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« Comment j’ai été piégée par une maison de santé »

Publié le 17/06/2015
maison santé

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C’est un témoignage qui parle : Valérie Demeker a rejoint une maison de santé pluridisciplinaire (MSP). Elle raconte comment avec ses collègues infirmières, elles ont cru accéder au paradis mais se sont pour de vrai retrouvées en enfer.  Paroles authentiques (1). Merci à Avenir et Santé, revue de la Fédération nationale des infirmiers (FNI) de partager cet article avec la communauté d'Infirmiers.com.

Valérie a été piégée dans une maison de santé...

Avenir & Santé - Après 18 mois de présence au sein d’une nouvelle MSP labellisée, les infirmières ont décidé de jeter l’éponge, pourquoi ?

Valérie Demeker  - Au début tout allait bien, les quinze professionnels de santé étaient enthousiastes. Ce projet était une réponse à la désertification médicale de la zone rurale de Batigny-sur-Lorne. C’était trois ans de travail pour ses promoteurs et un investissement de 2,5 M€. L’État et l’Europe ont versé respectivement 425 000 € et 400 000 €, la communauté de communes a mis la main à la poche pour le reste. Le loyer d’occupation devait couvrir l’investissement. Au bout d’une semaine, la MSP tournait comme une ruche ! Mes collègues infirmières, engagées comme moi dans cette MSP, devions payer 300 € de loyer par mois. Six mois plus tard, il est passé à 400 €. Comme le mode de calcul était identique quelle que soit la profession, nous n’avons rien eu à redire. Malgré cela, il y a aujourd’hui un trou de 17 000 € dans la caisse que les gérants veulent boucher par de nouvelles hausses de charges calculées cette fois sur le dos des infirmières.

Avenir & Santé - Plus qu’un plan de charges mal évalué, vous dénoncez le mode de calcul du réajustement nécessaire ?

Valérie Demeker  - Absolument ! On change les règles du jeu au cours de la partie. Lors du projet, les médecins étaient contre un calcul des charges au prorata du chiffre d’affaires, d’ailleurs ils ne voulaient pas communiquer leur CA. Aujourd’hui les mêmes veulent revenir en arrière parce qu’ils se rendent compte que ça les avantage. Ils exigent de supprimer le plafonnement qui avait été convenu en recalculant les charges à partir des m² et en tenant compte du chiffre d’affaires.

Avenir & Santé - Pourquoi êtes-vous contre cette nouvelle clé de répartition ?

Valérie Demeker  - Non seulement nous ne pouvons pas payer de telles sommes mais aussi ce n’est pas conforme à l’engagement initial, celui pour lequel nous avons rejoint cette MSP. Pour un CA mensuel de 6 500 € d’une infirmière, le montant des charges s’élèverait à près de 900 €. Bien que le mode de calcul soit modifié pour tous les professionnels, seules les IDE seraient significativement augmentées… Cette clé nous a été présentée par Anne-Sophie Dozier, une infirmière qui n’est autre que l’épouse d’un des médecins gérants. Du temps où elle était associée, elle n’aurait jamais pu payer de telles sommes. C’est elle qui avait négocié les 300 € par mois et le plafonnement de notre super grand local.

Il y a aujourd’hui un trou de 17 000 € dans la caisse que les gérants veulent boucher par de nouvelles hausses de charges calculées cette fois sur le dos des infirmières

Avenir & Santé - Du coup, vous avez réagi en annonçant que vous quittiez la MSP, quelle a été la réaction des gérants ?

Valérie Demeker  - C’était début avril dernier. Ils se sont dits « déçus mais pas étonnés », tout en concluant que « c’est la vie ». Un des médecins nous a demandé quand nous souhaiterions partir. Comme nous avons répondu le 31 mai, il nous a alors répondu que c’était « judicieux pour limiter les frais d’actes puisqu’ils envisageaient de modifier les statuts et le règlement intérieur à l’occasion de l'arrivée de l’orthophoniste au sein de la Sisa ». Nous avons pris ces déclarations pour argent comptant et nous sommes mises en recherche d’un local que nous avons trouvé en centre-ville et pour lequel nous avons pris des engagements.

Avenir & Santé - À ce stade, on peut dire que tout est bien qui finit bien…

Valérie Demeker  - Justement non. Fin avril, le vent a tourné. Méchamment. Avec l’appui de l’expert-comptable, les infirmières subissent lors de la réunion de cogérance un lynchage en règle avec humiliation devant tout le monde. Cette fois, « nous avons délibérément déclaré la guerre en décidant de partir de la Sisa, nous insufflons une très mauvaise dynamique au sein de la MSP, tous nos associés méritent nos excuses ». Ils nous affirment qu'ils peuvent nous retenir jusqu'au 31 décembre et que « toutes les sommes sont dues, tout défaut de paiement sera considéré comme de la mauvaise volonté de notre part  ». Nous sommes averties que les modifications du règlement intérieur seront votées d’ici là, et que nous aurons à payer 32 000 € à nous quatre.

Avenir & Santé - Avez-vous essayé de négocier avec les gérants de la MSP ?

Valérie Demeker  - Bien sûr mais nous sommes minoritaires puisque sur les quatre gérants, il y a deux médecins, un kinésithérapeute et une infirmière. Tout peut se décider sans nous. Pire, Virginie, notre collègue co-gérante a été accusée de trahison et démissionnée d’office pour nous avoir fait part du projet de modification du règlement intérieur dans lequel figure une clause de non-concurrence qui nous interdit de nous installer à moins de 15 km de la MSP. En tout état de cause, ils refusent d'admettre que notre CA est basé, contrairement aux autres professionnels sur nos indemnités kilométriques puisque notre outil de travail principal est notre voiture et notre activité est essentiellement au domicile des patients.

Avec l’appui de l’expert-comptable, les infirmières subissent lors de la réunion de cogérance un lynchage en règle avec humiliation devant tout le monde

Avenir & Santé - Du rang de "gentilles associées", vous passez donc à celui de "méchantes insoumises" ?

Valérie Demeker  - Absolument, les médecins tiennent un discours culpabilisateur. Ils nous reprochent notre manque d'engagement, alors qu’en six mois nous avons pris en charge comme ils le souhaitaient, Asalee, la télémédecine et télé-expertise dermato, les dossiers papiers au domicile des patients, etc... Tout cela en plus de notre travail d’Idel. Nous ne voyons pas comment nous aurions pu faire plus en aussi peu de temps ! Maintenant on nous accuse de mettre la MSP en difficulté.

Avenir & Santé - Votre décision de quitter la MSP vous coûte donc très cher ?

Valérie Demeker  - C’est le moins que l’on puisse dire. Avec cette clause de non-concurrence, nos patientèles que nous avons si chèrement payées appartiendraient désormais à la Sisa si nous décidons de la quitter! Et ce n'est pas envisageable pour nous puisque nous avons déjà trouvé notre local dans le centre-ville de Batigny. À cela s’ajoutent les 22 000 € du rachat il y a six mois de la patientèle d’Anne-Sophie Dozier, la femme du Dr Dozier par notre associée Ludivine Salvae.

Avenir & Santé - Pensez-vous pouvoir trouver une solution et sortir de cette épreuve de force ?

Valérie Demeker  - Nous espérons sortir du piège qu’est la MSP. Nous avons proposé une transaction que ses avocats étudient. Nous proposons un départ des lieux au 31 mai avant la modification du règlement intérieur et l’installation de cette clause de non-concurrence, sans surcoût à payer avec pour contrepartie de notre part, la levée d’une clause de non-concurrence qui permettrait à Madame Dozier de reprendre une activité bénévole au sein de la MSP et à une de nos remplaçantes de devenir associée salariée de la MSP. Nous attendons beaucoup de cet accord amiable, et surtout qu'il se finalise vite et bien pour pouvoir passer à autre chose, enfin.

Note

  1. Les noms des personnes et des lieux ont été modifiés. Les chiffres avancés ont été conservés.

Propos recueillis par Isabelle EUDES Rédactrice en chef de la revue Avenir et Santé

Cet article est paru dans la revue de la FNI "Avenir et Santé", n° 435 dans la rubrique "Infirmier expert".


Source : infirmiers.com