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Chirurgien de toreros : entre professionnalisme et passion

Publié le 27/03/2013
torero taureau corrida

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medecin toreros livre couverture

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toreros corrida arène

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Docteur, conteur, aficionado... Riche de ses trente-cinq années de pratique chirurgicale en milieu taurin, Jean-Michel Gouffrant raconte dans l’ouvrage « Médecin de toreros » l'histoire de la tauromachie sous l'angle du bistouri...

Le buste d’Alexander Fleming trône sur le parvis des arènes de Las Ventas, à Madrid, l’une des plus grandes « plaza de toros » du monde et haut lieu de la tauromachie espagnole. Que fait, me direz-vous, la statue d'un pharmacien britannique salué par un torero devant des arènes ? Pour les plus profanes d’entre vous, c'est pour le remercier d'avoir découvert la pénicilline, cet antibiotique qui, depuis, a sauvé de nombreux matadors de toros. Cette statue de Fleming est donc le symbole de la reconnaissance des professionnels taurins envers les professionnels médicaux et paramédicaux.

Infirmier mais également aficionado (passionné de tauromachie), j'ai rencontré récemment, en Arles, le Dr Jean-Michel Gouffrant, chirurgien taurin, venu présenter son livre Médecin de toréros. Rappelons en effet que la chirurgie taurine est une spécialité à part entière et que Jean-Michel Gouffrant, chirurgien dans de nombreuses arènes de France et d'Espagne, en est un digne représentant.

Nous avons aussi nos superstitions, à Bayonne, on ouvre la porte de l'infirmerie pendant le paseo puis la referme quand il se finit

Chirurgien, charismatique, aficionado...

Son livre est le fruit d’un entretien avec le journaliste et écrivain Pierre Vidal. Le chirurgien, aujourd’hui à la retraite - sauf du côté infirmerie d'arène où il continue d'officier bénévolement - y dévoile son parcours et les spécificités de son travail dans les blocs opératoires des arènes de Bayonne, Soustons, Saint-Vincent-de-Tyrosse, Vieux Boucau mais aussi Séville, Madrid, Ciudad Rodrigo... Aficionado, lui aussi, il vient souvent à la rencontre d'un public qu'il captive par son charisme, sa passion taurine et le récit de son exercice de chirurgien taurin.

Après avoir suivi un cursus classique, c'est en intégrant l'hôpital de Bayonne comme chirurgien vasculaire spécialisé dans le foie qu'il se retrouve, par hasard, dans l'équipe de garde des arènes de Lachepaillet à Bayonne lors des férias et donc des corridas. Depuis il parcourt bénévolement les callejón (contre-piste) des arènes et les rues des festejos taurinos, quelques 12 000 fêtes traditionnelles espagnoles qui donnent lieu, chaque année, à des lâchers de toros en pleine ville... - pour venir en aide aux toreros blessés mais aussi aux nombreux amateurs qui défient les toros dans les rues des villes et villages espagnoles. C’est donc ainsi, au fil du temps et des événements, que Jean-Michel Gouffrant a appris cette spécialité chirurgicale au côté d’autres chirurgiens taurins espagnols. Il partage depuis son expérience dans les congrès et reçoit celle de ses confrères pour continuer à progresser.

L'anesthésiste me dit "attends pour l'ouvrir que je l'endorme" et je lui ai répondu "mais il est déjà ouvert

Des « cornadas » qui font très mal...

Être chirurgien taurin pour Jean-Michel Gouffrant, c'est être caché derrière l'arbre en attendant l'accident de voiture . En effet, le chirurgien « reçoit » la victime d'un taureau dans la minute qui suit l'accident à la différence d'un accident de la voie publique où les secours ne sont souvent présents sur place que dans le quart d’heure qui suit. La blessure par corne de toro, « cornada », est très spécifique. Elle n'est en rien comparable à une blessure par arme blanche ou par balle. En effet, la corne de toro transmet des micros vibrations liées à la musculature importante des toros qui mortifient les tissus humains et font le lit à des gangrènes qui ont tué de nombreux toreros avant l'apparition des antibiotiques ; d'où la statue d'Alexander Fleming sur le parvis des arènes de Madrid. Il y a la plupart du temps de nombreuses trajectoires liées au coup de corne.

Sur un plan technique, rappelle le Dr Gouffrant, "cela est tout à fait différent de ce qui peut faire habituellement. Il faut ouvrir entièrement la zone traumatique afin d'évaluer le nombre de trajectoires puis nettoyer l'ensemble des plaies. De plus, même si la corne ne pénètre pas le corps, il peut y avoir des lésions par brûlures profondes favorisant les infections par nécrose des tissus. Si la plaie au niveau de la peau à un diamètre de 1 cm cela signifie que la corne a pénétré les tissus de 10 cm, si la plaie mesure 2 cm de diamètre, la corne est entrée de 20 cm dans le corps...".

« Des histoires terribles, mais aussi des anecdotes plus légères comme ces toreros qui ont le courage de toréer avec les drains d'un blessure de trois jours mais ont une peur panique d'une piqûre... »

Hémorragies, plaies viscérales, lésions cervicales...

Les gestes qui sauvent suite à un accident en piste sont en priorité la compression de l'hémorragie et l'évacuation de la victime. Dans le bloc opératoire des arènes, les premiers soins sont donnés et la victime stabilisée. Elle est ensuite transférée vers l'hôpital le plus proche où le chirurgien sera plus à même d'effectuer les soins nécessaires. En résumé suite à une blessure par corne, la zone traumatique est entièrement ouverte, nettoyée puis refermée et drainée plusieurs jours durant pour éviter toute complication.

La blessure la plus grave est, bien sûr, le traumatisme artériel qui entraîne une hémorragie qu'il faut traiter au plus vite, il s'agit souvent d'une question de minute. Pour mémoire, lorsque que Joël Matray, jeune torero du sud-ouest, a reçu un coup de corne dans le ventre qui lui a arraché l'artère iliaque, l'arrêt de l'hémorragie par le Dr Jean Grenet lui a sauvé la vie. En effet, en quelques minutes, celle le séparant de la piste des arènes au bloc opératoire des arènes, il a perdu près de trois litres de sang ! Stabilisé, il fut ensuite transféré au bloc opératoire de l'hôpital le plus proche où l'artère fut reconstruite...

C'est cette question de minute que raconte le dr Gouffrant lorsqu'il cite une anecdote où un anesthésiste lui demandait : attends pour l'ouvrir que je l'endorme et où il répondit : il est déjà ouvert. Le torero était inconscient et la priorité était l'arrêt de l'hémorragie et non l'attente de l'anesthésie générale.

Certaines blessures infligées par les toros sont cependant irréversibles, notamment les lésions des cervicales comme en avait été victime Nimeño II, matador français, en septembre 1989. Devenu paraplégique, il ne s’en remit jamais et s’est suicidé quelques temps après. Rappelons que durant le XXème siècle, environ 400 professionnels taurins sont décédées dans les arènes.

Les blessures les plus importantes infligées par les toros, le Dr Gouffrant les a rencontrées lors des festejos taurinos. Encore récemment, il a dû traiter une personne dont le foie a été sectionné en deux et le rein également suite à une entrée de la corne par le thorax. L'année précédente, une personne blessée respirait « par la chemise du thorax et avait l'intestin dans le pantalon ».

Le Toro, seul animal auquel l'homme donne le droit de tuer

Pour le Dr Gouffrant, la qualité première du chirurgien taurin est son calme. En effet, il intervient dans l'urgence souvent vitale et dans une frénésie qui voit autour de lui se côtoyer membre de la famille du torero, impresario et autres journalistes voulant renseigner le grand public au plus vite. Les toreros sont des personnages publics importants dans les lieux ou une culture taurine est ancrée.

Le bloc opératoire des arènes reste un lieu rassurant pour les toreros qui font une confiance aveugle au chirurgien et sont souvent très reconnaissants. Si le bloc des arènes est parfois très bien équipé comme dans les plus grandes arènes d'Espagne, souligne le Dr Gouffrant, il arrive cependant aussi qu'il se résume à une pièce exiguë avec un matelas servant de table d'examen...

La chirurgie taurine est le résultat de nombreuses années d'expérience de grands chirurgiens taurins. Depuis sa création en 1981, l'association française de chirurgie taurine1 ne cesse de faire progresser cette spécialité en organisant plusieurs congrès et en participant aux grandes manifestations internationales de chirurgie taurine.

En résumé, cet ouvrage est un bon préambule à la découverte de cette spécialité chirurgicale méconnue et de ces médecins passionnés, au même titre que la communauté taurine, par un même animal : le Toro, seul animal auquel l'homme donne le droit de tuer.

Jean-Michel Gouffrant, médecin de toréros, par Pierre Vidal. Éditions Gascogne. 14,50 €.

Note

  1. Association française de chirurgie taurine, rue Frédéric Mistral, 40100 Dax, France.

Benjamin JULIAN,
Infirmier Diplômé d'État
Service de médecine physique et de réadaptation - CH Joseph Imbert, Arles (30)
En partenariat avec Al Compas Del Toro, La Vie au Rythme de l'Aficion


Source : infirmiers.com