Seul un peu plus d'un service de réanimation d'Ile-de-France sur quatre renseignent le logiciel Capri sur leurs disponibilités en lits, ont constaté le Dr Gérard Bleichner (ancien chef de service de réanimation à l'hôpital d'Argenteuil) et le Pr Jacques Duranteau (hôpital Bicêtre, Assistance publique-Hôpitaux de Paris), lors d'une mission menée au cours des deux premiers mois de 2009.
A la suite de l'attente, pendant six heures, d'un lit de réanimation médicale pour un homme qui était victime d'un malaise cardiaque dans la nuit du 27 au 28 décembre 2008, et qui est décédé par la suite, l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) et l'Agence régionale d'hospitalisation (ARH) d'Ile-de-France ont demandé au Dr Bleichner et au Pr Duranteau de mener une mission sur les disponibilités en lits de réanimation médicale dans la région.
Lors de cette mission, qui s'est déroulée de janvier à mars, les deux réanimateurs médicaux devaient d'abord établir un état des lieux actuel, notamment sur la manière de trouver un lit disponible, et avancer des propositions pour améliorer la situation.
D'une manière ordinaire, lorsqu'un service a besoin d'une place en réanimation, il appelle la régulation du Samu qui dispose de la liste des services de réanimation et téléphone pour trouver une place. Pendant ce temps, le malade "n'est pas abandonné". Des médecins du Smur s'occupent de lui et font les gestes nécessaires, a relaté Gérard Bleichner, lors d'une conférence de presse organisée mardi matin au siège de la Société de réanimation de langue française (SRLF).
Mais si les régulations du Samu "sont relativement bien organisées", certains services, comme les urgences, le sont moins bien et cherchent souvent par eux-mêmes à trouver une place, a-t-il précisé.
Pour assurer leur mission, les régulateurs du Samu ont à leur disposition le logiciel Capri, conçu en 2002 par l'AP-HP et l'ARH d'Ile-de-France (Arhif) pour fournir département par département et spécialité par spécialité, les disponibilités en lits de réanimation médicale et chirurgicale.
Mais seuls 28% des services de réanimation d'Ile-de-France fournissent au logiciel des informations sur leurs disponibilités en lits, a constaté la mission.
Selon elle, le taux de remplissage moyen de Capri est de 40% pour les services de réanimation parisiens et de 17% pour les services situés en banlieue parisienne.
En ce qui concerne les 40 unités de soins intensifs de cardiologie (Usic) présentes en Ile-de-France, seuls 20% d'entre elles renseignent Capri.
Les deux auteurs observent également que les Usic ont l'habitude de se réserver un lit pour leurs urgences internes.
Cette pratique représente l'équivalent de "deux services fermés en permanence", a souligné le Pr Bertrand Guidet, président de la SRLF, lors de la conférence de presse.
Les deux auteurs constatent aussi que "beaucoup d'intervenants" dans les services de réanimation et d'urgences ne connaissent pas Capri.
Ils déplorent aussi que les hospitaliers concernés n'aient pas de notion de gestion des flux au niveau territorial et que la "supervision de la situation régionale" ne soit pas organisée.
RENDRE L'UTILISATION DE CAPRI OBLIGATOIRE
Même si les cas où les hôpitaux sont "sous tension" et ont des difficultés à trouver des lits de réanimation disponibles, sont "peu fréquents", les deux médecins émettent différentes propositions pour remédier à ces dysfonctionnements.
"La première recommandation est d'utiliser correctement l'outil Capri et de rendre son utilisation obligatoire, l'idée qui est sous-entendue étant de parvenir à une conception régionale de la gestion des lits", a expliqué Gérard Bleichner.
Il a suggéré que les services de réanimation médicale et chirurgicale, adultes et pédiatriques, ceux de réanimation spécialisée, les Usic et les services des grands brûlés renseignent Capri "en temps réel", en réalité "deux à trois fois par jour".
"Il faut disposer du nombre de lits réellement ouverts et disponibles", a insisté Gérard Bleichner.
Il existe en effet une différence entre les lits autorisés, les lits réellement installés et ceux qui sont vraiment opérationnels, avec notamment les cas où des services sont en travaux ou ont des membres de leur personnel non médical absents du fait des congés, a souligné le président de la SRLF, Bertrand Guidet.
UN GUIDE DE BONNES PRATIQUES
Gérard Bleichner a également indiqué que le Pr Duranteau et lui proposaient la rédaction d'un "guide de bonnes pratiques du recensement et de l'utilisation des lits disponibles pour les réanimateurs".
Ce guide pourrait comprendre des dispositions afin de favoriser les échanges entre médecins séniors lors de la recherche d'un lit de réanimation, et d'autres sur l'installation d'un numéro d'appel unique dans les services et sur la déclaration de tout lit disponible pour éviter le phénomène consistant à se réserver des places.
Pour les cas de crise, les deux réanimateurs suggèrent de créer deux indicateurs pour reconnaître le phénomène de crise et amener une gestion adaptée.
Le premier indicateur, visible à travers le logiciel Capri, serait le nombre de lits restant disponibles, un nombre faible constituant un "seuil d'alerte".
Le second indicateur serait le temps mis à placer le malade en réanimation. "Par exemple, si ce temps dure plus de 20 minutes, il pourrait être considéré comme anormal", a expliqué Gérard Bleichner.
Si une crise se déclenche, les deux réanimateurs suggèrent d'appliquer une procédure de gestion des lits différente fondée sur une régionalisation de la gestion des lits sous l'égide d'un binôme composé d'un médecin régulateur du Samu et d'un responsable administratif (ARH ou AP-HP) qui aurait "autorité sur les établissements pour leur demander d'accueillir des malades".
Gérard Bleichner a précisé que les grands hôpitaux, comme Bicêtre, La Pitié-Salpêtrière et Beaujon, avaient toujours des possibilités d'extension de leur nombre de lits.
En cas de crise, "il faut aussi que les hospitaliers soient prévenus des difficultés et que les autorités administratives facilitent les sorties vers les lits d'aval", a-t-il également insisté.
Les deux auteurs suggèrent d'inscrire toute la procédure de gestion des lits de réanimation dans un "système qualité" incluant l'enregistrement des dysfonctionnements et leur signalement à l'ARH.
Ils souhaitent aussi que les réanimateurs tiennent un "registre des refus" pour pouvoir éventuellement justifier "pourquoi un malade n'a pas été admis".
LE CNUH SE PENCHE SUR LES TENSIONS
Le président de la SRLF a précisé qu'il animait de son côté un groupe de travail au sein du Conseil national de l'urgence hospitalière (CNUH), chargé de se pencher sur les situations de tension.
"Plusieurs éléments sont en réflexion", a précisé Bertrand Guidet.
Le premier est la "prévention" de ces situations, à "savoir comment peut-on améliorer l'offre de soins, sachant que des difficultés apparaissent souvent en décembre et janvier".
Le deuxième élément en réflexion porte sur la définition de la crise et la détermination de seuils d'alerte.
Le troisième concerne les actions correctrices à mettre en oeuvre.
Le groupe étudie aussi les questions de rémunération. "Avec la tarification à l'activité (T2A), l'activité programmée rapporte plus financièrement que les malades hospitalisés en urgence. Il faudrait donc voir comment on pourrait mieux rémunérer les hôpitaux qui acceptent de déprogrammer des interventions pour accueillir des malades en urgence", a indiqué Bertrand Guidet qui prévoit de faire une proposition à ce sujet.
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