Troisième et dernier épisode de la correspondance de Sophie, IDE, avec une collègue pendant la période de fusion de leur service hospitalier avec un autre. Sophie démissionne ...
Note de la rédaction : Pour des raisons évidentes de confidentialité, tous les noms propres ont été changés, y compris celui de l’infirmière qui nous a adressé ce texte. Celui-ci paraîtra en trois fois (une par semaine).
Lire aussi : Chroniques infirmières : c’est vraiment comme ça que ça se passe ! - 1/3
Chroniques infirmières : c’est vraiment comme ça que ça se passe ! - 2/3
De Sophie à Dominique
Date: Mon, 12 Nov 2007 19:45
Salut ma grande,
C'est officiel : j'ai envoyé ma lettre de démission.
Bises
Sophie
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De Dominique à Sophie
Friday, November 16, 2007 10:48 PM
Subject: RE: démission
Suis à Paris jusqu'au 19 XI et je repars dans la matinée.
J'ai eu des échos pour ta démission JE VAIS TE REGRETTER PAR SEULEMENT POUR LES ECHANGES MAIS SURTOUT PARCE QUE TU ES UNE TRES CHOUETTE CONSOEUR
GROS GROS BISOUS
A bientôt
Dominique
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De Sophie à Dominique
Date: Wed, 21 Nov 2007 17:14:07
Et ben alors, où es tu ? Que fais-tu ?
Pour moi, le compte à rebours est commencé, il m'en reste 9, plus que 9 !!!
Je ne me souviens pas être allée travailler à reculons comme ça... Si, une fois, j'étais infirmière scolaire dans un lycée pro et le proviseur était un petit dictateur...
J'ai eu des moments plus ou moins faciles, professionnellement mais là je dois dire que c'est bien gratiné...
Si je ne m'arrête pas jusqu'au bout, c'est que je donne des cours à Paris et que c'est super intéressant mais autrement... Si je peux aller à Paris, je peux travailler, c’est logique.
Mais au boulot, le matin, j'ai la cheville en vrac. Et le médecin du travail m'a mise apte sans marche excessive... je rigole.
Elle m'a dit d'expliquer à Mme DSSI qu’il ne fallait pas que je marche beaucoup. Je lui ai demandé, au Dr, si nous parlions du même établissement. Elle a eu un sourire gêné !!!
Bises et à bientôt
Sophie
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De Dominique à Sophie
Sent: Thursday, November 22, 2007 10:22 AM
Pour l’Entente cordiale, je n'y suis pas allée depuis un mois car j'avais un max de récup et de congés à prendre... mais j'angoisse à l'idée d'y retourner, j'ai mal au ventre et me demande avec qui je vais me retrouver. Les copines démissionnent en masse. Avec un peu de chance je vais rester avec Françoise qui est une agréable collègue, qui attend l'heure de la retraite mais sa santé en a pris un coup.
Je n'ai pas eu de contact avec Mme DSSI sauf pour un dossier que la DDASS exige. Je suppose que c'est en prévision ou de la grippe aviaire pandémique ou alors si récidive de problèmes à l'Entente cordiale afin de réquisitionner le personnel.1
Bisous.
Dominique
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De Sophie à Dominique
Coucou,
C'est ok, je te fais les nuits du 5 et 6 décembre. Oh ben oui alors, j'espère qu'on pourra se faire une petite bouffe.
J'ai vu Mr le directeur et Mme DSSI séparément pour leur faire part des raisons de mon départ, je te raconterai mais Mr le directeur a été très attentif à ce que je lui ai dit et a priori honnête alors que Mme DSSI, ouh la la ! Je la pensais plus intelligente, plus ouverte et plus à l’écoute que ça... Ce n'est pas le fait qu'elle ne soit pas d'accord avec moi mais sa façon de faire, hautaine, méprisante, me prenant pour une triple gourde.
Mr le directeur est en train de réaliser qu’il ne sait pas ce qui se passe vraiment dans l’établissement. Il a essayé de me retenir, ça fait tout de même plaisir, il faut être honnête. Je lui ai donc expliqué que j’avais proposé de partir mi juillet au lieu de début décembre mais à condition d’avoir quelques jours de vacances entre Noël et le jour de l’an où plus de la moitié de l’établissement sera fermé… Et alors, me dit-il, « où est le problème ?
On a largement assez de personnel en poste à cette date là. Vous êtes donc là jusqu’à mi-juillet… » Ben non, lui répondis-je, mes congés ont été refusés. Et pourquoi, me demande t’il ? Pffffffffffff lui fis-je, je n’en sais fichtre rien. Problème de personnel, je suppose ou alors problème de principe. C'est-à-dire me demande t’il ? Et bien, on n’accorde rien à quelqu’un qui part. Il n’était pas content du tout, mais alors pas du tout, pas après moi, après Mme DSSI.
Je l’ai remercié de sa sollicitude mais lui ai expliqué que maintenant, je m’étais organisée et que très sincèrement je ne regrettais pas qu’on m’ait refusé mes congés, comme ça, j’étais out.
Il a terminé l’entretien en me disant : « Mais, c’est vraiment à ce point là ? Vous vous sentez réellement maltraitée ? ». Oui, monsieur, c’est vraiment à ce point là et non monsieur, je ne me sens pas maltraitée, je suis, nous sommes maltraitées.
Bisous et à très bientôt j'espère.
Sophie
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De Dominique à Sophie
Y a pas dire, nous avons quelque peu le même ressenti.
Il n'y a que ça de vrai : ceux que nous aimons et un bon travail que nous nous définissons même si les fins de mois ne sont pas au top. Au moins nous sommes heureuses de comprendre pourquoi et comment nous travaillons.
Dominique
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Salut ma grande,
Tu l’as dit, bouffi…
Tu vois, avec les cours que je donne, le tutorat par Internet, je commence à avoir le fruit de mon labeur. Je m’éclate et je me fais plaisir. Et j’ai encore plein de trucs à faire et à apprendre.
Mais, je suis toujours infirmière et je ne veux pas m’en aller de ce métier sur une aussi mauvaise expérience. Enfin, il faut relativiser.
La fin de la fin est mauvaise mais le reste a été bien, super, génial par moments et sera encore. Et en fait, ce n’est pas la fin car même si je ne reprends pas un poste, je vais aller faire des vacations. Parce que comment veux-tu transmettre sans exercer? Ca, c’est un truc qui me dépasse. Ok, il y a toujours des restes mais ce n’est pas pareil. Et puis, j’aime ça, soigner, prendre soin des autres. Et je suis en train de réaliser que je peux soigner en enseignant, prendre soin des étudiants (c’est fort ça, tu ne trouves pas) qui eux aussi sont quelquefois maltraités (dans les IFSI par exemple).
A + pour continuer à refaire le monde…
Bises Sophie
Ce dernier mail date de mi décembre
Pour conclure : Coup de colère mais …
Évidemment, là, nous ne parlons que des IDE mais les AS et les ESH2 ne sont pas mieux lotis.
Nous continuons à converser, Dominique et moi. Ce qui précède est une tranche de vie professionnelle de deux infirmières à un moment précis, un déménagement mal organisé et destructeur pour le personnel. J’ai eu l’occasion dans ma vie professionnelle de participer à deux déménagements de ce type et il a fallu à chaque fois 15 jours pour trouver ses marques et pouvoir fonctionner à peu prés normalement. Mais je sais qu’il faut plus de temps pour retrouver « un rythme de croisière ». Là, c’est toujours le grand bazar et c’est dangereux, je trouve. D’ailleurs, il y a des gros couacs.
J’ai eu un soir avec ma collègue AS, 17 opérés du jour (la moyenne quotidienne est entre 8 et 12) + les opérés de la veille + ceux du lendemain et dans ceux du lendemain (entre 2 à 5 à préparer le matin) et j’avais trois personnes âgées qui étaient là pour fracture du col du fémur.
Quand j’ai dit que c’était de la folie, que je ne pouvais pas continuer à travailler comme ça, que c’était de l’abattage… on m’a répondu (on = DSSI) « vous n’avez qu’à les surveiller moins ». Déjà que pour des raisons de temps, je n’arrivais plus à voir ces opérés du jour que 2 à 3 fois selon les pathologies et les heures de RBO3 au lieu de 3 à 4 !
Et surtout quand on voit le temps de passage en salle de réveil : plus la journée avance, plus il est court (anecdote au passage : un jour, j’ai dit à un anesthésiste que je ne comprenais pas que le bloc ne tourne pas plus le dimanche et la nuit parce que j’avais remarqué que les patients passaient beaucoup moins de temps en salle de réveil sur ces créneaux horaires et que, donc, j’en concluais qu’ils se réveillaient plus vite et mieux sur ces horaires ! Il n’était pas content !) Dans cet établissement, nous embauchons à 21h 30 et Mme DSSI a continué et c’est texto : « Mais pourquoi vous allez les voir à 22 h ? Vos collègues de jour les ont vus à 20h ! ».
Je vais les voir, ne serait-ce pour savoir la tête qu’ils ont et s’ils vont bien et avoir une référence, parce qu’il y a des antalgiques à poser, une surveillance post-op à faire et aussi pour qu’ils sachent que la relève est là, qu’il y a du monde, parce que je fais mon boulot, merde ! à la fin. Et ben, je ne sais pas si tu me crois parce que si je ne l’avais pas vécu, j’aurai du mal à le croire.
Il y a dans cet établissement un ORL qui bosse super bien, exigeant, mais quand il sait que le boulot est fait correctement, ça roule. C’est un des seuls chir que je voyais le soir car il passait voir ses opérés du matin après ses consultations de l’après-midi. Je lui ai donc dit au revoir, il m’a demandé les raisons de mon départ et je lui ai expliqué le coup, entre autres, des 17 blocs…
« Ce n’est pas possible qu’on ait pu vous dire une chose pareille…. » et vu mon expression mi-figue, mi-raisin, mon air ironique et agacé, il a poursuivi en me disant « Malheureusement, je vous crois et je le crois parce que c’est vous qui me le dites.
Et c’est le bordel, hein ? Quel gâchis ! Je suis désolée de votre départ et je vous remercie pour votre intelligente et intéressante collaboration. » Là, je dois avouer qu’il m’a touchée parce qu’en peu de mots, il a dit « j’ai confiance en vous, vous n’êtes pas une conne et je sais que mes patients sont correctement pris en charge ». Merci.
C’est aussi ça que je veux dire : les infirmières ne sont pas toutes des blanches colombes et certaines feraient mieux de changer de métier, vu les dégâts. Et il y a aussi des DSSI compétents et proches du personnel qu’ils ont en charge (proche ne veut pas dire potes ...). Mais quelle place difficile que celle-ci ! Et les médecins ne sont pas tous de sinistres connards prétentieux, loin de là !
J’ai eu la chance de travailler avec un chir viscéral et deux gastro-entérologues, il y a quelques années, du travail de haut niveau et des humanistes, un vrai bonheur. J’ai appris, appris. Ils m’ont appris beaucoup et je leur ai appris beaucoup. C’est ça une équipe.
Notes
1 Il y a eu une grève très suivie. L’ARH a ordonné la fermeture de l’établissement et dit en substance « l’établissement rouvrira quand le PDG apportera la preuve que l’établissement est en mesure de fonctionner ». Les patients ont dû être évacués. Personnellement, je regrette que les syndicats aient refusé les réquisitions à minima ; certaines personnes en fin de vie ont dû être évacuées vers d’autres établissements et après, pour négocier en arguant la prise en charge globale du patient, son bien-être etc… c’est plus que limite. Mais du coup, il y a eu des négociations, des promesses d’embauche. 18 créations de poste (IDE,AS, ESH, secrétaire administrative).Les chirurgiens ont même supplié (c’est le terme employé par le président de la CME, chirurgien orthopédique et ce, devant la télé locale) le personnel, l’exhortant à reprendre le travail et promettant « l’arrêt des interventions chirurgicales » à 18h. A ce jour, à 2 mois de la grève, les promesses sont très partiellement tenues. Ce qui est sûr, c’est que le bloc opératoire tourne toujours jusqu’à 20H30. Je ne parle pas d’urgences mais de patients programmés.
2 Employé de service hospitalier (Note de la rédaction d’Infirmiers.com)
3 Retour de bloc opératoire (Note de la rédaction d’Infirmiers.com)
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