d’approfondir mon sens de l’observation et d’évaluer de manière pertinente l’état des personnes prises en soin. Enfin, après trois ans au sein d’un même service (Ehpad), j’étais pleinement intégrée au sein d’une équipe, mon équipe, et reconnue par mes pairs et les résidents auprès desquels j’intervenais. Les contraintes institutionnelles, les tâches ardues et multiples, générales à ce type de services, en appelaient, par la même, à une réelle polyvalence et une adaptabilité de tout instant, ainsi qu’un enchaînement d’actes et d’activités qui ne laissait guère de répit.

Maintenant, en tant qu’étudiante en soins infirmière, stagiaire dans ce service, j’ai le sentiment de ne plus posséder cette identité propre puisque je n’appartiens plus réellement à mon groupe socioprofessionnel de référence. "Je ne reconnais plus mon monde". Je suis la nouvelle ESI, une stagiaire rattachée à une équipe mais qui n’en fait pas réellement partie. Dans cette optique, le psychologue Henri Tajfel dans sa conception de l’identité sociale  a souligné que : "L’identité sociale d’un individu est liée à la connaissance de son appartenance à certains groupes sociaux et à la signification émotionnelle et évaluative qui résulte de cette appartenance." (1972). Cette constatation de non appartenance, et par voie de conséquence, de pertes de repères identitaires, est, à mon niveau fortement déstabilisante et génère un profond sentiment d’insécurité : je perds mes moyens, je me tiens en retrait, j’ai toujours crainte de déranger.

Perte de repères, difficultés d’adaptation… assumer mon nouveau rôle d’étudiante en soins infirmiers est douloureux...

De la difficulté de rester sans agir, de seulement observer

De plus, à la demande de l’une des responsables de la crèche, avant de m’immerger dans les pratiques, j’ai passé un temps d‘observation afin de me familiariser avec l’organisation de la structure : les rythmes, les professionnels … mais aussi pour permettre aux enfants de faire ma connaissance et moi la leur. Ce qui est tout à fait légitime et respectueux du bien-être des enfants et des valeurs de la structure. Si je l’ai bien accueilli, il me fut plus difficile de rester un temps certain sans agir. Enfin le fait de ne plus jouir d’une certaine autonomie dans mes actes, d’être observée ou devoir demander "l’autorisation de…" continuellement, étaient autant de situations propices à ma perte de repères professionnels « d’antan » et à ma difficulté de croire en mes capacités à assumer mon rôle d’étudiante en soins infirmiers. Alors que le lieu de stage et le stage en lui-même auraient dû être vecteurs de stimulation et de découverte, ils se sont transformés en une douloureuse remise en question (aptitudes, adaptation, cognition…). Mettre à profit cette période fut difficile.

Comprendre mes difficultés fut donc ma première démarche en tant qu’étudiante capable de réflexion mais aussi actrice de sa formation. Il me fallait impérativement aller de l’avant, vivre pleinement mes derniers temps de stage et assumer mon rôle en tant qu’apprenante. Le référentiel de formation précise dans ses "principes pédagogiques" que "La formation est structurée autour de l’étude des situations donnant aux étudiants l’occasion de travailler trois paliers d’apprentissage : Comprendre, Agir, Transférer". Il me faut comprendre à tout prix :

  • comprendre pourquoi je rencontre des difficultés à retrouver une organisation dans les soins d’hygiène et de confort dont je connais pourtant parfaitement la finalité  ;
  • comprendre pourquoi j’éprouve cette impression d’avoir perdu ce sens de l’observation et de l’anticipation jusqu’à culpabiliser d’être « passée à côté » de signes flagrants : ne pas remarquer une éruption cutané chez une enfant, la boiterie d’un autre ou être plus réactive face à un traumatisme ;
  • comprendre pourquoi je me sens perdue tout simplement et sans repères.

Dans le chapitre des "Finalités de la formation" il est écrit que "l’étudiant développe des ressources en savoirs théoriques et méthodologiques, en habiletés gestuelles et en capacités relationnelles. Il établit son portefeuille de connaissances et de compétences et prépare son projet professionnel (...) L’étudiant apprend à reconnaître ses émotions et à les utiliser avec la distance professionnelle qui s’impose. Il se projette dans un avenir professionnel avec confiance et assurance, tout en maintenant sa capacité critique et de questionnement".

Afin de me familiariser "avec ce nouveau monde", j’ai dû réaliser des recherches concernant le développement psychomoteur des enfants en rapport avec la tranche d’âges rencontrée au sein de la crèche en m’appuyant sur les travaux de Piaget et Wallon. J’ai dû me familiariser avec l’échelle de Denver, test de développement de l’enfant, qui fait référence au sein de la structure et prendre en compte les réflexions et les attentes des professionnelles à mon égard, en fonction des objectifs d’accueil et de suivi de la structure. Pour m’aider dans la compréhension des habitudes de vie des enfants et de leur environnement "collectif", j’ai également questionné les professionnels de proximité, recherché dans les dossiers d’adaptation et les supports de transmissions : alimentation, rythmes, hygiène des locaux, circuit du linge, du médicament, vaccination... Autant d’éléments qui ont enrichi mon "carnet de bord".

Toutes ces démarches de réflexion et de recherche démontrent une amorce d’appropriation de cette posture d’étudiante en soins infirmiers et de redéfinition de mon identité socioprofessionnelle.

Une déconstruction douloureuse mais indispensable…  

En ce tout début de formation, je me suis questionné : qui suis-je, ce jour ? Professionnellement parlant. Et suis-je bien à ma place au sein de cette formation ? Poser ces interrogations est évident pour moi :  je ne me suis toujours pas extraite de mon statut d’aide-soignante pour assumer pleinement mon rôle d’étudiante en soins infirmiers. Ce blocage, ce manque de confiance en mon potentiel en découle directement. Je prends conscience que ces années en tant que professionnelle du soin « agissante » m’ont conditionnée et cela s’avère contre productif dans ma position d’ESI. Observer, poser des questions pertinentes (ou pas, d’ailleurs, qu’importe le jugement si cela permet d’apprendre) aux personnes d’expérience côtoyées en stage, analyser et me réorganiser sont les premières étapes qui mènent à des actes réfléchis et pertinents pour tous ceux que je vais devoir prendre en soin. C’est en cela que réside la posture que l’étudiant en soins infirmiers doit adopter.

On me l’avait dit, cela serait douloureux de me déconstruire de mon statut de professionnelle de santé et de redéfinir une nouvelle posture d’étudiante, d’apprenante. Je le comprends d’autant plus lorsque je l’analyse, ici même, en y mettant mes mots. Par rapport aux autres étudiants de ma promotion, tous ceux qui arrivent sans expérience du milieu professionnel, je dois franchir une étape supplémentaire. Je dois parcourir la distance qui sépare mes années de travail en tant qu’aide -soignante (réflexes, compétences, habitudes, rythme) de cette nouvelle base et identité qu’est d’être apprenant, point de départ de tout développement de compétences. Il faut, de fait, que je sois patiente et conciliante avec moi-même, ne pas vouloir franchir les étapes de façon prématurée, ce qui pourrait être délétère dans l’acquisition de savoir être et savoir-faire en tant que future professionnelle, et pour la poursuite de ma formation. Je dois aussi accepter que je ne peux tout savoir, tout intégrer, faire les liens, être une professionnelle irréprochable et autonome sur les sites de stages, puisque je suis désormais dans une dynamique d’apprentissage et de développement. Développement qu’Henri Wallon définit au travers de sa théorie constructiviste du développement de l’enfant, comme étant : "un processus discontinu, fait d’oscillations, de crises et de conflits". En tant qu’adulte en formation, il me faut donc accepter de vivre "ces conflits, ces crises" et ne pas considérer les difficultés comme un échec, un manque de compétences ou de professionnalisme mais, au contraire, comme des situations propices à la réflexion sur ce que je suis, ce que je fais, et les moyens que je vais pouvoir mettre en oeuvre pour me réadapter.

Enfin, il faut que je garde à l’esprit ce qui a conditionné mon entrée à l’Ifsi, ce pourquoi je me suis foncièrement investie : la préparation au concours, l’élaboration du dossier de financement… autant de démarches qui ont découlé d’une longue réflexion sur l’orientation que je souhaitais faire prendre à ma carrière. Malgré ces huit années d’expérience en tant qu’aide-soignante, il était en effet devenu vital pour moi de redonner du sens à mes actes professionnels, de porter réflexion et de m’enrichir de nouvelles connaissances et autres savoir-faire en matière de soin à la personne.

Evoluer, m’ouvrir à d’autres horizons du soin, apprendre tout simplement ! J’ai aujourd’hui l’opportunité d’assouvir ce besoin au travers de ces trois années de formation. Il faut simplement que je m’accorde ce droit d’apprendre et de me former de tout et de tous. Faire de ce droit un devoir est, par ailleurs, de la responsabilité d’un(e) étudiant(e) en soins infirmiers !

Je dois accepter que je ne peux tout savoir, tout intégrer, faire les liens, être une professionnelle irréprochable et autonome sur les sites de stages, puisque je suis désormais dans une dynamique d’apprentissage et de développement.

Céline Coudougnes
ESI 1ère année-semestre 1 -  Promotion 2018-2021 – Ifsi de Pau.
Analyse de pratique professionnelle. Changement de posture.


Source : infirmiers.com