L’accompagnement est aujourd’hui une notion centrale de l’idée que les infirmières et infirmiers se font de leur métier. Que recouvre ce mot ?
Cet article est extrait de l’ouvrage de Philippe Gaurier intitulé « De l’accompagnement du Soigné au Soignant », paru aux Éditions Losange en novembre 2011.
Cet ouvrage, témoignage et appel à la reconnaissance du métier infirmier dont le geste premier est «âprendre soin du prochainâ» est le troisième de l’auteur, cadre supérieur de santé, chercheur mais aussi rédacteur d'Infirmiers.com.
Je suis toujours en réflexion sur cette « fameuse » onzième compétence (Cf. article précédent : Vers la onzième compétence infirmière ).
Cette compétence tournée vers l’infirmière et qui devrait l’aider à rester au lit du malade, du patient, du soigné, du client, bref de la personne que l’on soigne.
C’est dans ce cadre et afin d’établir un continuum entre l’accompagnement du soigné, que nous connaissons tous et le nécessaire accompagnement du soignant, que nous connaissons moins, que je me suis penché sur le terme : accompagnement. Voilà où j’en suis de ma réflexion.
Je n’ai pas ressenti l’impact du mot « accompagnement » pendant mes années de contact direct avec le malade. J’étais infirmier et c’était mon travail, tout simplement.
C’est lorsque j’ai quitté la relation directe, quotidienne, avec le patient, pour former des étudiants, que j’ai commencé à prendre conscience de l’ampleur de cette idée : accompagner… En effet, dans le nouveau programme de formation des étudiants en soins infirmiers de 1992 apparaissait quelque chose de nouveau : le suivi pédagogique.
C’est en travaillant cette notion, que l’importance fondamentale du mot « accompagnement » s’est faite jour. Il en fut de même quand j’ai quitté le monde de la formation pour retourner l’hôpital, en assumant alors non plus une fonction d’encadrement pédagogique, mais d’encadrement d’équipes de soins.
Tout est lié et tout se situe dans le soin au sens le plus large du terme. Et une partie du travail réside dans la relation à l’autre que l’on soit soignant, soigné, apprenant soignant, cadre pédagogique soignant ou cadre manageur soignant.
Le dénominateur commun est bien la relation à l’autre : relation soignant / soigné, relation cadre - formateur / formé et relation cadre soignant / soignant. Mais la spécificité de ce dénominateur commun du soin et des acteurs engagés dans le soin, est ou pourrait être l’accompagnement : l’accompagnement du soigné par le soignant, du formé par le cadre formateur, du soignant par le cadre soignant.
Le concept d’accompagnement émerge depuis quelques années… Il est même « à la mode ». Mais comment l’appréhender ? Et est-il bien défini ?
Conscient que ce simple terme « accompagnement » est l’arbre qui cache une forêt, j’ai cherché à comprendre…
Philippe Bagros, dans l’Abécédaire des sciences humaines en médecine, définit ainsi le terme : Accompagner, c’est être le témoin solidaire du cheminement d’un autre. Et il introduit immédiatement dans les éléments de réflexion le concept d’altérité : « Pour comprendre l’accompagnement, il faut avoir accepté l’altérité : l’autre est radicalement différent de nous, bien que semblable… »1 .
Si l’accompagnement semble être un nouveau chemin vers l’autre, il n’est pas encore balisé. C’est donc la notion d’accompagnement que l’on s’attachera ici à développer autant que le concept, et principalement dans le domaine du soin.
Commençons par les racines du mot « accompagner »
L’accompagnement est la notion développée par le verbe d’action « accompagner ».
Penchons nous d’abord sur l’étymologie du mot : Ac | com | pagnement. Ce mot comprend trois parties.
Le a n’est pas l’alpha privatif grec puisque ce « a » est suivi de deux « c ». L’étymologie n’est donc pas l’absence de raison.
Le « a » d’accompagnement a pour origine le préfixe « ad » des romains qui signifie « vers », « le mouvement vers ».
« Com » vient de « cum » et signifie « avec ».
Quant à la troisième partie du mot, elle a pour origine latine le mot « panis » que l’on peut traduire par « pain ».
Un lien peut être fait avec le mot « copain » qui signifie « Celui avec qui je partage le pain ».
Accompagner traduit aussi le mouvement. Accompagner, c’est l’action de celui qui fait mouvement vers le partage du pain. Par extension, c’est l’action de celui qui fait mouvement vers le partage de la nourriture, vers le partage de ce qui est nécessaire, voire indispensable, pour se nourrir, pour vivre.
Mais de quel pain est-il question dans l’accompagnement ? Le pain n’est pas que de la farine, de l’eau, du sel et un temps de cuisson. Le pain est le symbole de la nourriture terrestre matérielle et immatérielle. Le champ qui s’ouvre à notre réflexion va donc du pain, nourriture indispensable à la survie physiologique, jusqu’aux différentes approches de l’altérité, par diverses forme de relations, jusqu’au concept métaphysique de nourriture spirituelle,
Travaillons maintenant les frontières du concept.
La nourriture comme apport vital… en réponse au besoin fondamental de « Boire et manger » :
Le pain, la nourriture, cela peut être la tasse de porridge ou de lait que l’on donne à l’enfant décharné dans un camp de réfugiés, et qui va lui permettre de survivre une demie journée de plus… jusqu’au partage de la prochaine tasse de lait ou de porridge qui va lui permettre de survivre une demie journée de plus… et ainsi de suite.
Je me souviens.
Je me souviens du jeune infirmier que j’étais en 1981, là-bas, en Somalie, dans ce camp de réfugiés qui se nommait Bourdoubo A. Je me souviens du centre de réalimentation que j’avais en responsabilité. Je n’oublierai jamais cette responsabilité. La responsabilité de réalimenter des enfants dénutris, des dizaines, des centaines d’enfants dénutris.
Nous les recrutions dans le camp. On organisait des après-midis de pesée et quand l’enfant avait un poids inférieur à la « norme » pour sa taille, on l’intégrait au centre, ou plutôt, je l’intégrais. Si j’étais le seul à savoir écrire, j’inscrivais ses prénoms sur un bracelet que je « clipais » à son poignet, et je recopiais le tout sur un grand registre de couverture noire.
Désormais, l’enfant pouvait venir le matin et le soir dans ce lieu étrange où l’on pouvait manger. Dans ce lieu étrange où il venait s’approprier une demi-journée de vie en plus. Le pendule de la vie, de sa vie oscillait ainsi de demi-journée en demi-journée à l’ombre du « feeding ».
Il recevait le matin une grande tasse de lait et dans l’après-midi une toute aussi grande tasse de porridge. Et s’il était encore plus décharné que les autres, il passait du côté « des soins intensifs » pour recevoir en plus un biscuit MSF ou quelques boulettes de viande. Et le pendule oscillait ainsi.
Je recrutais et le « feeding » grossissait. Les enfants étaient plusieurs centaines maintenant. J’avais bien travaillé. « Mon feeding » était bien tenu… jusqu’au jour où une pluie, habituellement attendue et bienfaisante, emporta les pistes. L’acheminement du lait, du porridge, de l’eau devint impossible pendant quelques semaines…
On me ramenait parfois juste le bracelet. Comme si le bracelet que j’avais donné m’appartenait. Le vide au milieu du bracelet, parfois encore intact, prenait tout son sens. Ce n’était pas du vide, c’était de l’absence, c’était du manque, il deviendrait bientôt du néant. Il avait dévoré en quelques semaines une centaine d’enfants, une centaine d’enfants dont je me sentais en partie responsable.
Ad – cum – panis, certains, avec qui je partageais le lait et le porridge, étaient définitivement partis. « Mes » disparus partageaient maintenant leurs morts. Et leur disparition me laissait paraître un autre partage universel, celui de l’angoisse métaphysique de la mort.
« L’angoisse métaphysique2, c’est la morsure que le néant fait à notre âme. Car je suis entouré entre deux néants ! Je ne serai plus, j'aurais pu ne pas être... J’ai plus ou moins vague conscience, et de ma mortalité (je ne serai plus), et de ma contingence (j’aurais pu ne pas être). L’angoisse est donc bien une morsure : deux mâchoires me mordent, et ne relâchent jamais durablement, jamais totalement leur étreinte. Être angoissé, c’est donc avoir la mort dans l'âme, et cette présence ne se limite nullement aux seuls moments de désespoir ou de remords ».
Au milieu de ces extrêmes, la nourriture vitale et la nourriture métaphysique, il y a le quotidien partagé avec l’autre par la parole, la relation, tout ce que la philosophe Hannah Arendt nomme « agir communicationnel ».
Accompagner, c’est donc l’action de celui qui fait mouvement vers le partage du pain, de la nourriture, et de ce qui est nécessaire pour se nourrir. Au-delà, l’on peut dire que : accompagner est l’action de celui qui fait mouvement vers le partage de ce qui est nécessaire pour passer un moment de vie ; et dans les cas extrêmes, l’action de celui qui fait mouvement vers le partage de ce qui est indispensable pour vivre ou survivre. A mon avis, c’est à ce niveau que nous devons transférer cette notion dans le soin. Qu’en pensez-vous ?
A bientôt.
Notes
- Bagros P., Le Faou A-L., Lemoine M., Rousset H., De Toffol B., ABCDaire des sciences humaines en médecine, Paris, Edition Ellipses, 1989, p. 11.
- Eric Fiat, Philosophe, Université Paris XIII – Marne la Vallée
Affronter l’angoisse, affronter le tragique en fin de vie
http://philo.pourtous.free.fr/Articles/Eric/aspectsdumourir.htm (Consulté le 11 janvier 2009)
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Philippe GAURIER Cadre supérieur de santé Chargé de mission « Formation et recherche », hôpitaux universitaires Paris Ile-de-France Ouest PEPS-Formation - http://pepsoignant.com Rédacteur Infirmiers.com Infirmier.philippe@wanadoo.fr www.etre-infirmier-aujourdhui.com
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