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"Comme un vulgaire bout de viande..."

Publié le 01/04/2014
dépression douleur tristesse

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Claire (c’est un pseudo), 30 ans, a fait une fausse couche au mois de mars. On lui a conseillé d’écrire au chef de service pour sanctionner l’interne qui s’était occupé d’elle. « Ce n’est pas mon but », explique-t-elle. « J’avais tout de même besoin de mettre des mots sur cette expérience. C’est certainement très banal. Moi, c’était mon premier passage aux urgences et ma première grossesse. » C'est à la fois édifiant et terrifiant... Mais où est passée la bienveillance ? Merci à Rue89 de partager cet article avec la communauté d'Infirmiers.com.

Cet article a été publié le 28 mars 2014 sur le site Rue89

Le témoignage d'une femme qui dénonce les conditions d'accueil aux urgences...

Ça y est, nous y sommes enfin : l’échographie des trois mois. J’ai vu ma gynécologue la semaine d’avant, elle a dit que ma grossesse se déroulait parfaitement bien. Depuis deux jours, j’ai de petits saignements. Je l’ai appelée, mais elle a fait dire à sa secrétaire que ce n’était pas grave et qu’il fallait attendre l’échographie. Cela ne me rassure pas du tout. Dans ma tête, je sais déjà. Le verdict du radiologue tombe : « Le cœur s’est arrêté depuis quinze jours, il faut aller aux urgences pour l’aspiration du fœtus. » Avec mon mari, nous avions lu partout qu’une grossesse sur six, voire parfois sur quatre selon les livres, ne dépassait pas le troisième mois. Mais quand on le vit, évidemment, c’est différent et ça fait mal.

Pas de « ligne de discrétion »...

Nous sommes tous les deux hébétés lorsque nous nous présentons aux urgences d’un grand hôpital parisien. Là, un homme est seul pour assurer l’accueil du public et répondre au téléphone. Il n’y a pas de ticket en entrant pour déterminer l’ordre d’arrivée, et pas non plus de « ligne de discrétion ». Il faut donc se presser contre la chaise de celui qui est en train d’être inscrit. Une jeune fille devant nous pleure au téléphone en se tordant de douleur. Elle raconte qu’elle a perdu sa place dans la file en allant aux toilettes.

Une mère chinoise arrive avec un bébé et un petit garçon de 4 ou 5 ans. Elle ne parle pas français et l'enfant fait le traducteur. Sans ticket, nous sommes obligés de jouer un peu des coudes pour bien montrer que nous sommes arrivés avant elle et nous nous sentons minables. Comment font les gens qui arrivent aux urgences et ne peuvent tenir debout pour garder leur place dans la file d’attente ? Est-ce qu’il n’est pas possible d’installer une borne avec des tickets ?

C’est finalement notre tour. Le monsieur, très gentil, nous indique que nous ne sommes pas au bon endroit : il faut aller aux urgences gynécologiques. Il appelle un infirmier qui nous montre avec beaucoup de gentillesse le bâtiment.

Comment font les gens qui arrivent aux urgences et ne peuvent tenir debout pour garder leur place dans la file d’attente ?

« Je croyais que vous veniez pour une IVG »...

Nous nous inscrivons donc à nouveau, puis nous attendons, une heure, deux peut-être, au milieu de couples qui viennent pour accoucher, heureux d’être là avec leur petite valise. Il y a aussi, certainement, des femmes qui viennent pour des IVG. Dans une salle ouverte, on prend ma tension et ma température. Il n’y a strictement aucune confidentialité, depuis la salle d’attente on entend tout, mais à ce moment là, c’est le dernier de mes soucis.

Lorsque notre tour arrive, un étudiant en cinquième année de médecine vient nous chercher. Il commence à remplir mon dossier, pose les questions habituelles sur les antécédents, les allergies... Au bout de dix bonnes minutes, il s’arrête et nous regarde, un peu étonné : « Je me suis trompé, depuis le début, je croyais que vous veniez pour une IVG. » La psychologie et le tact ne doivent pas être au programme des cinq premières années de médecine.

Je me suis trompé, depuis le début, je croyais que vous veniez pour une IVG

Faire deux « choses » à la fois...

L’interne arrive pour m’examiner. Toute jeune, elle a l’air totalement épuisée. L’étudiant de cinquième année fait les premiers examens, en me faisant mal, puis elle prend le relais et commence l’échographie vaginale. Ses gestes sont brusques. Son téléphone sonne pour une urgence, elle répond, le téléphone collé à l’oreille, tout en continuant à tourner la sonde en moi sans ménagement et en tapant sur l’ordinateur ce qu’elle voit sur l’image.

Je me décompose peu à peu, je n’existe plus, je ne suis plus un être humain. J’ai un fœtus mort en moi, une interne qui crie dans un téléphone au-dessus de moi et de mes jambes écartées, un étudiant qui regarde sans rien faire. Je finis par me manifester, faire un signe, dire que je suis une patiente, qu’on pourrait quand même s’occuper de moi. Je ne sais plus ce que j’ai dit, j’étais en colère, mais aussi tellement vidée. Elle raccroche en soupirant et me répond qu’elle sait « faire deux choses à la fois ».

Réaliser une échographie vaginale pour vérifier qu’un fœtus est bien mort est peut-être une « chose » banale pour elle, mais pas pour moi, qui commençais à m’imaginer ce petit être qui devait naître fin septembre. Je ne sais pas si elle se rend compte de ses actes et de ses paroles. Elle a l’air si jeune et si dépassée par le système, par le manque de moyens et de personnels des hôpitaux, que je n’arrive même pas à la détester sur le coup. Elle nous explique que le protocole veut que je revienne dans cinq jours pour refaire une échographie, puis que l’on pourra faire l’aspiration (ou le curetage), parce que le fœtus est trop gros pour être évacué par médicaments.

Elle a l’air si jeune et si dépassée par le système, par le manque de moyens et de personnels des hôpitaux, que je n’arrive même pas à la détester sur le coup

Elle n’en fait pas des tonnes...

Cinq jours plus tard, nous nous représentons donc aux urgences. L’étudiant de cinquième année est toujours là et nous prend en charge. Une nouvelle interne me fait l’échographie. Elle a des gestes doux, dit que « malheureusement, le cœur s’est bien arrêté ». Elle n’en fait pas des tonnes, la consultation ne dure pas plus de dix minutes, mais elle nous semble tellement humaine, que nous avons envie de l’embrasser.

Le lendemain, nous arrivons à l’hôpital avec mon mari à 7h pour l’opération. Nous n’avons pas eu beaucoup d’explications sur la manière dont cela allait se dérouler, nous savons simplement que je ressortirai le soir même. Les infirmières m’expliquent que je dois passer au bloc à 13h. Nous pensions que ce serait plus tôt et nous nous demandons ce que nous allons bien pouvoir faire pendant six heures dans cette chambre d’hôpital. Mais le temps file doucement, nous sommes comme engourdis tous les deux et nous attendons que le temps passe. A 17h30, je ressors. C’est fini. L’anesthésie générale et l’aspiration du fœtus se sont « bien » déroulées, je n’ai aucune douleur physique.

La consultation ne dure pas plus de dix minutes, mais elle nous semble tellement humaine, que nous avons envie de l’embrasser

Je sais que leur métier est très dur...

Dans les jours qui suivent, je ressens parfois une douleur vive en pensant à ce petit bébé qui ne verra jamais le jour, mais aussi une douleur plus lancinante. Je tourne et retourne dans ma tête la scène de l’échographie aux urgences et ce sentiment que toute humanité avait disparu, que mon corps n’était qu’un vulgaire bout de viande et qu’on se foutait que je sois là pour une fausse couche à onze semaines de grossesse ou pour une cheville foulée : c’était pareil.

Je sais que leur métier est très dur, que ces jeunes internes ont des responsabilités totalement aberrantes, qu’ils enchaînent plusieurs jours de garde et doivent souvent courir partout, dans des conditions de travail qui sont loin d’être idéales. Mais ils finissent pas oublier qu’ils ont en face d’eux des êtres humains, qui souffrent.

Rue89


Source : infirmiers.com